«100% Bled»: une BD provocatrice de Salim Zerrouki sur «nous, les Arabes»
La BD ne raconte pas une histoire. C’est une suite de scénettes décrivant très subjectivement la vie quotidienne, du plus sérieux au plus léger: le mariage, le travail, la voiture, le ramadan, les cafés… Et c’est violent. Des exemples? Sur le travail: «Si vous voulez tuer un Arabe, faites le travailler»… Sur le ramadan: «Déjà qu’on est fainéant, mais pendant ramadan on se surpasse.»
«L'autodérision une seconde nature»
Salim Zerrouki prévient tout de suite «l’autodérision, c’est une seconde nature chez nous», nous dit-il avec une voix aussi douce que son crayon peut être grinçant. Ces histoires qui font le contenu de la BD, «ce sont les discussions qu’on peut avoir au café entre nous».
Une autodérision qu’il qualifie souvent d’humour noir, un humour très algérien, celui que l’on trouve chez Fellag ou Dilem. Cet humour, c’est celui «qui nous a permis de tenir pendant la décennie noire» (1991-2002), qui a profondément touché les Algériens. Zerrouki se souvient de ces années-là: «J’avais 13 ans à l’époque, c’était école-maison, couvre-feu, alertes à la bombe…», raconte-t-il.
A Cannes, «j'ai tout de suite tilté»
Salim Zerrouki a fait ses études aux Beaux-Arts d'Alger avant de s'installer à Tunis où il exerce ses talents dans la pub. L'idée de faire une BD est venue après. «C'est à Cannes, pour un Festival de la publicité, que j'ai tilté. Boom! Le choc des civilisations! Je me retrouve d’un coup dans un monde nickel, propre, beau, organisé, esthétique, parfait même si je sais que Cannes n’est qu’une vitrine. J’étais vraiment triste de constater le fossé qui sépare nos deux civilisations (civilisation, c’est trop dire pour nous). C’est là que je me suis dis: "Mais franchement, comme ils seraient bien sans nous, les Arabes. Nous on est juste bon pour foutre la merde..." et c’est comme ça qu’est né le titre!»
Un titre qui a été édulcoré. Puisque le mot «arabe» a disparu au profit d'un «nous» beaucoup plus soft.
L’exercice d’autodérision graphique réalisé par Zerrouki n’est pas simple. Rire de soi n’est pas toujours facile et les plus critiques pourront trouver la BD pas toujours drôle. Certains pourront même s’interroger et la trouver douteuse. D'ailleurs, dès le début de sa BD, il note le danger de voir ses caricatures exploitées. «Les réactions, je les crains peut-être plus du côté des Occidentaux, si des gens du FN ou d’extrême-droite en profitent pour encore enfoncer le clou. Mais chez nous, je ne les crains pas, je les assume!» Il désarme ce risque en inscrivant en bas d’un de ses dessins: «Les fonds de recherche pour cette solution ont été fournis par le FN.»
Et comme tout bon dessinateur algérien, il ne peut s'empêcher de se moquer du président algérien.
Au delà de la critique et de la caricature, il conclut sa BD en expliquant: «Nous les Arabes, on pense éternellement être victimes d’un complot manigancé par l’Occident pour nous anéantir, nous les Arabes, nous le peuple choisi, et c’est par cette conspiration qui se trame dans notre dos qu’on justifie nos échecs et notre sous-développement. De cette réflexion est né cet album joignant humour noir et autodérision pour mettre en évidence un certain nombre de problèmes (…) et démontrer que le vrai problème vient de nous et non pas des autres»…
«100% Bled. Comment se débarasser de nous pour un monde meilleur»,
de Salim Zerrouki
Ed. Encre de Nuit (pour la France)
Ed. Lallah Hadria (Tunisie)
60 pages 12 euros (France)
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.