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Comment les frontières du Congo ont-elles été dessinées ? Le roman "Ténèbre" de Paul Kawczak explore les débuts de la colonisation belge

A la fin du XIXe siècle, les puissances européennes se partagent l'Afrique. En 1890, le roi des Belges envoie un géomètre effectuer le tracé du territoire du Congo. L'auteur Paul Kawczak remet dans le contexte de l'époque l'épopée sanglante de cette "mission civilisatrice".

Article rédigé par Michel Lachkar
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
La colonisation belge du Congo a été particulièrment brutale : caoutchouc, ivoire, minerais incitent le roi Léopold II et les compagnies concessionnaires à entreprendre l'exploitation impitoyable de la population. (ANN RONAN PICTURE LIBRARY)

Si les frontières sont le plus souvent naturelles ou historiques, en Afrique elles ont été tracées "à la règle", en quelques heures, à la conférence de Berlin par les puissances européennes. Restait à les définir précisément afin d’éviter d’inutiles conflits. "En ces temps, les cartes du continent noir étaient blanches, encore à tracer", écrit Paul Kawczak dans son roman Ténèbre, avec quelques fleuves, ou lacs, mais surtout de vastes espaces laissés en blanc, des espaces où les Européens n'ont encore jamais posé le pied. "La conférence de Berlin n'avait posé qu'un partage théorique des terres africaines, elle avait décidé de règles floues et voraces suivant lesquelles le continent serait mutilé." Le cœur du continent nourrissait bien des fantasmes. Les rives du fleuve Congo, intéressaient à la fois les Portugais, les Français et le roi des Belges Léopold II. A la conférence de Berlin, toute la rive gauche du fleuve Congo a été attribuée au souverain à titre de propriété privée.

Pour les "richesses du Congo, particulièrement convoitées, la France et l’Angleterre étaient prêtes à jouer de toutes les ambiguïtés de la jungle pour tenter de repousser un peu plus les frontières en leur faveur", poursuit Paul Kawczak. "La frontière Nord incertaine, pouvait devenir source de discorde. Il n’y avait qu’une chose à faire : la matérialiser, puis en dessiner le tracer exact une bonne fois pour toutes sur des cartes détaillées et précises."

Délimiter et cartographier les frontières

"Mais comment arrêter dans la réalité d’espaces immenses les frontières d’un continent invisible à l’œil blanc ?"  Le héros du roman est un géomètre chargé de tracer les frontières de "l'Etat libre du Congo", alors propriété personnelle du roi des Belges. En 1889, Pierre Claes est mandaté par le roi Léopold II pour en délimiter les frontières. Le jeune diplômé de la société des géomètres d’Anvers commence sa descente du fleuve Congo à bord du vapeur Fleur de Bruges.

Arrivés juste après les explorateurs Livingstone, Stanley ou Savorgnan de Brazza, les géomètres travaillaient pour la science géographique et surtout pour leur pays. "Pierre Claes devait matérialiser, à même les terres sauvages, comme tombé du ciel, le tracé exact de ce que l’Europe nommait alors le progrès."

"Ténèbre", roman de Paul Kawczak, publié aux éditions La Peuplade.  (EDITIONS LA PEUPLADE)

Tracer les frontières en observant les étoiles

"A cette époque, un géomètre marquait la terre, mais scrutait le ciel. Les frontières idéales se matérialisaient à partir des étoiles dont l’apparente fixité était encore l’aune de l’absolu pour les hommes. Pierre Claes, par de savants calculs, abaisserait sur Terre les étoiles au sol, et de leur majesté ne resterait que le tracé invisible d’un pouvoir arbitraire : là passerait la frontière. Claes réduirait l’infini en politique."

Léopold II n’a cédé sa colonie personnelle qu’en 1908, sous la pression du scandale international provoqué par les exactions commises pour tirer un maximum de caoutchouc naturel du territoire. Il l’a alors vendue à l’Etat belge. La colonisation commence et avec elle, le travail forcé dans les plantations de caoutchouc, où toute évasion est punie de mort. Si l'exploitation coloniale construit des routes et des voies ferrées, c'est avant tout pour évacuer l'ivoire et le caoutchouc. Cette économie des plantations "s'accompagne d’un cortège de crimes, de mutilations infligées à des milliers de Congolais par la terreur du temps de Léopold II". 

Tomber le masque de la mission civilisatrice

Le roman est donc une plongée dans "l'effroi de la colonisation", dépeinte sans concession par Paul Kawczak. "Ces hommes avaient été épuisés à en mourir. Ces hommes avaient été humiliés, violentés, meurtris, brisés dans leurs affections, mutilés dans leurs amours, leurs existences, leurs aspirations et leurs rêves." Dans ce roman halluciné et poétique, claire référence au roman de Joseph Conrad Le cœur des ténèbres, Paul Kawczak parodie les récits d’aventures du XIXe siècle dans une peinture terrible de la violence coloniale et de sa bonne conscience "civilisatrice".

Voyage au bout de la nuit, où la malaria laisse peu de chance à l’homme blanc. "Pierre Claes ne savait pas qu’en 1890, le taux de mortalité des agents territoriaux en poste au Congo était de un pour trois, sans compter les handicaps majeurs et parfois définitifs, qu’entraînaient les maladies équatoriales." Un roman où l'Eden africain ressemble le plus souvent à l’enfer, où les personnages et les mots sont emportées par les fièvres. Un roman à l’écriture puissante comme le fleuve Congo.

Ténèbre, de Paul Kawczak,
aux éditions La Peuplade

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