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Quand la Côte d’Ivoire se met aux télénovelas et autres séries sentimentales

«Le prix du pardon», «Mara, une femme unique», «Amour à Manhattan», «Fleur Caraïbes»... En quelques années, les télénovelas (feuilletons télévisées diffusés dans les pays d’Amérique latine) et autres séries à destination des femmes sont devenus omniprésentes sur les écrans africains. Notamment en Côte d’Ivoire où elles passionnent autant les femmes que les hommes.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Dans un salon de coiffure à Treichville, banlieue d'Abidjan (Côte d'Ivoire), à l'heure d'un télénovela le 23 août 2017... (AFP - SIA KAMBOU)


«Quand je regarde une série, j'oublie tous les petits soucis», assure Abe Mireille, coiffeuse à Cocody, un quartier d'Abidjan. «Et quand ça commence, il faut juste prier Dieu pour que rien ne soit sur le feu. Sinon, ça brûle !», rigole Traoré Adama, un chauffeur de taxi dans la commune populaire de Koumassi, à Abidjan.
           
Novelas TV (dont le slogan est «votre cœur bat plus fort»), une chaîne commercialisée par le groupe Canal+ et entièrement dédiée aux télénovelas, est la première à dépasser les 10% de parts d'audience sur l'univers panafricain, selon la dernière étude Africascope 2017. Etude qui porte sur les audiences de septembre 2016 à juin 2017.
 


Le réseau TV américain en espagnol Telemundo s'est, lui aussi, lancé en Afrique depuis 2013 avec une chaîne qui diffuse des télénovelas de jour comme de nuit.
 


Ces interminables feuilletons télévisés proviennent souvent d'Amérique latine et s'articulent généralement autour de liaisons amoureuses complexes.
 
«J'apprécie les histoires qui sont racontées. Même si elles se ressemblent toutes, ce qui est intéressant, c'est comment les choses se déroulent et pas comment elles vont finir. Et puis quand les histoires me touchent, je réagis toute seule: je commente, je rigole. Il m'arrive même parfois de parler seule...», reconnaît Karamoko Diane, vendeuse dans la commune d'Adjamé (Abidjan).

Divertissement et évasion
Les diffuseurs et les publicitaires ont bien cerné l'impact grandissant de ces séries et ont ciblé des horaires pour le public féminin. C’est-à-dire pendant la journée, aux heures où les hommes de la maison sont partis ou ne sont pas encore rentrés. Ils visent aussi les femmes qui disposent de petits écrans sur leur lieu de travail (ménage, coiffure, couture...)

«Sur la RTI (télévision nationale ivoirienne), nous avons trois tranches horaires dédiées au télénovelas. Le matin à 8h, on trouve les télénovelas indiennes. A 13h et à 18h, il y a les télénovelas brésiliennes», confie le chargé de programmation à la RTI, Ouya Monnier.

Les sociologues tentent d’expliquer le phénomène. «Dans les pays en voie de développement, la population a plus tendance à regarder la télévision. C'est un moyen de divertissement et d'évasion» dans ces pays où l'offre culturelle est faible ou chère, souligne Yao Yao, enseignant à l'université Félix Houphouët-Boigny. De plus, les télénovelas sont accessibles à tous, relève-t-il.
 

A l'heure du «Prix du pardon» dans un domicile d'Abidjan le 24 août 2017 (AFP - SIA KAMBOU)


«Tu reconnais vite les personnages, et ils ne sont pas nombreux. Quand tu suis, normalement, tu comprends de quoi il s'agit», précise Séry Tiane, agent de sécurité à Cocody.

Constatant le succès des séries souvent tournées dans des décors bon marché, les producteurs africains et européens se sont rués sur le créneau. Avec des ambitions de qualité et des scénarios davantage travaillés que leurs concurrentes sud-américaines, disent-ils.

Le «public est très en demande de grandes séries d'Afrique francophone, sachant qu'il en consomme déjà (certaines en provenance) de l'Afrique anglophone» ou lusophone (celle où l’on parle portugais), soulignait récemment Damiano Malchiodi, directeur de la chaîne A+, filiale du groupe français Canal+. Le même public est également très intéressé par les séries latino-américaines.
 
Le groupe audiovisuel, qui refuse de communiquer ses chiffres, a investi massivement dans des productions locales, relançant notamment la série culte Ma famille. Avec une nouvelle série intitulé… Ma grande famille, laquelle sera diffusée à partir de décembre 2017 sur la chaîne A+.
 


A+ compte désormais parmi les 10 chaînes panafricaines les plus regardées, selon le groupe Canal+, citant la dernière étude Africascope 2017.
             
«La femme qui bouge». Mais pas seulement…
S'appuyant sur l'intérêt pour les séries, le producteur Narcisse Kouassi travaille, quant à lui, sur un projet d'une centaine d'épisodes d'adaptation télévisée de récits recueillis auprès des lecteurs d'un journal (GoMagazine, le magazine de «la femme qui bouge»). «Quand on lance un tel projet, c'est qu'on croit et qu'on espère que le public y sera sensible. On sait qu'aujourd'hui, les Africains accordent de plus en plus d'importance aux récits travaillés, mais aussi à la qualité du travail cinématographique», explique-t-il.

De son côté, la RTI confie vouloir encourager la production de télénovelas locales. «Nous cherchons à valoriser les productions locales mais nous n'avons pas encore beaucoup de propositions», précise son chargé de programmation. Mais pour lui, «c’est un marché qui gagne du terrain».

Si tel est le cas, c'est aussi parce que ce marché attire de plus en plus d'hommes... Adamo, 27 ans, agent d'entretien à l'université Félix Houphouët-Boigny, le reconnaît: «Moi, j'aime regarder les télénovelas. Mais je ne trouve pas forcément le temps de les suivre à cause de mes horaires de travail. Ce qui est décrit dans ces séries nous concerne tous. Qu'on soit homme ou femme».
 

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