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14-18: aux héros de l'Armée noire, le monument qui rend hommage aux tirailleurs

Pendant la guerre de 14-18, la France n’a pas hésité à faire venir quelque 300.000 soldats de son empire africain pour combattre les Allemands. Environ 30.000 d’entre eux sont morts. Pour rendre hommage à ces troupes coloniales, un monument a été érigé à Reims. Une œuvre qui a connu de nombreux aléas, à l’image des polémiques qui ont entouré l’utilisation de cette «force noire ».
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Aux héros de l'Armée Noire... inauguration en 2013 d'une copie du monument de 1924 dédié aux soldats venus d'Afrique, monument détruit par les Allemands en 1940. (FRANCOIS NASCIMBENI / AFP)

Parmi les innombrables monuments aux morts érigés après la guerre de 14 dans toutes les communes de France, la sculpture construite à Reims sort du lot. En effet, pour symboliser l’utilisation des troupes coloniales, il est décidé en 1921 de faire un monument en souvenir du «sacrifice» des troupes noires. Un comité est mis en place, présidé par le général Louis Archinard, ancien commandant supérieur du Soudan français, assisté du général Marchand (celui de la mission du même nom). Son objectif: faire ériger en métropole et en Afrique un monument à la mémoire des soldats indigènes morts pour la France au cours de la Première guerre mondiale «à l'aide des souscriptions des communes de France et des Amis des Troupes noires françaises», rappelle le site pédagogique CNDP

Le monument à l'Armée noire est toujours à Bamako (Yu. Vladimirov / Sputnik)

Le monument, réalisé par le sculpteur Paul Moreau-Vauthier, était constitué d’un piédestal en granit rapporté d’Afrique, en forme de tata (une fortification d'Afrique de l'Ouest), sur lequel étaient gravés les noms des principales batailles dans lesquelles les troupes africaines avaient été engagées. Au-dessus, la sculpture représente quatre soldats noirs regroupés autour d’un officier blanc protégeant le drapeau français. On le voit, l'époque n’etait pas à l’audace ou à la contestation du fait colonial.

Le monument est installé à Reims, en raison du rôle des troupes coloniales dans la défense de la ville en 1918  La première pierre est posée en 1922 par le ministre de la Guerre André Maginot qui déclara alors que «la victoire française de 1918 n'avait pas seulement ramené les frères d'Alsace-Lorraine dans la famille française, mais qu'elle avait aussi scellé les liens qui unissaient cette famille à la France coloniale: Aujourd'hui, la France ne compte plus 40 millions de Français. Elle compte 100 millions de Français.» Cette phrase d’une France de 100 millions de Français, qui laisse entendre que tous les habitants de l’empire aurait le même statut, figure aussi sur la statue du général Mangin à Paris, «inventeur» de la Force noire, ouvrage qui conceptualisa l’idée d’utiliser des forces venues notamment d’Afrique pour renforcer l’armée.

 

Hommage aux troupes coloniales avec les figures de Mangin et Marchand, Faidherbe et Diagne. (Le Petit journal / RetroNews-BnF / BnF-Partenariats)

Edouard Daladier, ministre des Colonies, est présent lors de l’inauguration du monument en 1924. Le ministre proclame bien haut que «les colonies n’ont pas déçu les espoirs qu’on avait mis en elles: 800.000 hommes, dont 600.000 combattants, sont venus à nos côtés, et plus de 30.000 sont tombés glorieusement pour le salut de la patrie commune.» Lors de la même ceremonie, tout à son lyrisme, le ministre ajoute: «Ici, à la lisière de la montagne, ici, où passèrent tant d'invasions successives, il convenait d'élever ce monument à la gloire des héros noirs, qui écrivirent une si magnifique épopée. (...) Les troupes noires ont participé aux batailles les plus sanglantes de la guerre et elles ont su mériter l'estime des populations civiles, tout autant que l'admiration de leurs chefs.» Avant d’être plus politique: «Il faut que la métropole fasse un vigoureux effort, pour aider ces populations courageuses à lutter contre la maladie et la misère, et pour forger, avec les divers éléments de notre empire colonial, une vaste association, pour la grandeur de la France et son rayonnement dans le monde.»
  
Le général Archinard célèbre les soldats venus d'Aftique: «Les tirailleurs noirs se sont conduits en bons Français» et ils «se sont montrés dignes de combattre sous nos trois couleurs, à côté de nous.» Pourtant cet hommage ne faisait pas l’unanimité, le genéral Petit, défenseur de Reims en 1918, refusant d’y participer trouvant, selon le site e-monument«intolérable que l’Histoire crée la légende que Reims a été sauvée par des Noirs».


Une opinion que devait partager les nazis puisque lorsque les troupes du IIIe Reich envahissent la France en 1940... le monument Aux héros de l’Armée noire est démonté et emporté par les Allemands. «En 1940, les Allemands considèrent les Noirs de l’armée française de la même façon qu’en 1917: ils les voient comme des sous-hommes, ils ne les reconnaissent pas comme des soldats», rappelle le général Lemoine à RFI.

La copie du monument de 1924 a été placée sur un socle différent de celui de l'époque. (FRANCOIS NASCIMBENI / AFP)

Le monument pris par les Allemands n'a jamais été retrouvé. En septembre 1958, une stèle provisoire le remplace.

Puis, «au début des années 1960, avec la fin de la guerre d'Algérie qui clôturait le long et difficile processus de la décolonisation, la reconstruction à l'identique du monument ancien a été écartée», rapporte le CNDP. Le nouveau monument devait se montrer moins «colonialiste» que le précédent. Un monument fort différent fut donc érigé et inauguré en octobre 1963 par un pannel de personnalités gaullistes: Pierre Messmer, ministre des Armées, Jean Sainteny, ministre des Anciens combattants, Jacques Foccart, Secrétaire général pour la Communauté et les Affaires africaines et malgaches, et le général Catroux, grand chancelier de la Légion d'honneur.  

2008: cérémonie au monument de Reims construit en 1963 pour rendre hommage à la Force Noire. Ce monument avait été construit pour remplacer celui de 1924 détruit par les Allemands en 1940. Ce n'est que plus récemment qu'une copie de celui de 1924 a été installé à proximité. (FRANCOIS NASCIMBENI / AFP)

Ce n'est que récemment que fut érigé, à côté de ce monument, une réplique de celui de 1924, en se servant de celui de Bamako, mais sur un socle différent.

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