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L'article à lire sur l'Algérie si vous voulez comprendre la présidentielle

Pourquoi Abdelaziz Bouteflika est-il certain d'être réélu ? Qui sont ses opposants ? Pourquoi l'Algérie n'a pas connu de printemps arabe ?  Francetv info vous explique l'essentiel.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Des militants du mouvement Barakat opposés à un quatrième mandat du président Abdelaziz Bouteflika, le 27 mars 2014. (FAROUK BATICHE / AFP)

Les Algériens vont voter. C'est pour jeudi 17 avril. 23 millions d'électeurs sont appelés aux urnes pour choisir leur chef d'Etat. A 77 ans, le président Abdelaziz Bouteflika se présente pour un quatrième mandat. Il est malade et n'apparaît qu'à la télévision, lors d'entrevues soigneusement orchestrées. Pourtant, tout le monde semble penser qu'il va être réélu. Cela vous paraît un peu bizarre ? Francetv info vous aide à comprendre le contexte de cette élection.

C'est quoi l'Algérie ?

On embarque à Marseille, on traverse la Méditerranée, cap au sud, et on débarque à Alger, capitale d'un immense pays qui s'étend jusqu'aux déserts mauritanien, malien, nigérien et libyen. Le Maroc est à l'ouest et la Tunisie nichée au nord-est. Avec près de 2,4 millions de km2, l'Algérie est le plus vaste pays d'Afrique et le dixième plus grand au monde. On pourrait y loger 4,3 fois la France métropolitaine, mais la grande majorité du territoire est désertique.

C'est plus facile de se faire une idée avec une carte :

38,8 millions d'habitants y vivent. La population est jeune : la moitié des habitants ont moins de 28 ans.

L'économie du pays repose ses hydrocarbures. Une manne. L'Algérie a la dixième réserve de gaz naturel du monde (c'est le sixième exportateur) et la seizième réserve de pétrole mondiale. Toutefois, le pays est confronté au chômage des jeunes et à une importante corruption. Le pays se classe 94e sur 177 pays, à l'indice de corruption de Transparency international.

La France a un lourd passé avec l'Algérie, non ?

Oui. L'Algérie est violemment conquise, puis colonisée par la France pendant 132 ans. En 1962, le pays obtient son indépendance, après une longue guerre qui fait 500 000 morts, essentiellement des civils musulmans.

Mais l'Algérie connaît une décennie noire, dans les années 1990. En 1991, devant la victoire annoncée du Front islamique du salut (FIS), les autorités annulent les résultats du premier tour des élections législatives. Cela déclenche un conflit. Il oppose le gouvernement algérien, qui s'appuie sur l'armée, à des groupes islamistes. Environ 200 000 personnes sont tuées.

Depuis l'indépendance, les relations entre Alger et Paris sont houleuses, mais les liens restent forts. Selon un document de l'ambassade de France citant les douanes algériennes, la France est le deuxième fournisseur de l'Algérie et son quatrième client. Signe de la présence algérienne en France, 815 702 Algériens vivant en France sont inscrits sur les listes électorales, selon le journal algérien El Watan. Toujours selon le quotidien, la communauté à l'étranger, largement installée en France, pèsera lourd dans l'élection : après Alger et Oran, c'est le troisième foyer électoral.

Ah, parlez-moi un peu de cette élection présidentielle...

Elle commence jeudi 17 avril, avec le premier tour. Sur douze candidatures enregistrées, six ont été retenues. Les prétendants ont des profils différents.

Les candidats à la présidentielle algérienne : Abdelaziz Bouteflika, Ali Benflis, Ali Fawzi, Moussa Touati, Louisa Hanoune et Abdelaziz Belaid.  ( AFP )
 

Commençons par le poids lourd, Abdelaziz Bouteflika, 77 ans. L'actuel président brigue un quatrième mandat. Mais, après un AVC en 2013, il a été hospitalisé pendant 80 jours en France. Il est tellement malade qu'il ne mène pas lui-même campagne. Sept proches ont sillonné le pays pour le représenter. Pourtant, c'est le grand favori. Il pourrait passer dès le premier tour.

Ali Benflis, 69 ans, Premier ministre de 2000 à 2003, est le principal concurrent du président. Il s'est déjà présenté en 2004. Après dix ans dans l'ombre, cet ancien magistrat et ex-ministre de la Justice dénonce "une situation insatisfaisante", réclamant plus de libertés et de justice.

Louiza Hanoune, 60 ans, est la seule candidate féminine. Elue trois fois députée, elle est parfois présentée comme la "Arlette Laguiller algérienne", pour son engagement très à gauche, ou comme une "dame de fer", pour sa liberté de ton et sa réussite.

A 59 ans, Ali Fawzi Rebaïne est un vétéran de la présidentielle : il s'est déjà présenté trois fois. Au cours de la campagne, le fondateur de la première Ligue des droits de l'homme algérienne n'a eu de cesse de parler de l'âge du président et de sa santé fragile.

Moussa Touati, 60 ans, dirige le parti nationaliste du Front national algérien. Il est assez hostile à la France qu'il accuse de soutenir Bouteflika.

Abdelaziz Belaïd, 50 ans, est le plus jeune candidat. Il est le seul à se présenter pour la première fois à la présidentielle. Il est député depuis l'âge de 23 ans et mise sur la jeunesse. 

Les Algériens vont vraiment choisir Bouteflika, le candidat le plus vieux et malade ?

 
Oui, c'est la grande incongruité de cette élection. Si Abdelaziz Bouteflika est très malade, à tel point qu'il n'est pas apparu en public depuis des mois, il reste le grand favori. Car les Algériens se détournent de la politique et, finalement, les interrogations sur les résultats du scrutin portent plus sur le taux de participation, le score que fera le président sortant et les résultats des autres partis.

Pourquoi une telle domination d'Abdelaziz Bouteflika ? Première raison : il est vu comme l'homme de la stabilité. Arrivé en 1999 au pouvoir, il incarne la fin de la guerre civile et bénéficie toujours d'une certaine aura auprès des Algériens. Deuxième raison : il bénéficie de la machine électorale des deux principaux partis au pouvoir, le FLN (présidentiel) et le RND (Rassemblement national démocratique du président du Sénat Abdelkader Bensalah). Et son équipe est rodée aux rouages de l'administration. Il faut enfin préciser que le paysage politique n'est pas très attrayant. Cinq des six candidats ont déjà tenté leur chance à l'élection présidentielle.

C'est tout ? J'ai entendu parler du risque de fraude...

C'est vrai que ses opposants parlent de la fraude. Notamment le camp d'Ali Benflis. Son directeur de campagne adjoint, Lotfi Boumghar, a appelé les Algériens à "être vigilants pour que leur vote ne soit pas confisqué et que leur voix soit entendue"Ali Benflis, qui a été Premier ministre et connaît bien l'appareil d'Etat, a lui-même déclaré que son "principal adversaire, c'est la fraude". Il a dit à RFI "que la fraude a commencé. On a malmené les registres d'état civil. L'administration est instrumentalisée, le gouvernement est devenu le comité de soutien".

Et les Algériens ne disent rien ? D'ailleurs, pourquoi n'y a-t-il pas eu de printemps arabe, comme dans les pays voisins ?

Pour expliquer que l'Algérie soit restée à l'écart des printemps arabes, les autorités avancent régulièrement le traumatisme de la guerre civile. L'écrivain algérien Kamel Daoud ajoute que l'Etat profite aussi de sa manne pétrolière : au lieu de pousser les jeunes à l'immolation, comme en Tunisie, "on leur donne des charrettes de légumes gratuits (tellement que le FMI a appelé l'Algérie à modérer ses dépenses 'politiques') et on rappelle sans cesse que la révolution, c'est le chaos plus l'Otan". Car l'Organisation militaire nord-atlantique est intervenue en Libye, jusqu'à faire tomber Mouammar Khadafi.

"La principale préoccupation de beaucoup d'Algériens n'est pas tant la démocratisation du régime que le chômage de masse, la corruption, le piteux état des systèmes de soins et d'éducation, le logement", écrivait en juin 2013, Karim Amellal, enseignant à Sciences Po et co-fondateur du média vidéo ChoufChouf, dans une tribune à Libération intitulée "L'étrange insularité algérienne". "Dans ces conditions, le changement politique n'est attendu que s'il est porteur d'une amélioration du bien-être individuel. Or, à la double lumière du passé et de la situation chaotique qui règne en Tunisie et en Egypte, il y a de quoi être, sinon sceptique, du moins peu pressé". Finalement, "les Algériens ont le choix entre la liberté et la sécurité".

Ça veut dire que rien ne bouge en Algérie ?

Non. Un mouvement appelé Barakat ("Ça suffit !") fait parler de lui. Ce mouvement de trentenaires, qui n'a pas vraiment de hiérarchie, a surpris et incarne maintenant l'opposition au quatrième mandat du président. Ils ont organisé de petites manifestations. Un sit-in a été violemment dispersé à Alger, mercredi 16 avril, à la veille de la présidentielle. 

Bien qu'il ne draine pas les foules et représente une petite portion de la population, Barakat est devenu l'une des bêtes noires du camp Bouteflika. Les partisans du président l'accusent d'être à la solde des puissances étrangères. Une grave accusation dans un pays nationaliste.

De plus, à une semaine du scrutin, le climat s'est subitement tendu. Les incidents se sont multipliés dans les meetings. A tel point que certains ont dû être annulés. Ainsi, Abdelmalek Sellal, Premier ministre devenu porte-parole du président, a dû annuler un meeting à Bejaïa, en Kabylie, dans l'est, en raison de violences. Plusieurs personnes ont été blessées. Dans un premier temps, les autorités ont accusé "les fascistes tenants du boycott, Barakat". Ces derniers ont répondu que le pouvoir cherche à "pousser au pourrissement".

Abdelaziz Bouteflika a aussi accusé Ali Benflis, qui ne cesse de parler du risque de fraude, de faire du "terrorisme" à la télévision. Une accusation d'une violence rare. Le camp d'Ali Benflis doit déployer 60 000 observateurs dans le pays pour surveiller le scrutin. Contestera-t-il les résultats le 18 avril ? C'est l'une des grandes inconnues.

J'ai eu la flemme de lire l'article en entier et j'ai scrollé vers le bas. Vous me faites un résumé ?

L'Algérie est un grand pays aux importantes ressources en hydrocarbures. Le 17 avril, les Algériens doivent choisir leur président. Mais l'issue du scrutin fait peu de doutes : Abdelaziz Bouteflika sera réélu pour un quatrième mandat. Bien qu'il soit très malade, il fait figure de garant de la stabilité.

Les Algériens qui se détournent de la politique ont été très marqués par la guerre civile dans les années 1990 et se sont tenus à l'écart des printemps arabes. Un petit mouvement, Barakat, hostile au 4e mandat, cherche à faire parler de lui. Mais il reste assez marginal. Toutefois, les derniers meetings ont été agités et la fin de la campagne a été houleuse. Le principal challenger, Ali Benflis, dénonce le risque de fraude. Le président l'accuse en retour de faire du "terrorisme". Si Ali Benflis perd, acceptera-t-il les résultats ?

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