"Il n'y aura pas d'égalité salariale en Afrique si les autres discriminations ne sont pas réglées"
La communauté internationale a célébré le 18 septembre 2020 la première édition de la Journée internationale de l'égalité de rémunération.
"Les hommes sont mieux rémunérés que les femmes, et dans une majorité de pays africains le revenu mensuel médian (50% gagnent plus, 50% gagnent moins, NDLR) des hommes est plus de deux fois supérieur à celui des femmes", selon une note du Bureau international du Travail (BIT), le secrétariat permanent de l'agence onusienne en charge des questions relatives à l'emploi, l'Organisation internationale du travail (OIT). Ce 18 septembre 2020, le monde a célébré pour la première fois la Journée internationale de l'égalité de rémunération.
"D'une manière générale, entre les hommes et les femmes, il y a un écart de 15 à 30%, et même au-delà, en défaveur des femmes en matière de salaires", explique Fatime Christiane N'Diaye, spécialiste genre au BIT pour l'Afrique francophone, basée à Dakar, la capitale sénégalaise. "Au Sénégal, précise l'experte, le salaire mensuel moyen des hommes est de 290 740 FCFA (443 euros) contre 127 130 FCFA (environ 194 euros) pour les femmes. C'est un écart de plus de 50%."
L'informel, une barrière à l'égalité salariale
Plusieurs raisons expliquent cet écart de rémunération dont souffrent les Africaines. Le première est liée au caractère informel de leurs activités. "En Afrique, 90% des femmes travaillent dans l'économie informelle, sans protection sociale. L'économie informelle, c'est le grand problème parce qu'il n'y a aucune réglementation. Les travailleuses domestiques sont dans l'informel. Comment voulez-vous réglementer leurs salaires qui sont aujourd'hui à la baisse?", interroge Fatime Christiane N'Diaye.
Ensuite, les Africaines occupent des emplois peu rémunérés. "On se rend compte que les femmes sont en général cantonnées dans quatre grands secteurs en Afrique de l'Ouest : l'agriculture, les services à la personne, le commerce et la transformation des produits. Dans ces secteurs-là, elles occupent des emplois qui sont moins rétribués, que ce soit dans l'économie formelle ou informelle. Par exemple, dans le domaine de la santé, les femmes sont dans les catégories intermédiaires et basses : aide-soignantes, infirmières et sages-femmes. Aux postes de responsabilité, nous n'avons pas des femmes et par conséquent nous n'avons pas les salaires qui vont avec."
"Il faut que nous changions nos mentalités"
"Il n'y aura pas d'égalité salariale en Afrique si les autres discriminations ne sont pas réglées", insiste Fatime Christiane N'Diaye. De nombreux autres obstacles freinent l'égalité salariale sur le continent : les pesanteurs socio-culturelles, l'équilibre entre leur vie professionnelle et familiale, "les questions de la maternité, de la violence... Toutes ces problématiques influent sur les revenus des femmes", affirme la spécialiste du BIT.
"Dans l'économie informelle, nous avons fait une étude sur le travail domestique. Nous avons découvert qu'un homme, qui occupe souvent un emploi de gardien, chauffeur ou jardinier, est systématiquement mieux rémunéré qu'une femme. Et même quand il travaille en tant que 'boy' (terme générique pour désigner le personnel qui travaille à l'intérieur d'une maison dans plusieurs pays africains, l'équivalent féminin étant 'bonne' ou 'nounou', NDLR), il gagne toujours plus qu'une femme."
Atteindre l'égalité des rémunérations passe aussi par une (r)évolution des mentalités. "Les stéréotypes et les discriminations renforcent les inégalités salariales (...). Il faut que nous changions nos mentalités et nos comportements. Exemple : quand on parle de ceux qui s'occupent du linge, on dit 'Je vais chez le blanchisseur'. Quand on fait appel à un homme et quand il est question d'une femme, on dit 'Je vais chez la lingère'. Même les dénominations changent ! Tout cela parce que le blanchisseur travaille en général dans un local, dispose souvent d'une main d'œuvre alors que la lingère est au coin de la rue avec ses bassines ou se déplace au domicile du client. En plus, chez le blanchisseur, il y a des tarifs que l'on ne discute pas alors qu'on est toujours en train de négocier âprement les prix auprès de la lingère qui travaille, elle, dans des conditions plus pénibles."
Une discrimination de plus
Conclusion : "On ne peut pas aborder la question de l'égalité salariale sans voir toute cette construction qu'il y a autour de l'emploi des femmes, qu'il s'agisse du secteur formel ou informel, souligne Fatime Christiane N'Diaye. Il y a une croyance toujours affirmée que l'homme est le chef de la famille. Nous avons fait une enquête sur l'emploi des jeunes dans plusieurs pays africains. Même pour les stages en entreprises, les indemnités – le transport – sont plus importantes pour les garçons que pour les filles. Les responsables des entreprises estiment que les premiers ont plus de charges. Ce qui n'est pas une réalité aujourd'hui dans nos sociétés. Les femmes sont en charge de l'alimentation, de l'éducation et de la santé des enfants et des personnes âgées... ce qui constitue des contraintes en termes de temps et d'un point de vue financier."
Pour faire avancer le plaidoyer sur l'égalité de rémunération sur le continent, le BIT travaille, entre autres, avec les responsables des ressources humaines des entreprises afin qu'ils mettent en place des stratégies dans ce sens. "Il m'arrive d'avoir de très grandes satisfactions quand nous constatons qu'elles font des efforts pour gérer des problématiques comme la promotion des femmes à des postes de responsabilité. Il y a des entreprises qui changent et qui emploient des personnes handicapées à des postes de responsabilité, notamment les femmes. (...) Nous travaillons à ce que les entreprises modifient leurs comportements." La problématique de "la mixité des métiers" est aussi un volet important de l'action de l'organisation. "Si les femmes sont cantonnées dans les secteurs les moins porteurs, elles n'auront jamais l'égalité salariale, martèle Fatime Christiane N'Diaye. Il ne faut pas se décourager. C'est un travail de longue haleine."
Dans une démarche plus institutionnelle, le BIT s'est rapproché en Afrique de l'Ouest de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa, organisation sous régionale). "Nous avons beaucoup travaillé sur ces questions et nous sommes en train de mener une réflexion pour sélectionner des pays où seront réalisés une nomenclature des emplois et de leurs caractéristiques. Cela nous permettra de savoir dans quels emplois on retrouve les femmes et pour quels salaires", explique Fatime Christiane N'Diaye.
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