"J'ai eu l'impression de voir le film de Djibril pour la première fois" : Wasis Diop, à propos de la copie restaurée de "Hyènes"
L'extraordinaire histoire de vengeance de Linguère Ramatou contée par le cinéaste sénégalais Djibril Diop Mambéty, "Hyènes", est à (re)découvrir dans une version restaurée dans les salles françaises le 2 janvier 2019. Entretien avec le frère du cinéaste disparu, Wasis Diop, qui a composé la musique du film.
Hyènes est le récit d'un retour qui va plonger les habitants de Colobane dans la tragédie, notamment Draman, l'épicier (Mansour Diouf). Son amie Linguère Ramatou (Ami Diakhate) est de retour, après de longues années d'exil où elle a fait fortune. Dans cette localité pauvre, son argent va bientôt faire la pluie et le beau temps. Ce classique du cinéma africain, signé du réalisateur sénégalais Djibril Diop Mambéty, est sorti en 1992. Il a été sélectionné la même année en compétition officielle au Festival de Cannes. C'est d'ailleurs sur la Croisette que la copie restaurée, à l'initiative du producteur suisse du film Pierre-Alain Meier, a été projetée pour la première fois en mai 2018.
Franceinfo Afrique : Que représentait ce film pour votre frère ?
Wasis Diop : C'était un vrai grand projet pour lui. Avant de tomber sur la pièce de Friedrich Dürrenmatt, La Visite de la vieille dame, Djibril avait écrit une histoire similaire. Une femme très riche arrivait, le vendredi, toujours dans le même bar, distribuait de l'argent et repartait. Chaque vendredi, tous les garçons et les filles attendaient son retour, jusqu'à ce qu'elle ne revienne plus. Djibril a donc fusionné son histoire avec ce que le grand Dürrenmatt a écrit, pour produire cette adaptation. Hyènes est un film incroyablement important pour l'Afrique. Je l'ai revu, dans le cadre de la préparation de la sortie à Paris, et j'ai eu l'impression que c'était la première fois que je voyais ce film. Car j'avais suffisamment de recul pour l'apprécier.
Quand vous avez travaillé sur un film, vous n'en voyez que les défauts. Je suis musicien et quand j'écoute mes œuvres, je ne suis pas content au début. C'est plus tard, chez des amis, que j'apprécie ma propre musique. C'est ce qui m'est arrivé durant la projection de Hyènes et je l'ai dit à beaucoup de gens : j'ai eu l'impression de voir le film de Djibril pour la première fois. C'était réjouissant et j'étais content pour lui, comme capitaine, et pour nous, ses fidèles lieutenants, d'avoir fait un film comme cela. Plus le temps passe, plus ce film sera important parce que c'est la problématique du monde d'aujourd'hui : l'ancêtre de tous les ancêtres, l'argent, est en train de bouleverser le monde et cela ne fait que commencer. Et Hyènes ne parle que de ça.
La star américaine Beyoncé en a donné la preuve en prenant la pose, avec son époux Jay-Z, sur une moto semblable à celle du couple mythique de Touki Bouki (Le voyage de la hyène), l'autre grand film de Djibril Diop Mambéty. Comment expliquez-vous que votre frère laisse une telle empreinte au-delà du continent africain ?
La modernité est éternelle. Tout ce qui se démode n'est pas vraiment moderne. Djibril était extrêmement moderne. Tout ce qu'il a fait s'inscrit dans l'intemporalité. C'est son talent. C'est ainsi qu'il voyait le monde. C'était un artiste sincère, solitaire, seul au monde...
Quelle est la filiation entre Hyènes et Touki Bouki ?
La question que l'on peut poser sur le cinéma de Djibril, c'est de savoir qui de Hyènes ou de Touki Bouki est son œuvre principale. DansTouki Bouki, Anta part et Mory reste. Dans Hyènes, Anta revient et elle a un dessein particulier en ce qui concerne Mory... Hyènes est la suite intrinsèque de Touki Bouki.
Comment avez-vous travaillé sur la musique de ce film, l'une des premières de votre longue carrière cinématographique ?
La musique est là pour souligner la part non raisonnable d'un film, c'est-à-dire l'émotionnel. La musique accompagne et j'ai accompagné Djibril dans Hyènes. Nous en avons parlé tous les soirs. La musique est aussi de lui parce que c'est ce qu'il a voulu. Je n'ai fait qu'essayer de le satisfaire.
Djibril ne jouait pas, mais il aurait pu être un musicien parce que la musique était importante pour lui. Ses films sont musicaux. J'ai eu la tâche d'achever Hyènes par la musique. Je pense que je n'avais jamais été aussi loin dans une musique de film.
Quel souvenir gardez-vous de ce tournage avec votre frère ?
Le plus grand souvenir que j'ai est la peur du premier jour. Nous nous sommes retrouvés avec une équipe tellement immense, parce que Hyènes est un western avec beaucoup de figurants. Le bus arrivait chaque jour et débarquait des gens. Nous nous demandions comment nous allions faire. C'était extraordinaire.
Je me rappelle aussi que mon frère avait eu un petit accident, pas très grave, mais qui le faisait boiter. Il lui a donc fallu une canne. C'était un bienfait incroyable. Djibril avait sa canne, il pouvait réfléchir, il ne courait jamais... Je me souviens (sourire aux lèvres) de mon frère boitant et travaillant.
Bande annonce Hyènes - Fr from Thelma Film AG on Vimeo.
Hyènes de Djibril Diop Mambéty, avec Mansour Diouf, Ami Diakhate, et Makhouredia Gueye. Date de sortie: 2 janvier 2019 dans sa version restaurée.
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