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Burkina: patrimoine des chefs d’Etat, le jour où Thomas Sankara a brisé le tabou
Durant son court passage à la tête de son pays de 1983 à 1987, l’ancien président du Burkina, le capitaine Thomas Sankara, avait marqué les esprits en déclarant publiquement ses biens. 30 ans après, peu de chefs d’Etat sur le continent se prêtent à l’exercice. Qu’en est-il aujourd’hui «au pays des hommes intègres»? Géopolis fait le point avec Maître Bénéwendé Sankara, homme politique burkinabè.
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Il fut le premier appelé à la barre de la Commission du Peuple, chargée de la Prévention contre la Corruption (CPPC) mise en place sous sa présidence. C’était le 19 Février 1987. Une audition dont des extraits ont été publiés par l’historien Roger Bila Kaboré dans son livre «Histoire politique du Burkina Faso 1919-2000, publié aux éditions l’Harmattan.
Devant une salle incrédule
Thomas Sankara jure de dire la vérité, toute la vérité. Puis il énumère la liste de son patrimoine: «Un frigidaire, trois guitares, deux téléviseurs avec magnétoscope, dont un à son bureau, une bibliothèque, une voiture, quatre vélos…»
Sur la liste qu’il parcourt devant une salle incrédule figure aussi une villa acquise grâce à un crédit bancaire, avec documents à l’appui, une voiture achetée en 1978, régulièrement dédouanée en dix-huit mensualités auprès du trésorier-payeur général et un terrain dans son village.
Thomas Sankara signale qu’il ne possède ni actions, ni effets de commerce. Il précise qu’il vit de son salaire de 138.736 francs CFA (201 euros) auquel s’ajoutent 192.698 francs CFA (300 euros), équivalents au salaire de sa femme, un peu plus élevé que le sien. La salle éclate de rire.
Des chèques sans provisions pour des parents trop pressants
A la sortie de cet exercice inédit, la presse burkinabè lui fait remarquer qu’il est sans doute l’un des chefs d’Etat les plus pauvres du monde. Vous sentez-vous le droit d’imposer votre austérité à vos proches? lui demande un journaliste.
Oui, répond Thomas Sankara, «je crois qu’il faut se l’imposer et l’imposer aux autres. Il faut des moyens pour vivre, mais ce ne seront tout juste que des moyens. Et pour cela, je me suis toujours efforcé d’acquérir honnêtement le peu de moyens que j’ai.»
Il raconte ensuite aux journalistes ses déboires bancaires à la suite de nombreuses sollicitations de la famille élargie: «Des parents sont souvent venus à moi, m’ont demandé de l’argent. Ils ne comprennent pas que le président du Faso leur réponde qu’il n’en a pas. Parfois, pour me débarrasser de ceux qui insistent de façon pressante, je leur ai remis des chèques qui m’ont valu d’être en rouge au niveau de ma banque.»
Des dons en argent versés au trésor public
Thomas Sankara fut assassiné quelques mois après avoir fait la déclaration de son patrimoine. Il emporta dans sa tombe ses rêves de rigueur et d’austérité.
Ceux qui l’ont connu sont formels. Il n’a laissé aucune fortune à sa famille, comme en témoigne Maître Bénéwendé Stanislas Sankara, homme politique burkinabè sans aucun lien de parenté avec l’ex-président.
«Vous savez, quand le président Sankara reçevait de l’étranger des dons en argent, il les reversait directement au trésor public. Il contraignait aussi ses ministres à faire de même. Il n’a pas amassé de fortune. Il ne pouvait donc pas en laisser à sa famille.»
Blaise Compaoré, «le règne de la corruption et de l’impunité»
Maître Bénéwendé Stanislas Sankara raconte à Géopolis comment la mal gouvernance s’est installée dans le pays après la disparition soudaine du jeune capitaine, assassiné par son frère d’armes Blaise Compaoré qui dirigea ensuite le pays pendant 27 ans.
«Pendant plus de 27 ans, la corruption et l’impunité ont fait le lit et le socle du régime de Blaise Compaoré», dénonce-t-il. «Il a fallu l’insurrection populaire d’octobre 2014 au Burkina Faso pour qu’on revienne avec le Conseil national de transition sur une loi anti-corruption dont l’objectif est de renforcer les mesures visant à prévenir et à combattre la corruption. Et surtout de promouvoir l’intégrité, la transparence et la bonne gouvernance. Cette loi a été votée et aujourd’hui, elle est plus ou moins en train d’être appliquée.»
Face à la pression de l’opinion publique, le parlement burkinabè avait voté en mai 2002 une loi censée contraindre les dirigeants de l’époque à déclarer leur patrimoine avant d’entrer en fonction. La loi s’adressait non seulement au président de la République, mais aussi à tous ses principaux collaborateurs, aux dirigeants des grandes entreprises nationales et aux hauts gradés de l’armée. Elle n’a jamais été appliquée.
«Blaise Compaoré faisait chaque fois de la parodie. Quand on lui demandait de faire la déclaration de ses biens, il tournait en comédie. Il a toujours remis une enveloppe fermée que personne n’a jamais vue. Ce n’était pas publié. Ce n’est qu’aujourd’hui, avec l’enquête parlementaire sur le foncier, qu’on vient de découvrir qu’il avait dans sa commune natale, plus d’une centaine de parcelles à lui seul. Donc vous comprenez que c’est une loi qui était là mais qui n’était pas appliquée dans les faits.»
«Des habitudes qu’il va falloir changer»
Maître Bénéwendé constate que les choses sont en train de changer depuis le soulèvement populaire d’octobre 2014. Le nouveau président du Burkina, Rock Marc Christian Kaboré s’est soumis à ce rituel constitutionnel. Il a fait une déclaration de son patrimoine de même que la plupart des membres de son gouvernement.
«Ce qui a changé, c’est qu’après l’insurrection d’octobre 2014, le Conseil national de la Transition a légiféré. La nouvelle loi est plus explicite. Elle élargit le champ des personnes assujetties à la déclaration de patrimoine qui peut être publiée au Journal Officiel. Il y a donc plus de traçabilité et de transparence avec cette loi. Il y a aussi des sanctions qui sont prévues dans la nouvelle loi.»
Nous venons de très loin, soupire Maître Bénéwendé: «iIl y a des habitudes qu’il va falloir changer. Malheureusement, la rupture n’est pas encore totale.» Mais il estime que le pays de Thomas Sankara est en voie de retrouver ses lettres de noblesse.
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