Cet article date de plus de six ans.
Le Nigeria, épicentre culturel africain
Lancée de Lagos par le président Emmanuel Macron en visite au Nigeria, la Saison des cultures africaines se tiendra en 2020 en France. Le dirigeant français s'appuie sur la créativité nigériane, figure de proue de l'industrie culturelle d'un continent dont le Nigeria est le pays le plus peuplé et la plus grosse économie.
Publié
Mis à jour
Temps de lecture : 13min
C’est de Lagos, la bouillonnante capitale économique du Nigeria et dans la moiteur d'une mythique boîte de nuit, le New Afrika Shrine, que le président Emmanuel Macron annonce l’organisation de la Saison des cultures africaines en France en 2020 dans la soirée du 3 juillet 2018, en marge de la première visite officielle d'un chef d'Etat français au Nigeria.
L’idée de cet évènement avait été rendue publique le 28 novembre 2018 lors de son séjour burkinabè. Objectif visé par le président français: «Faire connaître à la France, aux jeunes Français, la création des jeunes générations africaines dans la mode, dans la musique, dans le cinéma, dans le design.»
La Saison des cultures africaines prend son élan dans le temple musical que s’était construit Fela Anikulapo Kuti, le roi de l’afrobeat dans les années 70. Le Shrine est une boîte de nuit située dans la banlieue de Lagos, à Ikeja. A la mort de Fela Kuti, en 1997, le Shrine connu dans le monde entier est tombé en désuétude. Femi, l’un des fils de Fela qui est également un musicien, lui redonne vie en 2000. Le New Afrika Shrine naît alors.
«Le bon côté du Nigeria, c’est la culture»
Emmanuel Macron, en choisissant ce lieu vibrant de la culture nigériane, inscrit son initiative dans le dynamisme culturel du pays le plus peuplé d’Afrique. Et aujourd’hui première puissance continentale. Pour l’écrivain et journaliste français Pierre Cherruau, qui connaît et s’est inspiré du décor nigérian pour ses ouvrages, «Emmanuel Macron appartient à une génération d’hommes politiques français qui a compris que la France ne pouvait plus se contenter de la seule aire francophone en Afrique. (...) Au Nigeria, Paris veut éviter de prendre du retard dans le domaine culturel alors que les jeunes sont tournés vers les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, et que la Chine cherche à étendre son influence.»
«Il est très intéressant d’approcher ce pays-là par la culture», estime pour sa part Pierre Barrot, spécialiste de programme chargé de l’audiovisuel et du cinéma à l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF). «Les autres façons d’aborder le Nigeria, c'est le pétrole, l’économie ou bien Boko Haram et ce n’est pas toujours la meilleure façon. Le bon côté du Nigeria, c’est la culture. On ne peut pas dire le contraire. De fait, le Nigeria est devenu une puissance culturelle (…) en développant un modèle qui lui est propre et qui n’est comparable à aucun autre. A la limite, ils ont été imités. Ce que les Nigérians ont fait à partir des années 90 avec Nollywood et le phénomène de diffusion de films directement auprès du public via la video, c’est Netflix aujourd’hui», explique celui qui a coordonné l’ouvrage collectif Nollywood, le phénomène vidéo.
Si Emmanuel Macron parle à l’Afrique culturelle de Lagos, c’est notamment parce la production audiovisuelle nigériane, Nollywood, domine le continent. A l’instar des Etats-Unis, à l’échelle de la planète, les Nigérians conquièrent depuis des décennies leurs voisins africains avec leurs images, leur musique, leur littérature et leur art art (contemporain).
Le phénomène n’est pas nouveau mais il est aujourd’hui encore plus palpable. En 2015, selon les statistiques de l’Unesco, le Nigeria, «Naija» comme le surnomme les Nigérians, comptait parmi les plus grands producteurs de films (ceux qui ont produit plus d’une centaine d’œuvres). Quelques années plus tôt, en 2009, Nollywood détrônait Hollywood en tant que deuxième plus importante industrie cinématographique du monde.
Les écrans africains nourris par Nollywood
Un bémol néanmoins, la qualité. L’ensemble de la production nigériane, majoritairement en format vidéo, n’est pas considérée comme étant au niveau des standards cinématographiques internationaux. Peu importe, les images circulent! Geneviève Nnaji, Omotola Jalade Ekeinde qui a été récemment invitée à rejoindre la prestigieuse Académie des Oscars, Mercy Johnson, Rita Dominic, Tontoh Dikeh, Funke Akindele, Ramsey Nouah, Olu Jacobs, Patience Ozokwor alias Mama G. et autres stars sont connues au-delà des frontières de leur pays. Le groupe sud-africain de télévision payante M-Net, en lançant AfricaMagic au début des années 2000, «The channel for Africans by Africans (la chaîne des Africains pour les Africains)», y aura beaucoup contribué. La chaîne payante a toujours fait la part belle aux films produits au Nigeria.
«En fin de compte, il y a une plus grande reconnaissance pour les artistes nigérians et l'industrie cinématographique en particulier. Maintenant, les artistes nigérians sont reconnus mondialement parce que DSTv (bouquet satellitaire) projette nos films locaux dans pas moins de 40 pays du continent africain», confiait déjà en 2010 Segun Fayose, le porte-parole du groupe Multichoice (propriétaire de M-Net) au Nigeria au journal Vanguard. C’est d’ailleurs à AfricaMagic que le groupe français Thema TV fera appel pour nourrir une déclinaison francophone d’une offre de fictions africaines, baptisée Nollywood TV, qui débarque en France en 2012. La chaîne a été rachetée depuis par le groupe Canal+.
En 2016, durant le Festival de Toronto où Lagos était la ville invitée, le cinéaste Kunle Afoloyan rappelait combien le marché nigérian et ses quelques 180 millions d’âmes pouvaient être générateurs de revenus pour les futurs partenaires de Nollywood. Et le réalisateur nigérian de rappeler que ses compatriotes étaient cinéphiles et surtout de grands consommateurs de la production locale. «Nous avons verrouillé le marché», avait-il conclu.
La France, qui détient le plus important nombre d’accords de productions dans le monde, ne devrait pas rester insensible à cette offre de collaboration. Dans un tweet, Kunle Afoloyan, qui est l’un des représentants du «New Nollywood» – une production de meilleure qualité et industrie plus structurée capable de fournir «des données chiffrées» à ses partenaires – s’est réjoui de la visite du président français.
The President of France emmanuelmacron will be hosted by The Governor of lagosstate @akinwunmiambode on Tuesday 3rd July at Afrikan Shrine. It’s going be a cultural day like never before.… https://t.co/ABlVyvkIUG
— Kunleafolayan (@kunleafolayan) July 1, 2018
Sur un air «made in Naija»
L'autre talent que le Nigeria exporte encore plus facilement, c'est sa musique. «A l’époque où j’étais au Nigeria (au début des années 2000), se souvient Pierre Barrot, à part Fela Kuti, on n'entendait quasiment pas la musique nigériane. On entendait majoritairement du rap sur les ondes des radios nigérianes. Depuis, il y a eu cet énorme boom. On peut y voir un symbole: Nollywood, qui n'était censé être que du business, a fait finalement émerger la culture nigériane.»
Les dignes héritiers de Fela Kuti, père de l’afrobeat, font fredonner et danser partout sur le continent sur des tubes comme Personally du duo P-Square dont le clip est inspiré de Michael Jackson; de Dami Duro de Davido dont un remix a été produit avec l’artiste américano-sénégalais Akon; Ashawo de Flavour, Eminado de Tiwa Savage en collaboration avec Don Jazzy ou encore Johnny de Yemi Alade. Récemment, c’est le clip du rappeur nigérian Falz, This is Nigeria, inspiré du This is America de l’Américain Childish Gambino, alias Donald Glover, sur les travers du Nigeria qui a fait le buzz.
En 2014, l’artiste nigérian D’Banj décrochait le titre du musicien qui vendait le plus sur le continent («Best selling african artist») au World Music Awards, organisé par la Fédération internationale de l’industrie phonographique (Ifpi). Cette année-là, il était en compétition avec ses compatriotes Wizkid, Davido, Banky W et Iyanya. Wizkid, auteur également de plusieurs tubes, est reparti en 2017 avec le titre du «meilleur artiste» lors de la cérémonie de remise des African Music Awards (Afrima).
En 2017, quatre Nigérians dont Don Jazzy, Wizkid et Davido faisaient partie du top 10 des musiciens africains les plus fortunés, selon un classement établi Forbes. Yemi Alade, Falz, Davido et Wizkid figurent, eux, dans la liste des moins de 30 ans qui font bouger le continent, selon le magazine Forbes Africa. Un détail auquel le président français est certainement sensible, lui qui mise sur la jeunesse africaine.
Une littérature pionnière
Tout comme pour leurs films, les musiciens nigérians abordent des thèmes – famille, amour et succès – qui parlent à leurs compatriotes (dans les principales langues de leur pays ou en pidgin) et à tous les Africains. A la différence près que leurs clips sont dignes de productions hollywoodiennes. Ces récits en images ou en chansons viennent compléter d'autres.
A l’instar de Wole Soyinka, le premier Africain et le premier Noir à décrocher un prix Nobel de littérature (1986), ou Chinua Achebe, auteur de Things Fall Apart (Tout s’effondre), classique de la littérature africaine enseigné dans les établissements du continent, y compris dans les pays francophones, et traduit dans une cinquantaine de langues. «"Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, l’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur", dit un proverbe africain que Chinua Achebe aimait à citer. Avec ce roman magistral, il devenait l’un des premiers lions du continent à prendre la plume», peut-on lire sur le site de l’éditeur français Actes Sud.
Echapper à «l’histoire unique», c’est aussi le mantra d’une autre Nigériane, Chimamanda Ngozi Adichie, qui s’est imposée sur la scène littéraire internationale avec Americanah. Elle y raconte le parcours d’une diaspora nigériane qui vit entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Cette diaspora qui participe au dialogue culturel entre l’Afrique et le monde.
Cette dynamique a également fait ses preuves en matière d’art contemporain. Okwui Enwezor, qui vient de quitter son poste de directeur artistique du Haus der Kunst à Munich (Allemagne), est l’une des figures majeures de l’art contemporain africain. Celui qui a été le commissaire de la Biennale de Venise en 2015 a souvent fait l’objet de critiques contradictoires – trop occidentalisé ou trop porté sur l’Afrique, rappelle M, le magazine du Monde qui faisait son portrait en janvier 2015. Il y a le curateur, mais il a surtout les artistes. A l’instar du Nigérian d’adoption, le Ghanéen El Anantsui, premier artiste originaire d'Afrique sub-saharienne à avoir été invité à la Biennale de Venise. Dans une rétrospective de l’année 2016 qu’elle a estimée faste pour le continent africain et le Nigeria, la journaliste Bukola Oye soulignait qu'il avait été fait docteur honoris causa par l'Université Harvard.
La dynamique de l'art contemporain
De même, «Njideka Akunyili Crosby, artiste nigériane vivant à Los Angeles, a reçu le prix Canson 2016 pour "Art on Paper" et son œuvre "Drown" (2014) a été vendue (à plus d'un million de dollars) à Sotheby's New York Contemporary Art en novembre 2016, établissant un nouveau record pour l'art contemporain aux enchères (…). L'artiste sonore berlinoise Emeka Ogboh a reçu le prix Böttcherstraße 2016 de la Kunsthalle Bremen en Allemagne pour un projet mettant en lumière les défis de la migration mondiale. Le Böttcherstraße Award est l'un des prix les plus prestigieux dans le domaine de l'art contemporain en Allemagne.»
Et depuis novembre 2016, Lagos se fait également une place sur le marché de l’art contemporain avec Art X Lagos, la première foire internationale d'art de l'Afrique de l'Ouest. L’évènement, rapporte la journaliste Bukola Oye, «a enregistré plus de 5.000 visiteurs, y compris la présence de professionnels internationaux de l'art d'autres régions d'Afrique, d'Europe et des Etats-Unis». La culture nigériane a décidément le vent en poupe.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.