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"De sable et de feu" : un film sur les traces d'Ali Bey, l'espion espagnol qui se rêvait sultan du Maroc

Le cinéaste marocain Souheil Benbarka relate sur grand écran les aventures du "tout premier grand espion européen". Entretien.

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Ali Bey (en bleu), alias Domingo Badia, face au sultan du Maroc dans une scène du film "De sable et de feu" du réalisateur marocain Souheil Benbarka. (Photo du film "De sable et de feu" de Souheil Benbarka)

De Sable et de feu, sorti en salles le 18 septembre, s'inscrit dans les pas de deux Occidentaux, l'officier espagnol Domingo Badia et la Britannique Lady Hester Stanhope, qui se tournent vers le monde arabe au début du 19e siècle. La fiction est une fenêtre épique sur le fabuleux destin du pseudo prince syrien Ali Bey el-Abbassi.

franceinfo Afrique : qu’est-ce qui vous a poussé à nous raconter l’histoire d'Ali Bey, cet espion espagnol qui se rêvait sultan du Maroc ?

Souheil Ben Barka : son histoire, vraie, est extraordinaire. C'est Lawrence d’Arabie, 80 ans avant lui, et c’est le tout premier grand espion européen. J’étais en repérage pour un autre film sur Léon l’Africain, quand mon coproducteur espagnol m'a mis un livre entre les mains. Jusqu’à il y a cinq ans, je n’avais jamais entendu parler de Domingo Badia, alias Ali Bey. C'est un conspirateur de génie qui a parfaitement cerné le personnage du sultan du Maroc, Moulay Slimane. Il a mis tout le monde dans sa poche, notamment l'empereur Napoléon et son ministre des Affaires étrangèresTalleyrand.

Pourquoi s’est-il laissé emporter par ce rêve ?

Ali Bey était très aimé au Maroc, à tel point que le sultan Moulay Slimane, qui l’avait bien compris, avait peur de lui. Il savait parler aux gens, distribuait de l’argent, était courageux parce qu’il était contre l’esclavage, qu'il prenait position pour les juifs à une époque où c’était totalement en impensable pour l'Arabe qu'il était censé être. Il faut se rappeler que nous sommes en 1803 ! C’était un "prince" différent des autres. Le peuple l’aimait beaucoup parce qu’il prenait le parti des plus démunis.

Comment vous-êtes-vous documenté pour écrire votre scénario ?

Quand j’ai découvert l’histoire d’Ali Bey, je suis resté quatre mois à Paris à éplucher les documents disponibles à la Bibliothèque nationale, où l’on dispose d’une documentation extraordinaire. Je suis revenu au Maroc avec des milliers de  photocopies et plusieurs livres. Avec Bernard Stora (scénariste français, NDLR), j’ai mis trois ans à décider ce qu’il fallait garder pour faire un film de deux heures.

"De Sable et de feu" est aussi le récit d’une rencontre amoureuse, celle d’Ali Bey et de la nièce du Premier ministre britannique de l’époque, William Pitt. Qui est Lady Hester Stanhope, considérée comme une pionnière dans le monde l’archéologie ?

C’est un personnage tout aussi exceptionnel, voire plus : la nièce du Premier ministre britannique va devenir reine de Palmyre. Un destin auquel elle a toujours cru. Elle était convaincue qu’elle était la nouvelle Zénobie (reine du "royaume" de Palmyre dans l’Antiquité, NDLR). Il y a eu plus de 60 livres sur Lady Hester Stanhope. Quand elle rencontre Ali Bey, ce prince syrien, grand astronome qui avait découvert la distance entre Jupiter et Saturne, elle en tombe follement amoureuse.

Convertie à l'islam, elle devient fanatique... 

Elle tuait tous ceux qui refusaient de se convertir à l’islam. Tout se mélangeait dans sa tête, mais elle avait une certitude : il fallait que tout le monde soit musulman comme elle... C'est une histoire très actuelle. 

Dans le film, Ali Bey et Lady Hester représentent deux visions de l'islam qui se confrontent. Dans une scène, le premier souligne que cette opposition, si elle devait se répandre dans le monde musulman, engendrerait la guerre... 

Ali Bey avait prévu, 150 ans auparavant, ce que nous vivons aujourd’hui entre musulmans. Comme à l'époque, à l'instar de ces deux protagonistes, nous nous déchirons aujourd'hui autour de deux visions de l'islam, l'une modérée et ouverte, l'autre radicale et violente.

Le sultan a finalement su qu’Ali Bey était un espion à la solde de l’Espagne. Quel souvenir garde-t-on de ce pseudo prince au Maroc ?

Le peuple croyait qu’il était un abbasside, c’est-à-dire un descendant direct du prophète. Quand le sultan a su que c’était un usurpateur, il l’a gardé pour lui pour s’éviter toute humiliation. C’est pour cela qu’il l’envoie à La Mecque afin qu’il ne revienne plus jamais. Les Marocains n’ont su que très récemment qui il était. Il y avait une statue de lui à Tanger, qui a été démolie il y a quelques années. Il y avait également une rue à son nom. C’est parce que les gens ont protesté contre la destruction de sa statue qu’ils ont su que c’était un espion espagnol. Je n'ai eu ces informations – des clichés m'ont été envoyés  qu'après le tournage. Autrement, mon film aurait démarré avec cette séquence.

Le casting réunit de grands comédiens, les Italiens Giancarlo Giannini et Carolina Crescentini, et les Espagnols Marisa Paredes et Rodolfo Sancho. Vous ont-ils dit oui tout de suite ?

Absolument. C’est une belle histoire qu’aucun de ces comédiens ne connaissait. Ils l’ont découverte grâce au scénario.

De Sable et de feu de Souheil Benbarka
Avec Rodolfo Sancho, Carolina Crescentini, Marisa Paredes et Giancarlo Giannini  
Sortie française : 18 septembre 2019

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