Guerre d'Algérie : quatre questions sur la reconnaissance par la France de l'assassinat de l'avocat et dirigeant Ali Boumendjel
Emmanuel Macron a reconnu auprès des descendants d'Ali Boumendjel le crime perpétré par l'armée française, suivant les préconisations du rapport de l'historien Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d'Algérie.
La France avoue un mensonge d'Etat. Emmanuel Macron a reconnu, mardi 2 mars, que l'avocat et dirigeant nationaliste Ali Boumendjel avait été "torturé et assassiné" par l'armée française, pendant la guerre d'Algérie, en 1957. A l'époque, son assassinat avait été maquillé en suicide. Franceinfo revient sur cette annonce en quatre questions.
Qu'a déclaré Emmanuel Macron ?
"Au nom de la France", Emmanuel Macron a annoncé en personne cette reconnaissance à quatre petits-enfants d'Ali Boumendjel reçus à l'Elysée, mardi. "Au cœur de la Bataille d'Alger, il fut arrêté par l'armée française, placé au secret, torturé, puis assassiné, le 23 mars 1957", détaille l'Elysée dans un communiqué.
En 2000, "Paul Aussaresses [ancien responsable des services de renseignement à Alger] avoua lui-même avoir ordonné à l'un de ses subordonnés de le tuer et de maquiller le crime en suicide", écrit l'Elysée. L'avocat a été jeté du sixième étage d'un immeuble, après avoir été "assommé d'un coup de manche de pioche derrière la nuque", racontait le général dans son livre Services spéciaux, Algérie 1955-1957 (publié en 2001).
Que disait la France à l'époque ?
En 1957, la version officielle affirme que l'avocat s'est suicidé en se jetant de la terrasse du sixième étage d'un immeuble. Ni sa famille ni ses proches dans les cercles militants ne croient à cette thèse, dans ce qui devient aussitôt "l'affaire Boumendjel". De plus, la thèse du suicide a connu plusieurs versions. Lorsque sa famille apprend sa mort, "on nous avait prétendu qu'Ali, arrêté par l'armée quarante-trois jours plus tôt, avait fait une tentative de suicide. Il avait prétendument essayé de se couper les veines avec ses lunettes", avait raconté au Monde (article abonnés), en 2001, Malika Boumendjel, la veuve de l'avocat.
La famille d'Ali Boumendjel reçoit en 1957 de nombreuses lettres de condoléances, dont celles de Pierre Mendès-France et François Mauriac, "qui s'excusèrent dès le lendemain au nom de la France". L'ami et professeur de droit d'Ali Boumendjel, le juriste et homme politique René Capitant, démissionne de la faculté de droit, pour protester contre "de telles pratiques, auxquelles, même en pleine guerre, nous n'avons jamais soumis les prisonniers allemands".
"En mars 1957, la presse annonce la mort d'un 'petit avocat musulman'", a rapporté France Culture, citant un livre de l'historienne Malika Rahal, Ali Boumendjel : une affaire française, une histoire algérienne. "Qui a tué Maître Boumendjel ?" titrait aussi France Observateur, alors qu'émergeaient déjà les interrogations sur un faux suicide.
Pourquoi une telle annonce maintenant ?
La reconnaissance de ce crime par la France fait partie des préconisations du rapport Stora sur la colonisation et la guerre d'Algérie, afin de résoudre les tensions autour de la mémoire de ce conflit. Ce document, remis le 20 janvier, a soulevé de vives critiques, aussi bien en France qu'en Algérie, notamment pour ne pas avoir préconisé des "excuses" de Paris pour la colonisation.
>> Guerre d'Algérie : ce qu'il faut retenir du rapport Stora remis aujourd'hui à Emmanuel Macron
"La génération des petits-enfants d'Ali Boumendjel doit pouvoir construire son destin, loin des deux ornières que sont l'amnésie et le ressentiment, explique l'Elysée, dans son communiqué du 2 mars. C'est pour eux désormais, pour la jeunesse française et algérienne, qu'il nous faut avancer sur la voie de la vérité, la seule qui puisse conduire à la réconciliation des mémoires."
"Aucun crime, aucune atrocité commise par quiconque pendant la Guerre d'Algérie ne peut être excusé ni occulté. Ils doivent être regardés avec courage et lucidité."
l'Elyséedans un communiqué
Ce "geste de reconnaissance" "n'est pas un acte isolé", prévient l'Elysée, ajoutant que "ce travail sera prolongé et approfondi au cours des prochains mois, afin que nous puissions avancer vers l'apaisement et la réconciliation".
"Nous ne privilégierons pas de bonnes relations au détriment de l'histoire et de la mémoire, mais les problèmes se règlent avec intelligence et dans le calme, et non avec des slogans", a affirmé lundi soir le président algérien Abdelmadjid Tebboune. A l'approche du 60e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie et de la fin de la guerre, en 2022, Paris et Alger ont fait de cette "réconciliation des mémoires" un dossier prioritaire, sur lequel Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune se sont engagés à travailler ensemble.
Quelles sont les réactions ?
L'ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault a "salué" la décision d'Emmanuel Macron. "Regarder l'histoire en face, c'est être plus fort ensemble", a-t-il écrit sur Twitter. Karim Bouamrane, maire de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), a évoqué sur le même réseau social un "moment historique pour les relations entre la France et l'Algérie". "Notre République en sort grandie", a-t-il jugé.
"Quand donc l'Algérie du FLN avouera-t-elle aussi ses crimes horribles enfermés dans une époque de terreur ?" s'est interrogé Gilbert Collard, député européen, apparenté au Rassemblement national, critiquant Emmanuel Macron.
De son côté, l'historien Benjamin Stora s'est contenté de partager sur Twitter des articles rapportant l'annonce d'Emmanuel Macron, sans davantage de commentaire.
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