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Essence de contrebande: un trafic juteux en Afrique du Nord et de l'Ouest
Le trafic d’essence n’a jamais été aussi prospère. Il fait vivre des milliers de familles de contrebandiers en Afrique du Nord et subsaharienne. L’activité fait le bonheur des automobilistes et ne cesse de se développer malgré la répression menée par les pouvoirs publics. Le Bénin envisagerait d’imposer une taxe à ce commerce illicite pour y mettre de l’ordre.
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Avec l’Algérie et le Nigéria, la Libye est un grand pourvoyeur du trafic d’hydrocarbures, devenu un grand fléau dans plusieurs pays de la région.
Depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi, des milices incontrôlables profitent du chaos pour monter des réseaux de trafic au large des côtes libyennes.
Le carburant moins cher que l’eau minérale
Le carburant est fortement subventionné en Libye. A moins d’un euro les 20 litres à la pompe, il coûte moins cher que l’eau minérale. Le trafic vers les pays voisins s’avère donc très lucratif. Des tonnes de carburant sont acheminées par les trafiquants en camions citernes vers les pays frontaliers comme la Tunisie, à l’ouest, ou vers le Niger, le Tchad et le Soudan. L’agence de presse libyenne a annoncé le déclenchement d’une opération baptisée «tempête de la Méditerranée», pour traquer ces gangs. Mais personne ne se fait guère d’illusion quant aux résultats de cette chasse à l’homme.
D’importantes quantités d’hydrocarbures en provenance de Libye ont été saisies en avril 2017 près de la frontière avec la Tunisie, dont la région sud vit essentiellement du trafic transfrontalier. Selon l’agence Ecofin qui cite un rapport d’un think tank américain, la contrebande représente 30% de la consommation nationale en Tunisie, soit 3 millions de litres par jour. Là aussi, les clients affluent en raison des tarifs nettement inférieurs à ceux pratiqués par les stations services du pays.
«Coupez les racines de ces voyous»
En décembre 2016, le syndicat des sociétés de distribution des produits pétroliers et d’autres acteurs de ce secteur ont placardé de nombreuses affiches et une vidéo-choc montrant «l’avenir sombre de la Tunisie si la contrebande continue à y sévir». Une campagne critiquée par des internautes tunisiens qui pointent la passivité des pouvoirs publics.
«C’est à l’Etat d’agir et non des campagnes publicitaires bidons, l’Etat doit combattre la contrebande comme le terrorisme», s’indigne un internaute dont les propos sont rapportés par businessnews.
«Coupez les racines de ces voyous en commençant par supprimer toutes ces stations-service sauvages le long des routes», suggère un autre internaute.
«Une affaire de plusieurs milliards de dollars»
Selon un récent rapport publié par le think tank américain The Atlantic Council, ce phénomène prend de plus en plus d'ampleur parce qu’il n’est pas assez combattu par les gouvernant des pays concernés.
«Le problème est resté invisible pendant de nombreuses années, les gens ne reconnaissant pas le trafic d’hydrocarbures en aval comme un problème. C’est une affaire de plusieurs milliards de dollars qui touche de nombreuses personnes dans le monde», explique le Dr Ian Ralby, auteur du rapport, au quotidien algérien Le Matin.
Des ânes et des motos chargés de jerricans
L’essence de contrebande en provenance d’Algérie alimenterait 13% des véhicules en circulation au Maroc et en Tunisie. Soit environ 660.000 véhicules. Pour passer la frontière, les produits pétroliers sont généralement transportés par des ânes chargés de jerricanes
Un trafic encouragé par des tarifs extrêmement avantageux. Le prix du carburant en Algérie est l’un des plus bas au monde. Selon Global Price, seuls les citoyens du Venezuela, ceux d’Arabie Saoudite payent moins cher le carburant que les Algériens (0,28 dollars le litre en décembre 2016).
Dans tous ces pays de l’Afrique du Nord, note le docteur Ian Ralby, les trafiquants alimentent un vaste et riche réseau de distribution. Ce qui leur permet «de blanchir les revenus tirés notamment du secteur de l’immobilier, autour des zones frontalières».
Le Delta du Niger alimente le marché béninois
Géant de l’Afrique de l’Ouest et grand producteur d’or noir, le Nigéria inonde son voisin béninois d’essence de contrebande. Un trafic à grande échelle entretenu par les producteurs illégaux du Delta du Niger.
Dans ce territoire peu contrôlé par le gouvernement fédéral nigérian, l’activité fait vivre des millions de personnes. rapporte l’Agence Ecofin. «Les insurgés siphonnent le pétrole des installations pétrolières» avant de l’acheminer illégalement vers le marché béninois, explique l’agence.
L’essence de contrebande représenterait plus de 75% de la consommation béninoise. Bien que réputée être de mauvaise qualité, ce produit s’est imposé sur le marché en raison de son prix : 0,40 euro le litre contre 0,60 euro à la pompe.
Un marché difficile à éradiquer
Pas facile d’éradiquer une activité qui nourrit des milliers de familles, reconnaît le ministre béninois en charge de la planification et du développement.
«On ne peut pas régler ce problème uniquement par les contrôles policiers et douaniers. Si cela était suffisant, la contrebande d’essence aurait été déjà éradiquée», confie Abdoulaye Bio Tchané au quotidien béninois La Nouvelle Tribune.
Résultat, à défaut d’éradiquer cette activité, le gouvernement du Bénin envisagerait d’imposer une taxe sur l’essence de contrebande. Il s’agit pour les autorités du pays de provoquer le renchérissement du prix de ce produit, et par ricochet, décourager les amateurs du carburant de contrebande, explique le site BeninMondeInfos.
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