Des journalistes poursuivis par une entreprise liée au groupe Bolloré relaxés
Le tribunal correctionnel de Paris a relaxé le 30 mars trois médias et deux ONG poursuivis en diffamation par la Socfin, une holding propriétaire de plantations en Afrique et en Asie et dont le groupe Bolloré est actionnaire. De nombreux médias et journalistes mettent en cause les nombreuses procédures judiciaires menées contre eux.
Les ONG ReAct et Sherpa ainsi que Le Point, Mediapart et L'Obs avaient fait état en avril 2015 d'«accaparements» de terres appartenant aux riverains de plantations de palmiers à huile et d'hévéas. Des paysans africains et asiatiques réunis en «Alliance internationale des riverains des plantations Socfin Bolloré» avaient à l'époque lancé des actions de protestation contre ce qu'ils appelaient l'«accaparement» de leurs terres par la Socfin, décrivant une expansion «continue» de ces plantations depuis 2008, dont les médias et ONG s'étaient fait l'écho.
La Socfin, holding luxembourgeoise dont le groupe Bolloré est actionnaire à hauteur de 39%, les avait tous attaqués en diffamation tandis que sa filiale Socapalm, qui a des activités au Cameroun, avait poursuivi les deux ONG.
Les magistrats de la 17e chambre correctionnelle ont suivi les réquisitions du parquet. Ils ont estimé que même si les propos litigieux étaient diffamatoires, les prévenus pouvaient être relaxés au titre de la bonne foi, compte tenu notamment «de l'existence démontrée de revendications portées par certains riverains des plantations» de la Socfin et de la Socapalm.
Les prévenus s'étaient notamment appuyés sur plusieurs rapports d'ONG dans les pays concernés et sur l'existence, s'agissant du Cameroun, d'une tentative de médiation en 2013 entre le groupe Bolloré et Sherpa sous l'égide du «Point de contact national» (PCN) français de l'OCDE.
Le PCN avait notamment constaté dans un rapport de 2013 que «l'activité de la Socapalm (...) ne contribue pas suffisamment au développement durable des communautés riveraines du fait de la diminution de certains de leur moyens de subsistance et de leur espace vital sans compensation réelle».
La défense de la Socfin et celle de la Socapalm avaient estimé que les prévenus n'avaient pas apporté les preuves suffisantes pour étayer ces accusations d'«accaparements», tout en se défendant d'avoir voulu les museler. Dans un communiqué, la Socfin avait affirmé que «l'accaparement de terres, en particulier au Cameroun», est un procédé «totalement étranger au groupe», expliquant que la Socapalm n'est pas propriétaire des terres cultivées, louées au gouvernement.
En janvier, devant le tribunal, l'avocat William Bourdon, président de l'association Sherpa, avait affirmé que ce procès «n'a pas d'autre but que de créer un climat d'intimidation». Une accusation régulièrement énoncée par des journalistes et des médias.
«Poursuites bâillon» contre les journalistes
Dans une tribune publiée à la veille du procès, des journalistes et ONG avaient dénoncé les poursuites systématiques dont ils font l'objet quand ils s'intéressent aux activités du groupe Bolloré, notamment en Afrique. La chroniqueuse médias de France Inter, Sonia Devillers, affirmait ainsi le 26 mars dernier que «pas moins de 50 journalistes, photographes, éditeurs, avocats et ONG ont été traînés devant les tribunaux ces dernières années. (…) La tactique consistant à attaquer tous azimuts, quitte à perdre ou à abandonner en cours de route, peu importe, du moment que cela dissuade d’enquêter sur les affaires du milliardaire».
De nombreux journalistes, mais aussi des sociétés de journalistes (France 2, France 3, Radio France...) ont signé récemment une tribune dans «Le Monde» dénonçant des «poursuites bâillon». Dans cette pétition, des sociétés de journalistes (dont celle du Monde), des journalistes et des organisations non gouvernementales (ONG) affirmaient: «Ces poursuites systématiques visent à faire pression, à fragiliser financièrement, à isoler tout journaliste, lanceur d’alerte ou organisation qui mettrait en lumière les activités et pratiques contestables de grands groupes économiques comme le groupe Bolloré. Objectif : les dissuader d’enquêter et les réduire au silence, pour que le “secret des affaires”, quand celles-ci ont des conséquences potentiellement néfastes, demeure bien gardé».
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