L’Ethiopie veut devenir le hub textile de l’Afrique
L’Ethiopie, deuxième pays d’Afrique le plus peuplé du continent avec plus de 100 millions d’habitants, connait depuis une dizaine d’années une croissance de son PIB (10 % en 2015, 6,4 en 2016 et 7 % prévu en 2017). Le PIB par habitant a doublé. Pourtant, avec 675 euros par habitant en 2016, il reste toujours l’un des plus faibles au niveau mondial.
Mais le pays veut devenir d’ici à 2025 un pays à revenu intermédiaire. Aujourd’hui, l’agriculture reste le pilier socio-économique du pays avec 39% du PIB, 80% des emplois, et 85% des exportations, précise le ministère de l’Economie et des Finances françaises. Alors pour doper son économie, le pays a décidé de mettre les bouchées doubles et de développer son industrie manufacturière dans le secteur du textile. L’Ethiopie veut que cette industrie (actuellement 5% du PIB) grimpe de 20 à 25 % d'ici dix ans pour en faire ainsi la base principale de son économie.
Plans quinquennaux de croissance et de transformation de l'économie
Un plan de croissance et de développement (Growth and Transformation Plan, GTP) a été mis en place par l’ancien Premier ministre Meles Zenawi, obsédé par la «renaissance» éthiopienne. La première phase du GTP s’est terminée en 2015 et son bilan a prouvé les capacités de bonne gouvernance économique. 60% des objectifs dans la réalisation d’infrastructures ont été réalisés. Avec une réserve: le décollage du secteur manufacturier et la hausse des exportations.
«Notre industrie est encore embryonnaire. Nous devons transformer notre économie essentiellement agricole et nous focaliser sur l’industrialisation qui va nous permettre de faire partie des pays à revenus intermédiaires d’ici à 2025», a déclaré Tadesse Haile, ministre d’Etat à l’industrie.
La seconde phase du plan (GTP II, 2015-2020) s’inscrit dans la continuité du premier et entend, au plan macroéconomique, maintenir une croissance à deux chiffres dans un environnement économique stable.
«Made in Ethiopia»
En 2015, l'État a créé une cellule spéciale: la Corporation pour le développement des parcs industriels. Treize parcs vont être construits à cet effet. Pour que les entreprises étrangères implantent des usines dans le pays, le prix des terrains est bradé, à peine un euro par mètre carré par mois. Réseaux électrique et de communication (routes) sont également construits. Une nouvelle voie ferrée entre Addis-Abeba et Djibouti entrera en service en octobre 2017.
D’ici à 2020, 150 entreprises de textile et de vêtements devraient être opérationnelles et le secteur générer 30 milliards de dollars en un peu plus de dix ans. Bogale Feleke, vice-ministre éthiopienne de l'industrie a déclaré en juillet 2017: «Nous avons l’intention d’augmenter notre superficie de culture de coton. À l’heure actuelle, seulement 20% des trois millions d’hectares sont utilisés pour cette culture alors que nous visons à atteindre les 80%».
«Au total, l’industrie du textile habillement pourrait générer en Afrique subsaharienne 400.000 emplois et les exportations pourraient doubler dans les 10 ans, a révélé l’équipe de Fashionomics», déclare la Banque africaine de développement.
Pour Mayur Kothari, patron de l’Indian Business Forum: «Il n’y a aucun doute sur le fait que l’Ethiopie sera un leader dans cette région de l’Afrique, car il y a une population énorme, de bonnes directives, des investissements dans les infrastructures, et une stabilité politique. Les ressources naturelles sont immenses, ajoute Madeleine Rosberg sur Forbes Afrique, Elles renferment un énorme potentiel de développement pour la filière textile, au point que l’Ethiopie pourrait devenir le nouveau Pakistan.» Avec le plus gros cheptel d’Afrique et 45 millions d’hectares de terres arables pour la production du coton, le pays a toutes les cartes en mains pour devenir le nouveau Lion africain.
Un nouvel eldorado
Selon l'édition 2016 du Rapport sur l'investissement dans le monde, l'Ethiopie se trouve au deuxième rang en matière d'investissement direct étranger dans le secteur de l'industrie textile, après le Vietnam. Pour cela, Addis-Abeba offre plusieurs avantages: une énergie abondante à bas prix grâce à l’hydroélectricité; une main-d’œuvre jeune et très bon marché, estimée à 47 millions de personnes. Un ouvrier dans une usine de vêtement ou de chaussures gagne 36 euros par mois, soit cinq fois moins qu'un Chinois.
De plus, le gouvernement offre un régime fiscal très attractif aux compagnies étrangères, sous certaines conditions, l’exemption d’impôts sur le revenu ou encore l’exonération de droits de douane ou de taxes sur certains biens d’équipements importés précise l'agence Ecofin. Le meilleur exemple en est la loi américaine African Growth and Opportunity Act (AGOA), qui permet à certains pays africains, dont l’Ethiopie, d’être dispensés de droits de douane sur un ensemble de marchandises exportées outre-Atlantique afin de favoriser leur développement économique, explique Le Monde.
Cette loi américaine, adoptée en 2000, rend non imposables les marchandises produites par ces pays africains et vendues sur le sol américain. Or, comme l'explique Salomon Simunegus, cité par Le Point: «la majorité des entreprises basés à Bole Lemi (banlieue d'Addis Abeba NDLR) exporte vers les États-Unis, pour des marques comme Tesco, H&M, PVH.» En 2016, l’Ethiopie aurait exporté pour 35 millions d’euros de production textile. Ce pays d’Afrique de l’Est fait partie des Etats africains bénéficiaires des accords de l’AGOA.
La Chine et l’Ethiopie, main dans la main
Pour toutes ces raisons, Addis-Abeba se rêve en nouvelle usine du monde du textile. Elle a réussi à attirer de nombreux investisseurs étrangers et notamment la Chine. Au total, on compte 279 entreprises chinoises opérant en Ethiopie. En vingt ans, les investissements chinois ont totalisé plus de 3,4 milliards d’euros et auraient créé 111.000 emplois, précise Le Monde.
En 2016, les ventes extérieures de vêtements ont enregistré un total de 93 millions d’euros. L’Ethiopie va inaugurer deux nouveaux espaces industriels dans le nord du pays. Financés par des capitaux chinois, ces derniers ont pour ambition de séduire de grands noms de l’habillement et du sous-vêtement comme Vanity Fair ou H&M, selon Fashion Network.
Ce partenariat entre la Chine et l’Ethiopie est «gagnant-gagnant», confirme Sisay Gemechu, le PDG de la Société de développement des parcs industriels en Ethiopie. L’Ethiopie a besoin de la Chine, car il lui faut des investissements et des infrastructures pour désenclaver son territoire.
L’Ethiopie plus attractive que le Bangladesh
Pour le Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn, l’objectif est de faire du pays le «hub textile» de l’Afrique. Et de séduire les multinationales venues d’Europe, d’Asie et d’Amérique, à l'image de grands groupes comme H&M.
En avril 2013, l'effondrement d'un immeuble de confection textile au Bangladesh (le Rana Plaza), a tué 1.138 personnes. H&M décide alors de délocaliser ses usines en Ethiopie. Depuis que l’entreprise s’est implantée dans le pays, la croissance moyenne du secteur éthiopien du textile-habillement s’est élevée à 51 % et 60.000 emplois ont été créés. Cette catastrophe a entrainé une crise du secteur textile bangladeshi, poussant les investisseurs étrangers à délocaliser 58 usines sur le territoire éthiopien.
Un nouvel enfer ?
Le but de l’Ethiopie est maintenant de pouvoir développer cette activité mais en respectant les droits des travailleurs. Car comme le raconte Le Monde: «Dans l’un des deux immenses hangars situés dans la zone industrielle de l’est de Dukem, des centaines d’ouvriers éthiopiens s’affairent à la découpe du cuir et au collage à la glu de semelles sous le regard de superviseurs chinois ou éthiopiens formés à Dongguan. Les Chinois ont importé des machines '‘Made in China’', mais aussi le dogme communiste. La population éthiopienne, qui travaille à 80 % dans l’agriculture, n’était pas familière des méthodes industrielles de travail.»
Angesom Gebreyohannes de la Confédération des syndicats éthiopiens ajoute: «Il n’y a pas de salaire minimum en Ethiopie, la rémunération varie en fonction de l’entreprise et c’est la porte ouverte à tous les abus.» Mais il refuse d’en attribuer la responsabilité au gouvernement, parfois accusé de laxisme. Il précise: «Des lois, un Code du travail existent. Les ouvriers doivent se les approprier et emmener leurs employeurs devant la justice». En janvier 2015, les ouvriers de l’usine de la marque turque Ayka Addis Textile ont fait grève et obtenu une augmentation de 25 % de leurs salaires.
Charlie Dupiot, qui a réalisé un reportage pour RFI à Addis-Abeba et à Dukem, dans des usines chinoises, hollandaises et turques, livre un témoignage accablant: «Tous racontaient la même cadence au travail, les journées de 14 heures, les semaines sans jour de repos, les pénalités prélevées sur les salaires au moindre prétexte, les ''cours de discipline'' qui ressemblent à des entraînements militaires pour ‘'civiliser'’ les employés – pour reprendre les mots du responsable de l'usine qui m'en fera plus tard la visite. Et puis les violences à coup de chaussures… ».
Le dumping social mondial est sans fin. Aujourd'hui l'Ethiopie en profite, jusqu'à ce qu'un autre pays intéresse les grandes compagnies..
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