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La Tunisie écrasée par le poids de ses dettes

Le montant de la dette tunisienne, tant publique que privée, atteint des proportions importantes. Pour ne pas dire inquiétantes. Depuis 2011, le pays a dû emprunter pour assurer ses fins de mois. Alors que dans le même temps, la population s’appauvrit et vit de plus en plus à crédit. Quelques clefs pour tenter de comprendre une situation explosive.

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4min
Sur un marché de Tunis, le premier jour du Ramadan (photo prise le 27 mai 2017) (REUTERS - ZOUBEIR SOUISSI / X02856)

La dette est une question sensible en Tunisie "car elle fut en partie à l’origine de la colonisation" en 1881, rappelait récemment franceinfo Afrique. Elle l’est plus que jamais aujourd’hui. En 2019, elle pourrait atteindre des niveaux record, aux alentours de 3 milliards d’euros. Le taux d’endettement tourne autour de 70%, en augmentation d’environ 230% depuis le renversement de la dictature en janvier 2011, selon le site marocain Le360. Période qui a entraîné une grave crise économique dont la Tunisie ne s’est toujours pas remise.

Dans ce contexte, "depuis 2011, l’Etat a eu systématiquement recours à des emprunts, en grande partie pour assurer son fonctionnement", observe Jeune Afrique. Il utilise notamment les services du Fonds monétaire international. Lequel a salué, en avril 2019, "les efforts des autorités pour stimuler la croissance en réduisant l’inflation et stabilisant l’endettement public".

Mais les félicitations du FMI ne doivent pas cacher les gros problèmes que pose cet endettement, alourdi par le déficit budgétaire (environ 3,2 milliards de dinars, soit 950 millions d’euros, fin 2018). A noter que dans le budget 2019, 16,5 milliards de dinars devraient être consacrés aux salaires des fonctionnaires pour un total général de 40,86 milliards. En clair, l’Etat tunisien tente de donner du travail aux Tunisiens en ouvrant les vannes de sa fonction publique…

Cercle infernal et vicieux

La Tunisie se retrouve ainsi prise dans un cercle infernal et vicieux. Elle n’a plus d’argent pour relancer la croissance (2,5% en 2018), rembourser ses emprunts et assurer ses dépenses de fonctionnement. Il lui faut donc emprunter toujours plus. Tout en poursuivant une politique d’austérité très rigoureuse. Le pays doit ainsi comprimer ses dépenses au maximum et augmenter ses ressources par la hausse des impôts et taxes. Alors que la dépréciation du dinar, la monnaie nationale, lui fait perdre de précieuses devises.

Pendant ce temps, l’inflation (7,5% en 2018) et la hausse des prix de produits essentiels rognent le pouvoir d’achat des ménages. A tel point que les tarifs alimentaires ont apparemment augmenté de 30% entre les ramadans 2018 et 2019. Pour tenter d’enrayer la valse des étiquettes pendant cette période, le gouvernement a décidé de fixer lui-même le prix de la viande rouge et des dattes.

Des voitures font la queue dans une station service à Tunis (photo prise le 2 mai 2019). La dernière hausse des prix de l'essence remonte au 31 mars. La mesure est prise en raison "au vu de l’augmentation continue des prix du pétrole et ses dérivés sur le marché mondial", a expliqué le gouvernement. (AFP - YASSINE GAIDI / ANADOLU AGENCY)

Crise sociale

Dans ce contexte, la vie devient de plus en plus difficile pour une partie de la population qui manifeste son mécontentement et son désespoir. Dans la nuit de Noël 2018, un journaliste s’est immolé par le feu à Kasserine (centre-ouest). Il entendait protester au nom des "habitants de Kasserine qui n’ont pas de moyens de subsistance". Un geste fort en Tunisie, surtout dans une région où avaient commencé les évènements qui devaient aboutir à la révolution du 14 janvier 2011. Et ce à la suite de l’immolation par le feu, le 17 décembre 2010, d’un vendeur ambulant de Sidi-Bouzid, Mohamed Bouazizi.

Conséquence : de plus en plus de Tunisiens sont contraints de vivre à crédit. Selon une enquête officielle (de l’Institut national de la consommation), "environ 1,8 million de familles" (sur une population de 11 millions de personnes) sont endettées. "En quelques années, l’endettement familial aurait triplé", croit savoir le site Middle East Eye, basé à Londres.

Peur du déclassement

"Les gens ont peur du déclassement. La classe moyenne veut garder un certain niveau de vie qui est difficile à maintenir avec l’augmentation des prix", a expliqué au site un banquier. Une peur apparemment justifiée : "La classe moyenne ne représente plus que 50%, voire moins, de la population, contre 75% avant la révolution", commente le président de l’Association professionnelle des banques et établissements financiers, lui aussi cité par Middle East Eye. Reste à savoir comment l'on définit cette classe moyenne, notion parfois très floue…

Mais une chose est sûre : "On a une classe moyenne qui s'appauvrit" alors que "la classe moyenne, c'est (...) un peu comme l'amortisseur (...) contre les chocs et le chaos", avertissait en novembre 2017 l’ONG Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux.

Vendeur d'oranges sur un marché de Tunis le 7 mai 2019 (FETHI BELAID / AFP)

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