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Elections: la chute du cours du brut et Boko Haram fragilisent le Nigeria

A huit jours du scrutin, la commission électorale nigériane a reporté les élections présidentielle et législatives. Raison invoquée : l'impossibilité d'assurer la sécurité du vote en raison de Boko Haram. L'opposition y voit une manœuvre du parti au pouvoir. L'inquiétude est grande d'ajouter une crise électorale à la guerre, dans un pays déjà fragilisé par la chute des cours du pétrole.
Article rédigé par Michel Lachkar
France Télévisions
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Port Harcourt, le 28 janvier 2015. Campagne électorale de Goodluck Jonathan, candidat du PDP People' s Democratic Party, sous haute protection policière. (AFP PHOTO / PIUS UTOMI EKPEI)

A quelques jours du scrutin, en pleine campagne électorale, les élections prévues le 14 février au Nigeria ont été repoussées de six semaines par la Commission nationale électorale indépendante (INEC). Les forces de l'ordre engagées dans les opérations militaires seraient dans l'impossibilité d'assurer la sécurité du scrutin. «Si la sécurité des électeurs et des observateurs électoraux ne peut pas être garantie, la perspective d'élections libres, justes et crédibles seraient grandement compromises», a affirmé le président de l'INEC, Attahiru Jega.

La guerre redouble d'intensité dans les provinces du nord-est, où les armées nigériane, tchadienne et nigériennes ont commencé à infliger de lourdes pertes à Boko Haram. Directement menacés et inquiets des échecs de leur grand voisin, le Tchad, le Cameroun et le Niger ont décidé de s’impliquer dans ce combat régional contre les insurgés islamistes.

Carte du Nigeria : contre-offensive dans la ville de Gamboru. (AFP)

Report du scrutin
Près de deux millions de Nigérians chassés de leurs villages par Boko Haram n'auraient pas pu voter. A une semaine du scrutin, 20 millions de cartes d'électeurs n'avaient toujours pas été distribuées. «Dans cette atmosphère politique explosive, une élection contestée pourrait mettre le feu aux poudres», affirme un rapport de l’International Crisis Group.

En 2011, la crise post-électorale avait fait plus de 800 morts malgré un scrutin jugé «honnête» par les observateurs internationaux. Goodluck Jonathan, chrétien du sud, l’avait emporté face à l’ancien général Muhammadu Buhari, un Nordiste musulman qu’il affronte de nouveau pour cette présidentielle.

L'annonce du report des élections est dénoncé par l'opposition qui y voit «une manœuvre du parti au pouvoir prêt à tout pour l'emporter au risque de mettre le feu au pays». Un «stratagème» pour gagner du temps alors que les derniers sondages semblent défavorables au président sortant Goodluck Jonathan. Le candidat du Congrès progressiste (ACP) Muhammadu Buhari dénonce «un recul majeur pour la démocratie Nigériane». Selon certains observateurs bien informés, le parti au pouvoir qui bénéficie d'un trésor de guerre grâce à la corruption pourrait profiter de ces semaines supplémentaires pour relancer sa campagne électorale et acheter les votes comme cela se pratique de longue date dans ce pays.
 
Le pacte rompu
La candidature de Goodluck Jonathan à un second mandat n’est pas du goût de tous, elle enfreint un pacte tacite au sein du parti au pouvoir. Une règle non-écrite veut qu’une alternance se fasse au sommet de l’Etat entre chrétiens et musulmans. «La stabilité de la fédération nigériane repose sur une subtile alternance du pouvoir et un partage de la manne pétrolière entre le nord et le sud», affirme le chercheur Marc Antoine Pérouse de Montclos. 

Attentat suicide au stade de Gombe, au Nigeria, à la fin d'un meeting électoral de Goodluck Jonathan, le 2 février 2015. (Stringer / Anadolu)

«La question de la religion est toujours importante dans nos élections, mais les échecs de M.Jonathan sont cette fois au centre des préoccupations des Nigérians», explique Jibrin Ibrahim du Centre pour la Démocratie et le développement à Abuja. Le président sortant est très critiqué pour n’avoir pas réussi à juguler l’insurrection de Boko Haram qui à fait 13.000 morts en six ans, mais aussi pour ne pas avoir su combattre la corruption qui ronge le pays.

Choc pétrolier
Autre inquiétude majeure, la chute des cours mondiaux du brut, alors que 70% des recettes de l’Etat nigérian proviennent de l’or noir. Le naira, la monnaie du pays, est à son plus bas face au dollar et le budget 2015 a déjà subi des coupes drastiques.

Les candidats ont promis la création de millions d'emplois, avec des investissements massifs pour réduire les incessantes coupures d'électricité et donner l'accès à l'eau courante. Mais pour tenir quelque peu ces promesses, l’argent du pétrole doit couler à flots. Si la chute des cours du brut persiste, le vainqueur de l'élection du 28 mars aura bien du mal à tenir le pays.  

La fragilité du géant africain inquiète. Avec 180 millions d’habitants, le Nigeria est le pays le plus peuplé de tout le continent africain. La stabilité du troisième producteur mondial de pétrole est jugée cruciale par les Etats-Unis et par l'ensemble des pays de la région.

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