Elections en Afrique du Sud : victoire annoncée de l'ANC
Les électeurs sud-africains votent le 8 mai 2019 pour des élections législatives et provinciales. Aux dires des sondages, et malgré le chômage, la corruption et une société de plus en plus inégalitaire, la victoire est une nouvelle fois promise au Congrès national africain (ANC), au pouvoir depuis la chute du régime de l'apartheid en 1994.
Même The Economist, bible des milieux d'affaires internationaux, y croit, l'ANC devrait l'emporter haut la main. "Le meilleur pari de l'Afrique du Sud", titrait-il le 27 avril 2018, avec une photo du président Cyril Ramaphosa souriant en couverture. Ajoutant : "Comment il peut nettoyer la nation arc-en-ciel."
Donc, sauf énorme surprise, le parti de feu Nelson Mandela devrait retrouver sa majorité absolue sur les bancs du parlement et son patron Cyril Ramaphosa, élu par les députés, son fauteuil de chef de l'Etat. Les derniers sondages accordent en effet à l'ANC de 50 à 61% des suffrages, très loin devant ses principaux rivaux.
"Nous savons que nous serons au gouvernement demain. Cette victoire, je peux la sentir, je peux la toucher", a lancé le 5 mai le président sortant devant plus de 50 000 partisans enthousiastes massés dans le stade d'Ellis Park à Johannesburg. Pourtant, sa campagne est loin d'avoir été une partie de plaisir. Il faut dire que l'ex-syndicaliste devenu multimillionnaire, longtemps dauphin pressenti de Nelson Mandela, a hérité fin 2017 d'un ANC en pleine crise de confiance, usé par les neuf ans du règne secoué par les scandales de son prédécesseur Jacob Zuma. Et aux élections locales, il y a trois ans, son parti avait réalisé le plus mauvais score national de son histoire (54%). Il avait perdu le contrôle de villes emblématiques comme Johannesburg et Pretoria.
Depuis qu'il a pris les rênes de l'ANC, puis du pays début 2018, Cyril Ramaphosa, 66 ans, répète qu'il est l'homme du changement, qu'il va tordre le cou à la corruption et redonner des couleurs au rêve désenchanté de la nation "arc-en-ciel" promu par son mentor Nelson Mandela. Ses promesses semblent avoir rassuré son électorat. "Ce qui est important, c'est que maintenant nous avons Cyril, a confié à l'AFP Mama Joy Chauke, 43 ans, venue applaudir le chef de l'Etat à l'Ellis Park. Je crois sincèrement qu'il est capable de changer ce qui n'a pas marché jusque-là."
"L'espoir que les choses vont s'améliorer"
"Ramaphosa a redonné aux électeurs l'espoir que les choses vont s'améliorer. Sa popularité tire celle de l'ANC", confirme l'analyste Susan Booysen, de l'université du Witwatersrand. Pourtant, le bilan du parti au pouvoir est loin d'être reluisant. Le chômage est endémique, son taux dépasse même 50% chez les jeunes, la pauvreté et les inégalités progressent, tout comme la criminalité...
Du pain béni pour le principal parti d'opposition, l'Alliance démocratique (DA), qui n'a pas manqué d'énumérer les échecs du gouvernement tout au long de sa campagne. "Ce scrutin doit être un choix (...) entre la destruction de notre pays au profit d'une petite mafia et la construction d'une Afrique du Sud sûre, prospère et inclusive au profit de tous", a résumé son jeune chef noir, Mmusi Maimane, 38 ans. "Ils ont été un moment nos libérateurs, mais aujourd'hui nous devons nous libérer d'eux", a-t-il lancé au sujet de l'ANC.
Pour autant, la DA n'a pas profité de la baisse de popularité du parti au pouvoir. Toujours perçue comme un parti de la minorité blanche, la formation est créditée de 15 à 25% des intentions de vote. Aux législatives de 2014, elle avait séduit 22% des votants.
Troisième force politique du pays, les Combattants pour la liberté économique (EFF) devraient, quant à eux, passer la barre symbolique des 10%, une nette progression par rapport aux 6,3% de 2014. Leur tonitruant "commandant en chef" au béret rouge, Julius Malema, a su capter la colère de personnes démunies à longueur de discours enflammés dirigés contre la corruption de l'ANC et la minorité blanche. Des discours qui lui valent des accusations de "racisme". "Nous voulons des emplois et des terres maintenant !", a-t-il exigé à chacune de ses sorties. "Mandela a passé le relais à la jeune génération, et la jeune génération, ce sont les EFF !"
Mais ni les EFF, ni la DA ne semblent en mesure de faire trébucher l'ANC en le privant de sa majorité absolue.
"Les gens n'ont que peu bénéficié du départ de Jacob Zuma"
"Les gens ne croient pas vraiment en ces partis. Ils n'ont que peu bénéficié du départ de Jacob Zuma, ils ont eu du mal à mener des campagnes solides et cohérentes et à proposer des politiques alternatives", souligne l'universitaire Susan Booysen.
Sûr de sa réélection, Cyril Ramaphosa a déjà promis de tenir compte des critiques des électeurs pendant son mandat, conscient qu'un nouvel échec sanctionnerait l'ANC. "Nous vous avons entendus. Nous ferons ce que vous attendez de nous", a-t-il affirmé le 5 mai.
Si les sondages prédisent que le sort de l'Assemblée nationale est joué, la seule surprise du 8 mai pourrait venir des scrutins pour les assemblées des neuf provinces. Aux dires des enquêtes d'opinion, l'ANC semble menacé dans la province de Gauteng (nord), celle de Johannesburg et Pretoria.
Ces résultats sont-ils prémonitoires pour l'avenir ? "L'ANC peut espérer une majorité de 60% mais ce sera une victoire en trompe-l'œil", avertit Frans Cronje, de l'Institut pour les relations raciales (South African Institute of Race Relations, IRR). Et d'ajouter : "L'ANC n'a pas su se moderniser pour séduire les jeunes électeurs (...) qui vont plutôt vers la DA et les EFF. (Le parti) a déjà perdu les élections de 2024 ou de 2029." Il peut cependant se passer bien des choses en Afrique du Sud d'ici là...
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