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Maroc : la Banque mondiale critique une stratégie de croissance trop dépendante du secteur public

Le Maroc investirait trop dans le secteur public et pas assez dans le secteur privé, ce qui à court terme pèserait sur sa croissance, selon un rapport de la Banque mondiale (BM).

Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Centrale solaire près de Ouarzazate au Maroc. Le royaume investit massivement dans le développement des énergies renouvelables.  (FADEL SENNA / AFP)

Un récent rapport de la Banque mondiale, intitulé "diagnostic du secteur privé", se penche sur l’efficacité de l’économie marocaine. Une étude qui attribue des bons points mais qui montre aussi les limites d’une politique volontariste, menée à grands renforts d'investissements publics.

Le positif tout d’abord. La Banque mondiale constate, dans ce rapport de 154 pages, que le pays a mené une politique d’investissements très ambitieuse : "Le Maroc a consacré d’importantes ressources afin de réaliser des investissements considérables dans les secteurs économiques jugés stratégiques pour la croissance, l’accroissement de la productivité et la création de valeur ajoutée. De l’offshoring à l’aéronautique en passant par l’électronique, ces secteurs ont bénéficié de ressources publiques substantielles et d’un arsenal d’incitations généreuses pour attirer des investissements directs étrangers (IDE)", note le rapport.

Taux d’investissement parmi les plus élevés au monde

Pour la Banque mondiale, "les efforts du gouvernement ont d’ailleurs permis d’attirer d’importants investisseurs étrangers et de dynamiser plusieurs secteurs dont ceux de l’automobile, de l’aéronautique et des énergies renouvelables. L’environnement des affaires marocain s’est également amélioré, le pays ayant avancé de neuf positions cette année dans le classement 2019 Doing Business pour se hisser au 60ème rang sur 190 économies. L’avancée du Maroc, qui résidait à la 129ème du classement en 2009, témoigne de la mise en place de réformes durables au cours de ces dernières années". 

Le chômage est le principal défi social auquel le pays se heurte, en particulier chez les jeunes

La Banque mondiale

Voila pour le positif. Mais... car il y a un mais, selon la Banque mondiale. "Malgré le taux d’investissement remarquablement élevé du Maroc, l’un des plus élevés au monde avec une moyenne de 34 % du PIB par an depuis le milieu des années 2000, les retombées en termes de croissance économique, création d’emplois et productivité, ont été décevantes", note, sévère, la BM qui compare les résultats de cette politique avec d’autres pays considérés comme équivalents (Turquie, Colombie…) et qui ont connu une croissance égale ou supérieure avec des investissements moindres.  

Le Maroc a en effet connu une croissance de 2,9 % entre 2000 et 2017, et de seulement 1,6 % entre 1990 et 2000. Ce taux de croissance a des conséquences sur l’emploi qui ne décolle pas : "Seulement 17 % de la population en âge de travailler a un emploi formel, et moins de 10 % a un emploi formel fourni par le secteur privé", note la BM.

Le rôle joué par les entreprises publiques freine l’activité privée

Au-delà des difficultés conjonturelles (déficit budgétaire, dépendance de l'économie à la croissance mondiale...), le rapport de la Banque mondiale met l'accent sur le fait que, pour elle, les investissements dans le secteur public sont moins productifs que ceux dans le secteur privé. Pour l'institution internationale, ce sont les petites entreprises qui peuvent faire la croissance, et non les projets structurants menés par l'Etat. 

La Banque mondiale, qui constate que la productivité n’a pas augmenté significativement dans le pays, met en cause la nature des investissements décidés par le Maroc. Elle estime que "le rôle joué par les entreprises publiques a tendance à freiner l’activité privée productive. De plus, la faible contribution de la main-d’œuvre à la croissance du Maroc récemment, et ce malgré la démographie favorable d’une population jeune et croissante, reflète la difficulté que l’économie a à mobiliser le capital humain disponible, notamment les jeunes et les femmes".

Le gouverneur de la Bank Al Maghrib avait d'ailleurs fait un constat qui allait dans le même sens. Il notait l'"atonie des activités non agricoles depuis 2013", qui, selon lui, était la conséquence directe du manque d'investissements privés.

Les risques commerciaux liés à l’absence de concurrence semblent entraver la dynamique des marchés au Maroc.

La Banque mondiale

Un chiffre cité par la BM montre la faiblesse du tissu industriel marocain et sa concentration : "Les premiers 1% des exportateurs réalisent 55% du total des exportations du Maroc et les premiers 5% en réalisent 77%".

Ce rapport a, bien sûr, été commenté par la presse marocaine : "Le secteur public (entreprises d’Etat comprises) représente 50 % de tous les investissements réalisés dans le pays. Principalement axé sur l’effort de rattrapage en termes d’infrastructures, cet investissement, très coûteux à la base, n’a pas eu d’effets immédiats sur la lutte contre le chômage et les inégalités sociales", note Le Desk.

Le port de Tanger Med en juin 2019.  (AFP)

Medias24 cite la phrase du rapport mettant en cause la nature des investissements du royaume dans le long terme: "Le modèle existant basé sur une croissance dépendante du taux très élevé d’accumulation de capital public fixe, n’est pas soutenable". Et le journal de citer une phrase qui résume bien la position de la BM : "Un secteur privé plus dynamique est nécessaire pour créer davantage d’emplois. A l’échelle mondiale, il a été démontré que la plupart des emplois sont créés par de jeunes entreprises de moins de cinq ans. Le Maroc doit créer un environnement favorable aux entreprises afin qu’elles puissent pénétrer les marchés, se développer et exporter".  

Permettre au secteur privé de se développer 

Challenge reprend les mêmes données pour affirmer que les investissements privés "n’ont pas répondu aux besoins de création d’emplois et de l’exportation. Les nouvelles entreprises créées n’ont pas su concurrencer les entreprises établies et n’ont pas réussi à créer de l’emploi".

Les risques commerciaux liés à l’absence de concurrence semblent entraver la dynamique des marchés au Maroc.

La Banque mondiale

Fort de ces constats, l'institution financière lance des pistes de réformes pour lever "les politiques qui protègent les marchés intérieurs, telle la tarification douanière, et qui offrent des incitations fiscales aux secteurs non échangeables comme l’immobilier".  Les recommandations de la BM vont toutes dans le même sens : permettre au secteur privé de se développer et assouplir les règlementations afin de pouvoir faciliter la création d'entreprises. Ce que la BM appelle "la neutralité concurentielle".  

Pour Chine Nouvelle"la Banque mondiale a appelé le Maroc à 'créer un environnement favorable aux entreprises afin qu'elles puissent pénétrer les marchés, se développer et exporter'". Si c'est l'agence officielle chinoise qui le dit...

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