L’Homo sapiens est bien sûr africain, mais il n’est pas celui que vous croyez…
Toutes les études scientifiques actuelles montrent que l'homme moderne (c'est à dire nous !) est né en Afrique. Mais où exactement ? La réponse du paléoanthropologue français Jean-Jacques Hublin.
L’Homo sapiens, l’être humain actuel, est apparu en Afrique. Mais des découvertes faites à Djebel Ihroud (ouest du Maroc) par le paléoanthropologue français Jean-Jacques Hublin et son collègue marocain Abdelouahed Ben-Ncer montrent que notre ancêtre direct n’est pas né dans l’est de l'Afrique. Et qu’il a 100.000 ans de plus que prévu… Entretien avec le professeur Hublin.
Franceinfo Afrique : les découvertes faites à Djebel Ihroud ont révolutionné les connaissances sur l’Homo sapiens…
Jean-Jacques Hublin : depuis les années 1980, on sait que l’Homo sapiens a une origine africaine et qu’à plusieurs reprises, il a quitté le continent avant de remplacer Néandertal en Europe. Le site de Djebel Ihroud était connu depuis les années 1960. A cette époque, l’exploitation d’une mine de barytine a éventré une grotte, mettant à jour son contenu. Mais l’on ne connaissait pas l’âge des fossiles trouvés sur place. En 2004, nous avons repris les travaux avec la volonté d’obtenir une date précise. Par deux méthodes différentes, nous sommes arrivés à une datation de 300 000 ans et à une autre interprétation de ces fossiles. Ceux-ci sont des ancêtres de l’homme actuel.
A cette époque, il y avait donc en Afrique du nord-ouest des formes d’Homo sapiens qui possédaient des caractères primitifs, mais aussi d’autres caractéristiques similaires aux nôtres. Preuve que l’homme actuel n’est pas né en Afrique de l’est, dans un berceau géographique limité.
Le Maroc est-il alors le berceau de l’Homo sapiens ?
Le fait d’abandonner le berceau est-africain ne veut pas dire que celui-ci se trouve au Maroc ! On envisage désormais l’hypothèse selon laquelle différentes populations africaines sont partie prenante d’une évolution qui s’est produite dans différentes parties du continent au cours des 300 000 dernières années. Cette évolution graduelle a transformé ces hommes, essentiellement leur cerveau. Ceux-ci possédaient une anatomie, faciale notamment, proche de la nôtre, avec un cerveau lui aussi de même taille, mais avec des caractères plus primitifs.
Dans le même temps, l’environnement et le climat ont varié considérablement et de manière spectaculaire. L’Afrique a connu une montée graduelle de l’aridité, mais avec des oscillations plus humides. Au cours de ces périodes plus humides, le désert du Sahara est devenu une savane parcourue de fleuves (ce que nous appelons un "Sahara vert" dans notre jargon scientifique), ne constituant plus une barrière. Il permettait ainsi des échanges à l’intérieur du continent.
Différentes populations ont alors eu la possibilité d’entrer en contact les unes avec les autres. Des individus ont pu passer d’un groupe à l’autre, certaines communautés en absorber d’autres. On a ainsi pu assister à des échanges d’innovations, en matière d’outils par exemple, et à des échanges de mutations génétiques favorables, que la sélection naturelle va fixer.
C’est-à-dire ?
Dans les populations actuelles, on a identifié une série de plus de 80 gènes, pour lesquels tous les individus possèdent la même variante. Ces variantes doivent donc être très avantageuses du point de vue adaptatif puisque la sélection naturelle les a imposées chez tous les descendants des premiers Homo sapiens. On ne les retrouve pas chez les non-sapiens, et notamment chez les Néandertaliens.
Il est peu probable que les mutations qui ont fait apparaître ces variantes se soient toutes produites au même moment et au même endroit. Plus probablement, elles se sont produites dans différentes régions d’Afrique, et tout au long d’une longue période, avant de se répandre sur tout le continent et avant même que l’Homo sapiens ne colonise le reste de la planète. Le modèle d’apparition de l’homme actuel est ainsi beaucoup plus complexe et graduel que ce que l’on pensait initialement. Et il implique toute l’Afrique.
Sur quelles bases fonde-t-on ces hypothèses ?
Le problème, c’est que la documentation paléontologique est très lacunaire, ce qui donne une image déformée du passé. Alors que pour la période d’apparition de notre espèce en Europe on possède de nombreux fossiles humains, il n’y en a qu’une douzaine pour toute l’Afrique. On a surtout accumulé des connaissances sur l’est, le sud et le nord-ouest du continent. Pour le reste, on ne connaît que très peu de choses. Il faut donc s’attendre à de nouvelles découvertes très intéressantes dans des régions qui ont été peu explorées.
On commence aussi à réaliser qu’il y a 300 000 ans, l’Homo sapiens n’était peut-être pas tout seul en Afrique. Il a pu coexister avec d’autres formes humaines, plus primitives. C’est ce que semble montrer la découverte récente d’Homo naledi, en Afrique du Sud, un petit bonhomme un peu bizarre. Parallèlement à l’Homo sapiens, des branches plus anciennes ont pu survivre dans certaines régions d’Afrique pendant assez longtemps. Comme plus tard avec les Néandertaliens en Eurasie, il y a pu avoir des échanges de matériel génétique entre l’Homo sapiens et ces formes primitives, un phénomène d’hybridation entre espèces proches fréquent chez les mammifères.
Pour le continent africain, qui s’étend sur un territoire immense, on est donc en manque de documentation. La conservation des fossiles varie d’une région à l’autre. Elle est très propice dans l’Est, mais beaucoup moins dans une zone très humide comme le Congo. De plus, l’insécurité bloque parfois les recherches comme au Sahel.
Qu’en est-il des objets découverts à côté des fossiles ?
Entre 300 000 et 40 000 ans avant le présent, on trouve dans toute l’Afrique des outillages que l’on attribue à ce que l’on appelle le "Middle Stone Age". Au cours des derniers 100 000 ans, des techniques nouvelles se développent au sein de cet ensemble. On voit aussi apparaître des comportements qui traduisent de plus en plus de complexité sociale et culturelle. En Afrique du Sud, de l’Est, mais aussi au Proche-Orient, les fouilles ont livré, par exemple, des coquillages percés servant de décoration ou d’ornements corporels.
Partout, le même petit gastéropode marin (du genre Nassarius) a été utilisé. C’est fascinant d’observer cette utilisation dans des régions très lointaines les unes des autres. La connexion des réseaux d’échange s’étendait donc sur de grandes distances en Afrique, et jusque dans le sud-ouest de l’Asie. En Europe à la même époque chez les Néandertaliens, on n’observe pas de tels phénomènes.
Le professeur Jean-Jacques Hublin est directeur du département Evolution de l’homme à l’institut Max Planck à Leipzig (Allemagne), titulaire de la chaire internationale de paléoanthropologie au Collège de France.
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