La Libye menace de se disloquer
Velléités séparatistes, milices incontrôlables, autorité en manque de légitimité, le pays se divise, un peu plus d'un an après le début du soulèvement. La guerre civile n'est pas à exclure.
Le temps où les caméras, appareils photo et plumes du monde entier informaient non-stop sur la Libye paraît bien loin, mercredi 7 mars, un peu plus d'un an après le début du soulèvement, en février 2011. Depuis, Mouammar Kadhafi est mort. Les bombardements des avions de l'Otan ont cessé. Les crépitements des kalachnikovs et les cris d'encouragement des insurgés sont devenus inaudibles. La Libye est retournée au silence médiatique. Les regards se sont tournés vers la révolution suivante, en Syrie.
Pourtant, une nouvelle bataille se joue dans le pays. Le séparatisme guette à l'Est, les milices font la loi et l'autorité du Conseil national de transition (CNT), qui dirige provisoirement le pays, est remise en question. La menace d'un conflit civil se précise.
L'Est pétrolier vient de proclamer son autonomie
Mardi 6 mars, des chefs de tribus et de milices de l'est du pays ont proclamé "l'autonomie de la Cyrénaïque". A l'indépendance du pays, en 1951, ce territoire était l'un des trois Etats de la Libye, alors fédérale. La région (voir la carte ci-dessous) recèle dans son sous-sol l'essentiel des ressources en pétrole libyennes. C'est aussi de là qu'est partie la fronde anti-Kadhafi.
Difficile de savoir ce que ces chefs, qui disent vouloir le fédéralisme, pèsent réellement. Cheikh Ahmed Zoubaïr al-Sénoussi, un cousin de l'ancien roi Idriss al-Sénoussi renversé par Mouammar Kadhafi en 1969, est à leur tête.
Le début du séparatisme ?
Le ton est immédiatement monté du côté des autorités. Le président du CNT, Moustapha Abdeljalil, a évoqué dans un premier temps mardi une "sédition" et accusé "des pays arabes frères" de la financer "pour ne pas être contaminés par la révolution". Il a repris mercredi à la télévision : "Nous ne sommes pas préparés à une division de la Libye." Et de menacer de recourir à la force. "Ils [les frères de Cyrénaïque] devraient savoir que des 'infiltrés' et des 'restes' du régime de Kadhafi tentent de les utiliser, et nous sommes prêts à les en dissuader, même par la force."
"Est-ce le premier chapitre du séparatisme qui s'écrit en ce moment en Libye ?", se demandait mercredi Libération. Le journal a interrogé Patrick Haimzadeh, ancien diplomate français en Libye. Cette poussée serait inéluctable. Il rappelle "la violente prise à partie du porte-parole du CNT à l'université de Benghazi [en Cyrénaïque], un signe du rejet du pouvoir incarné par Tripoli", en fin d'année dernière.
Un risque de "somalisation"
Ces divisions ne sont pas une surprise. La Libye compte autour de 150 tribus, qui ont survécu à tous les régimes. Le fils du colonel Kadhafi Seif Al-Islam menaçait dès les premiers temps de l'insurrection : "La Libye est une société de clans et de tribus. [Ces divisions] pourraient causer des guerres civiles." En son temps, le guide libyen était parvenu à fédérer ces groupes pour en faire l'un des piliers de sa légitimité.
"Il y aura certainement une phase de désordre après la chute du régime. La question est de savoir si elle sera plus ou moins durable et contenue", prédisait pour sa part dans un entretien au Point en août 2011, le directeur de recherche à l'Institut français des relations internationales (Ifri) Etienne de Durand. Le guide libyen, Mouammar Kadhafi, était encore vivant, et le chercheur brandissait alors l'épouvantail du chaos somalien : "Il faut évidemment à tout prix éviter une somalisation de la Libye, c'est-à-dire des affrontements entre tribus, qui pourraient poser à terme un problème de sécurité majeur pour l'Europe."
Des milices toutes puissantes
A entendre le spécialiste de la Libye Patrick Haimzadeh sur la BBC, le risque est aujourd'hui en passe de se concrétiser. Pour lui, "tous les ingrédients d'une guerre civile larvée" sont réunis : luttes tribales, armes en circulation, trafics, absence d'Etat, luttes d'influence pour une rue ou un bout de territoire. Un véritable "chaos", a évoqué en février l'hebdomadaire Jeune Afrique.
"Le fonctionnement des milices libyennes est en grande partie anarchique et l'impunité générale dont elles bénéficient fait le lit de nouveaux abus et perpétue l'instabilité et l'insécurité", a abondé Donatella Rovera, conseillère principale sur la réaction aux crises à Amnesty International. L'ONG a publié un rapport (en anglais) sur les abus des milices d'ex-rebelles : détentions arbitraires de partisans présumés de Mouammar Kadhafi, tortures (parfois à mort), exécutions sommaires.
Des autorités démunies
Dans ce contexte, le CNT, dont l'unité reposait plus sur son opposition à l'ancien chef d'Etat libyen que sur un projet politique commun, rappelait le chercheur Kader Abderrahim à La Croix, peine à asseoir son autorité dans un pays où les armes prolifèrent. "De plus en plus décrédibilisé", il "ne dispose pas d'une légitimité auprès de la population, auprès des milices non plus", selon Patrick Haimzadeh.
En janvier, des manifestants ont jeté des grenades artisanales sur le siège du Conseil à Benghazi avant d'envahir et d'assiéger le bâtiment. Ils réclamaient plus de transparence et l'exclusion des "opportunistes" qui ont fait partie de l'ancien régime.
Pire, "les responsables politiques, toutes obédiences confondues, se sentent redevables à l'égard des milices, affirme Jeune Afrique. Leur propre sécurité est aujourd'hui encore assurée par ceux-là mêmes qui les contestent."
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