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Affaire Audin: Macron et la «responsabilité de l'Etat» dans la torture en Algérie

Emmanuel Macron a décidé de reconnaître «la responsabilité de l'Etat dans la disparation» du mathématicien communiste militant de l'indépendance de l'Algérie Maurice Audin, torturé par l'armée française et disparu sans laisser de traces en 1957. Cette demande avait été notamment faite par deux députés, le mathématicien Cédric Villani (LREM) et Sébastien Jumel (PCF)
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min

Arrêté à son domicile à Alger le 11 juin 1957, en présence de sa femme, par des parachutistes, Maurice Audin, 25 ans, était soupçonné d'héberger des membres de la cellule armée du Parti communiste algérien. Il a été torturé à plusieurs reprises dans une villa d'El Biar, un des quartiers d'Alger, en compagnie d'Henri Alleg, futur auteur de La Question, livre dénonçant la torture. Dix jours plus tard, Josette Audin apprend officiellement que son mari s'est évadé lors d'un transfert. En dépit de son invraisemblance, cela restera la version officielle jusqu'à ce que François Hollande affirme en 2014 que «M. Audin ne s'(était) pas évadé» mais était «mort durant sa détention».


«La relance de cette affaire, qui place l’État français sur le banc des accusés, a été faite à la faveur d’un témoignage d’un ancien appelé, Jacques Jubier, qui pense avoir ''enterré'' la dépouille de Maurice Audin, du temps où il servait en Algérie», indiquait en février 2018  le quotidien algérien TSA. Le journal revient sur le témoignage, cité par L'Humanité, qui titrait: «Le témoignage qui relance l’exigence de vérité». En l'occurrence les déclarations de Jacques Jubier.


«On les a passés à la lampe à souder»
TSA reprenait l'horrible récit de cet ex-soldat : «Il y avait des volontaires pour la torture. Certains ne se faisaient pas prier. Moi, j’ai refusé. Mon capitaine n’a pas insisté», raconte-t-il. «Un trou était creusé (pour des enterrements) dans le sol du camp où les prisonniers étaient détenus entre deux séances de torture. Ils ne repartaient jamais vivants. (…) On était conditionnés, mais nous ne réagissions pas tous de la même manière. J’ai vu des choses horribles que je n’ai jamais oubliées : la gégène (NDLR : technique de torture par électrode), mais bien pire encore». 

Il raconte ensuite au journal comment il a été enrôlé par un parachutiste – qui s’est avéré être Gérard Garcet, choisi par le général Aussaresses (qui fit des aveux sur France 3) pour recruter les parachutistes chargés des «basses besognes» – pour accomplir «une mission secret-défense». À ce moment, le jeune militaire officiait dans la ville de Fondouk (à l’est d’Alger), devenue aujourd’hui Khemis El Khechna. Ils prennent la direction d’une cabane «fermée à clé», où deux cadavres sont enroulés dans des draps. Ils doivent s’en débarrasser.


Il constate qu'«on les a passés à la lampe à souder. On a insisté sur les pieds et les mains pour éviter qu’on puisse les identifier». «C’est des gens importants ?», lui demande alors Jacques Jubier. «Oui, c’est le frère de Ben Bella, et l’autre, une saloperie de communiste.». Jacques Jubier est certain que l’autre corps était celui de Maurice Audin, toujours selon des propos relayés par L'Humanité.
 
Le quotidien Liberté avait, fin janvier, évoqué l’information selon laquelle «l'État français a fait un “petit pas” vers la reconnaissance de la vérité sur l'assassinat de Maurice Audin, lorsque le président Emmanuel Macron a déclaré que c'est l'armée qui l'avait assassiné en 1957», citant l'historien français Gilles Manceron. 

«Sur la base de la déclaration récente du président Macron, faite au député Cédric Villani, qui est membre de La République en marche (LRM), et qui a aussi présidé le Prix Maurice-Audin de mathématiques, selon laquelle
“Maurice Audin a été exécuté par l’armée française”, on peut dire que l'État français a fait un petit pas vers la reconnaissance de la vérité sur l'assassinat de Maurice Audin, car ces mots n’ont jamais été prononcés auparavant par un représentant, officiel ou officieux, de l’État», a expliqué dans une interview à l'Algérie Presse Service Gilles Manceron.



L'hommage de l'Algérie indépendante
Un article du Huffpost Maghreb de 2015 rappelle les circonstantes historiques de la disparition de Maurice Audin.

L’historien Mohamed Rebah y retrace le contexte de la disparition du mathématicien français: «1957 : La lutte armée pour l'Indépendance entre dans sa troisième année. Nous sommes loin des premiers coups de fusils de chasse. En cette année 1957, l'initiative appartient aux katibas et aux commandos de l'ALN. Alger, 1957. Le général Massu reçoit, le 7 janvier, les pleins pouvoirs des mains du chef du gouvernement, Guy Mollet. Il devient ainsi le chef suprême de la zone d'Alger. Il s'entoure d'officiers revenus comme lui du Viet Nam après la défaite du corps expéditionnaire français à Diên Biên Phû au mois de mai 1954, Avec ses milliers de parachutistes, il envahit Alger et sème la terreur dans la population. Il s'arroge le droit de vie et de mort. Il ouvre des centres de torture partout : la villa Sésini, l'école Sarrouy, le café-restaurant Bellan aux Deux Moulins, l'immeuble d'El Biar, le stade de Saint Eugène (Omar Hamadi à Bologhine), la villa des Tourelles».


L’historien Mohamed Rebah rappelle qu'«afin de perpétuer le souvenir du brillant mathématicien, symbole de l'intellectuel engagé, mort pour que vive l'Algérie, son pays, la République algérienne reconnaissante donna, le jour de la célébration de l'an I de l'indépendance, le nom de Maurice Audin à la place centrale d'Alger, en contrebas de l'Université où il mena de brillantes recherches. Dans l'Algérie colonisée, la place portait le nom du général Lyautey, descendant des envahisseurs de 1830». A Paris, une place Maurice Audin a été inauguré en 2004, dans le quartier Latin.
 

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