Milices, barbouzes et or noir : en Libye, la bataille pour le "croissant pétrolier" fait rage
Des troupes venues de l'est se sont emparées d'importants terminaux pétroliers. Le pays est divisé en deux et la confrontation semble proche.
"Nous croyons dans la Libye unie, pas dans la Libye divisée." Le 15 septembre 2011, il y a cinq ans tout juste, Nicolas Sarkozy, accompagné de David Cameron, vit l'un des moments les plus forts de son quinquennat sur la place Tahrir à Benghazi. Le régime de Mouammar Kadhafi est tombé. "Vous avez voulu la paix, vous avez voulu la liberté, vous voulez le progrès économique, la France, le Royaume-Uni et l'Europe seront toujours aux côtés du peuple libyen", promet le président français lors de cette visite historique, la première de dirigeants occidentaux depuis la chute du régime. La foule acclame Nicolas Sarkozy. Il sourit. On le décore d'un badge aux couleurs de la Libye.
L'euphorie de la victoire s'est étiolée, depuis. Le rêve de démocratie de Nicolas Sarkozy ne s'est pas réalisé. La Libye est divisée et violente. Le conflit se polarise en deux grands blocs, l'Est et l'Ouest, avec chacun son autorité, son bras armé. Et depuis le week-end dernier, les tensions montent. Un affrontement se profile.
Deux hommes forts...
Dans le méli-mélo libyen, deux camps émergent. A l'ouest, le Gouvernement d'union nationale (GNA), en jaune sur la carte de l'agence danoise Risk Intelligence. Il est soutenu par les milices de Misrata et ses alliés. A l'est, les troupes du général Khalifa Haftar, en vert sur la carte.
New #Libya map: LNA/Hafter takes control over all Oil Crescent #ports #oilandgas #shipping https://t.co/0UETDo5HQi pic.twitter.com/qHCWGNc1oe
— Risk Intelligence (@riskstaff) 14 septembre 2016
Agé de 73 ans, Haftar a un parcours de vétéran. Formé en URSS, il a participé au putsch de Kadhafi, été lâché par ce dernier et fait prisonnier au Tchad, avant d'être libéré par les Américains. Il est sorti de son exil outre-Atlantique pour participer à l'insurrection et se proclamer chef de l'armée nationale libyenne. Il tient aujourd'hui l'est de la Libye au creux de la main. L'Egypte et les Emirats arabes unis le soutiennent, mais il n'est pas reconnu par la communauté internationale.
Le camp d'en face, à l'ouest, est conduit par le Premier ministre Fayez Al-Sarraj et son Gouvernement d'union nationale (GNA) basé à Tripoli. Son bras armé est un ensemble de milices, dont les plus puissantes viennent de la ville de Misrata. Il a été mis en place après de longues discussions et adoubé par la communauté internationale.
... et quelques barbouzes
A moins que... Des renseignements laissent penser que certaines puissances occidentales jouent un double-jeu. Ainsi, trois militaires français ont été tués dans le crash d'un d'hélicoptère dans l'est de la Libye alors qu'ils étaient en mission de renseignement. Selon Mattia Toaldo, expert au Conseil européen des relations internationales, "ils se trouvaient dans un hélicoptère des forces d'Haftar". Ce qui a suscité le courroux des autorités du GNA.
Paris, Londres et Washington soutiennent officiellement le GNA, mais dépêchent depuis des mois dans ce pays, et ce dans la plus grande discrétion, de petits groupes de militaires – membres des forces spéciales, de services secrets, conseillers... Des Français et Américains se trouvent dans des zones tenues par le général Haftar, mais on ignore ce qu'ils font précisément aux côtés du principal opposant au gouvernement libyen internationalement reconnu.
Offensive surprise et défaites en série
Dimanche, la tension entre ces deux blocs est subitement montée d'un cran. Les troupes du général Haftar ont lancé, à la surprise générale, une offensive pour prendre le contrôle des principaux terminaux pétroliers. Ces sites étaient sécurisés par une milice qui a prêté allégeance durant l'été au GNA. Cette milice locale a opposé peu de résistance, semble-t-il. Les ports sont tombés un à un : Ras Lanouf, Al-Sedra, Zouitinia et enfin Brega, sans combats. Le général a ainsi fait main basse sur le "croissant pétrolier", à l'est de Syrte.
La moitié du pétrole libyen exporté transite par cette zone stratégique. Si la Libye dispose des plus importantes réserves pétrolières d'Afrique (estimées à 48 milliards de barils), elle est paradoxalement le membre de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) qui produit le moins. Entre 2010 et 2016, sa production de brut a été divisée par cinq. Or, le GNA a besoin des revenus issus du "croissant pétrolier". Partout, l'argent manque et le GNA venait d'obtenir la réouverture de deux terminaux.
Vers des affrontements ?
"Géographiquement, politiquement et économiquement, le croissant pétrolier devient l’enjeu principal en Libye. C'est un nouvel épisode de la confrontation entre les deux blocs, Est et Ouest", explique à Libération la chercheuse Virginie Collombier. Pour Mattia Toaldo, il menace aussi de "donner le coup de grâce à l'industrie pétrolière". Dans un article, coécrit avec le chercheur Karim Mezran, le chercheur remarque que le général Haftar dispose de troupes entraînées, contrôle de vastes territoires et maîtrise l'accès à une large partie des ressources pétrolières. Il est donc "maintenant en position de dicter les termes de son rôle dans la future Libye. Il pourrait, s'il le voulait, négocier en position de force avec Al-Sarraj et ses soutiens internationaux".
Mais rien ne dit qu'Al-Sarraj se laissera faire. Son gouvernement a condamné "cette agression flagrante contre les acquis du peuple libyen, qui porte atteinte à la souveraineté nationale". Il a appelé dimanche ses forces à reprendre les terminaux pétroliers "avec courage et sans aucune hésitation". Deux jours plus tard, plus modéré, il a appelé au dialogue.
Mattia Toaldo souligne le risque d'"une confrontation directe" entre les troupes d'Haftar et celles fidèles à Al-Sarraj. Ce dernier a d'ailleurs "donné instruction à son ministre de la Défense d'organiser les troupes sous son contrôle pour préparer une contre-offensive et reconquérir les installations pétrolières", observe Mattia Toaldo. L'émissaire de l'ONU pour la Libye Martin Kobler s'est dit "préoccupé" par les combats qui, a-t-il averti, "vont accentuer les divisions" entre Libyens.
Syrte nettoyée de l'EI
Reste à savoir si les milices de Misrata, le gros des troupes fidèles à Al-Sarraj, seront prêtes à se jeter dans la bataille. Pour son offensive, le général Haftar a attendu que ces milices "nettoient" la ville de Syrte dont l'organisation Etat islamique (EI) avait fait sa capitale dans le pays. En supprimant l'EI, les milices ont mis fin à la zone tampon entre les deux blocs. Mais il s'agissait aussi d'un moment opportun pour le général Haftar qui a frappé alors que les milices de Misrata sont épuisées par des semaines de combats.
Pour Mattia Toaldo, "il est important que les Etats-Unis et ses alliés européens continuent de s'opposer à toute vente de pétrole" qui ne vienne pas de la compagnie nationale. Selon lui, cela permettra de créer "les conditions pour la désescalade grâce à un accord sur les revenus pétroliers" au cœur de la montée des tensions.
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