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Algérie : trois questions sur la purge des hommes d'affaires organisée par le pouvoir

Plusieurs milliardaires algériens ont été arrêtés ces derniers jours, dans le cadre d'une enquête anticorruption. Le PDG du groupe pétrolier et gazier public a également été limogé.

Article rédigé par franceinfo
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Des forces de police lors d'une manifestation à Alger, le 16 avril 2019. (BILLAL BENSALEM / NURPHOTO / AF¨P)

Les milieux d'affaires ne dorment pas tranquillement en Algérie. Cinq richissimes hommes d'affaires ont été arrêtés et placés en détention provisoire dans une vaste enquête anticorruption. Dans le même temps, le patron du groupe pétrolier et gazier public a été limogé, mardi 23 avril.

Cette reprise en main du pouvoir algérien ressemble à une opération "mains propres" post-Bouteflika, mais elle pourrait également masquer d'autres motivations.  

1Qui sont les personnes dans le viseur des autorités ?

Issad Rebrab. Souvent considéré comme l'homme le plus riche d'Algérie, il a été arrêté et placé mardi en détention provisoire, selon les médias d'Etat. Il est le fondateur de Cevital, un conglomérat affirmant employer 18 000 salariés, notamment dans le BTP et l'électroménager. Le magazine Forbes estime sa fortune à 3,7 milliards de dollars. Son arrestation inquiète la France puisque l'homme d'affaires de 74 ans avait également investi dans l'Hexagone. Ses activités ont prospéré sous la présidence Bouteflika (1999-2019), mais il entretenait un conflit ouvert avec les autorités depuis plusieurs années, les accusant de bloquer ses investissements en Algérie, comme le prouvent ses messages sur Twitter

Les frères Kouninef. Ils se font plus discrets dans les médias mais n'en restent pas moins influents. Le clan Kouninef a prospéré à l'ombre d'Abdelaziz Bouteflika, comme le détaille El Watan. Ces frères sont aujourd'hui propriétaires de l'important groupe KouGC, spécialisé notamment dans le génie civil, l'hydraulique et le BTP. La famille est réputée proche de Saïd Bouteflika, frère et puissant conseiller de l'ex-président. Ils ont été placés en détention provisoire.

Ali Haddad. L'ancien patron des patrons algériens doit être ajouté à cette liste des puissants incarcérés. Propriétaire notamment du premier groupe de BTP d'Algérie et proche de Bouteflika, il a été écroué après son arrestation nocturne fin mars à un poste frontière avec la Tunisie, en possession de devises non déclarées.

Abdelmoumen Ould Kaddour. Le patron du géant algérien des hydrocarbures Sonatrach est toujours libre mais a été limogé. Aucune explication n'a été donnée pour cette décision prise par le chef de l'Etat par intérim, Abdelkader Bensalah. Sonatrach est un groupe pétrolier et gazier public crucial pour l'économie algérienne, puisque les hydrocarbures rapportent à l'Algérie plus de 95% de ses recettes extérieures.

2Qu'est-il reproché à ces hommes d'affaires ?

Issad Rebrab est "soupçonné de fausses déclarations relatives à des mouvements de capitaux de et vers l'étranger, de surfacturation d'équipements importés et d'importation de matériel usagé malgré l'octroi d'avantages bancaires, fiscaux et douaniers" au matériel neuf, selon l'agence de presse officielle Algérie Presse Service (APS). Les frères Kouninef sont de leur côté soupçonnés de "non respect des engagements contractuels dans la réalisation de projets publics, trafic d'influence avec des fonctionnaires publics pour l'obtention de privilèges et détournement de fonciers et de concessions".

Derrière ces chefs d'accusation, les défenseurs des libertés s'inquiètent de possibles décisions arbitraires. "Il y a un déficit de communication institutionnel, estime sur France Inter Noureddine Benissad, avocat et président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme. On ne sait pas exactement ce qu'on reproche à ces personnes. Le parquet d'Alger doit communiquer sur les éléments objectifs du dossier sans violer la présomption d'innocence et le secret de l'instruction."

3Assiste-t-on à une purge du clan Bouteflika ?

De nombreux titres de presse vont dans ce sens, en raison de la proximité d'une partie de ces hommes d'affaires avec le clan Bouteflika, mais les choses apparaissent plus complexes. "Le problème, c'est que le système qui veut mener l'opération 'mains propres' est lui-même basé sur la corruption", s'inquiète Noureddine Benissad. Le peuple algérien souhaite mettre fin à la corruption qui s'est développée dans les strates de la société ces dernières années et le régime semble vouloir lui donner des gages.

"L'indépendance de la justice est liée à la séparation des pouvoirs, sauf qu'aujourd'hui la justice est sous l'hégémonie du système politique. (...) On ne peut pas parler de l'indépendance de la justice sous un régime autoritaire", poursuit Noureddine Benissad. Le chef d'état-major de l'armée, le général Ahmed Gaïd Salah, avait effectivement appelé la semaine dernière la justice à "accélérer la cadence" dans les enquêtes contre des hommes d'affaires liés à l'ancien clan présidentiel. Les prises de parole répétées de ce nouvel homme fort du régime provoquent l'ironie des manifestants, qui craignent une reprise en main autoritaire de l'armée.

Dans le même temps, l'ancien Premier ministre algérien Ahmed Ouyahia et l'actuel ministre des Finances, Mohamed Loukal, ont été convoqués devant la justice "dans des affaires de dilapidation des deniers publics et avantages indus", selon la télévision algérienne. Le pouvoir donne le sentiment de sacrifier des têtes qui servaient auparavant ses intérêts pour se préserver. "On a l'impression qu'il y a un lynchage médiatique. On juge les gens, on jette les gens en pâture", conclut Noureddine Benissad.

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