"La première vidéo que j'ai vue, c'était une décapitation en direct" : un modérateur de contenus porte plainte contre Meta (Facebook) au Kenya
La plainte décrit des conditions de travail "indignes", des méthodes d'embauches trompeuses aux rémunérations irrégulières et insuffisantes, en passant par le manque de soutien psychologique.
Un ancien modérateur de contenus pour Facebook au Kenya a porté plainte mardi 10 mai contre Meta, la maison mère du réseau social, qu'il accuse d'exploitation, un nouveau contentieux pour la plateforme mondiale critiquée par de nombreuses ONG. La plainte décrit des conditions de travail "indignes", des méthodes d'embauches trompeuses aux rémunérations irrégulières et insuffisantes, en passant par le manque de soutien psychologique, la pression du rendement et des atteintes à la vie privée et à la dignité, en violation de la constitution kényane.
Syndrome post-traumatique
La plainte a été déposée par Daniel Motaung, un Sud-Africain qui a travaillé pour Sama, un sous-traitant de Meta chargé de la modération des contenus sur Facebook pour des pays d'Afrique de l'Est et du Sud, une activité essentielle pour retirer de la plateforme les contenus problématiques (violence, harcèlement, désinformation...). "La première vidéo que j'ai vue, c'était une décapitation en direct", a raconté Daniel Motaung lors d'une conférence de presse organisée par le Real Facebook oversight board, une association anti-Facebook (lien en anglais).
STATEMENT: Advocates, Whistleblowers Demand Facebook End Abuse of Content Moderatorshttps://t.co/sfoHl86LMO
— The Real Facebook Oversight Board (@FBoversight) May 10, 2022
(Traduction : "Les défenseurs et les dénonciateurs exigent que Facebook mette fin aux abus touchant les modérateurs de contenus.")
"Imaginez ce que ça peut faire à une personne normale, si ensuite vous regardez d'autres vidéos et images et contenus similaires, tous les jours", explique Daniel Motaung qui dit souffrir d'un syndrome post-traumatique.
"Standards élevés"
"Nous prenons au sérieux notre responsabilité envers les personnes qui examinent les contenus pour Meta et exigeons de nos partenaires qu'ils fournissent des salaires, des avantages sociaux et un soutien parmi les meilleurs de l'industrie", a réagi un porte-parole de Meta, contacté par l'AFP.
"Nous encourageons les modérateurs à parler des problèmes quand ils surviennent et nous menons régulièrement des audits indépendants pour nous nous assurer que nos partenaires respectent des standards élevés, conformes à nos attentes."
Un porte-parole de Metaà l'AFP
Selon Daniel Motaung et ses avocats, qui disent représenter 240 modérateurs de contenus de Sama au bureau de Nairobi, le sous-traitant recrute des employés sans leur dire précisément quel sera leur travail, évoquant des "tâches administratives". La plainte assure que Sama choisit les candidats en fonction de leurs origines modestes au prétexte de les sortir de la pauvreté, et venus de différents pays, pour qu'ils comprennent les différentes langues parlées sur le continent et donc sur Facebook.
"Esclavage moderne"
Meta et Sama "recrutent les modérateurs via des méthodes frauduleuses et trompeuses, relevant de l'abus de pouvoir, exploitant la vulnérabilité des candidats jeunes, pauvres et désespérés", affirment les avocats dans le document judiciaire. "Beaucoup ont été embauchés et amenés au Kenya avant d'avoir compris la nature de leur travail. (...) Ils ont donc été victimes de trafics d'êtres humains selon une forme moderne d'esclavage interdite par l'article 30 de la Constitution", continuent-ils.
"Ils nous disaient qu'ils pouvaient facilement nous remplacer. Ils nous disaient, on vous rend un service. (...) Prenez ce qu'on vous donne et fermez-la."
Daniel Motaung, ancien modérateurà l'AFP
Conditions de travail
La plainte détaille aussi de mauvaises conditions de travail, non adaptées à la difficulté et à la pénibilité des tâches, et le non-respect des droits des employés, comme celui de se syndiquer. Les avocats y précisent que Sama embauche des "coachs bien-être", dont la formation n'est pas suffisante pour les besoins des modérateurs en matière de santé mentale et qui n'offrent pas une "relation confidentielle" aux salariés.
Il y a deux ans, Facebook a été condamné à payer 52 millions de dollars à des milliers de modérateurs de contenus aux Etats-Unis, en guise de compensation pour les traumatismes liés à leur travail.
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