Cet article date de plus de trois ans.

Ethiopie : l'armée du Tigré reprend Mekele, abandonnée par les forces gouvernementales

La capitale du Tigré est tombée aux mains des insurgés sans combats, tandis qu'Addis Abeba annonce un cessez-le-feu

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4min
Deux véhicules militaires détruits sur une route au nord de Mekele illustrent l'intensité des combats qui secouent le Tigré depuis novembre 2020. (EDUARDO SOTERAS / AFP)

C'est un surprenant revirement militaire que vit la région du Tigré, en Ethiopie. Dans la soirée du 28 juin, les troupes du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) sont entrées dans la capitale régionale Mekele sans livrer de combats. Dans le même temps, le pouvoir central à Addis Abeba annonçait un cessez-le-feu "unilatéral et inconditionnel".

Les troupes gouvernementales et les policiers fédéraux avaient quitté la ville dans la journée, dans un sauve-qui-peut général. Selon des témoins, certains militaires pillaient des banques et réquisitionnaient des véhicules de particuliers, laissant entrevoir l'urgence qu'ils avaient de partir. "La police fédérale et les forces éthiopiennes fuient la ville dans des voitures qu'elles ont prises à des particuliers. Elles semblent se diriger vers l'Est", a déclaré un témoin cité par l'AFP.

Une ville en liesse

Déjà l'administration intérimaire, mise en place par Addis Abeba, avait quitté les lieux. Dans l'après midi du 28, des journalistes du New York Times constataient que le siège du gouvernement intérimaire du Tigré "était étrangement désert". A l'hôtel Axum où séjournaient des dirigeants, on confirmait la veille que certains avaient déjà fait leurs valises.

La reprise de la ville par les troupes du TPLF a été fêtée par la population. Des milliers de personnes sont descendues dans la rue, brandissant des drapeaux tigréens et tirant des feux d'artifice. Une joie qui illustre bien le rejet par la population du pouvoir central d'Addis Abeba et la soif d'indépendance qui traverse la région.

Renversement de situation

Ce renversement de situation est aussi soudain que l'avait été l'intervention d'Addis Abeba en novembre 2020. Il s'agissait alors de mettre au pas un pouvoir politique local frondeur. En clair, renverser les dirigeants locaux. L'opération était rondement menée et, en quelques jours, l'armée gouvernementale s'installait à Mekele.

Mais dans tout le Tigré, les combats se poursuivaient, émaillés d'exactions de plus en plus nombreuses. Malgré le silence radio imposé par Addis Abeba et l'impossibilité des journalistes à faire leur travail, les témoignages d'atrocités se multipliaient. Au point que des ONG accusaient le pouvoir de mener une guerre de la faim, en visant les ressources vitales des populations. Washington condamnait également "des actes de nettoyage ethnique", exhortant à un cessez-le-feu.

Pression diplomatique

Le rôle des soldats érythréens, alliés de l'Ethiopie dans le conflit, a été également critiqué. Mohamed Abdelsalam Babiker, rapporteur spécial de l'ONU sur la situation des droits de l'Homme dénonçait "des attaques délibérées contre des civils, des exécutions sommaires, des violences sexuelles et sexistes, des détentions arbitraires, des enlèvements et des disparitions de réfugiés".

Le Haut-commissariat de l’ONU aux droits de l'Homme mène depuis le 16 mai une enquête sur le terrain, et devrait rendre son rapport en août prochain.

Lors du sommet du G7 u Royaume-Uni, le 12 juin 2021, des manifestants demandent aux grandes nations de faire pression pour que cesse la guerre au Tigré. (TOM NICHOLSON / REUTERS)

Au fil des mois, la situation devenait diplomatiquement intenable pour le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed. Le prix Nobel de la paix de 2019 perdait de son prestige au point d'être mis au ban des chefs d'Etats. Jusqu'à présent, le Conseil de sécurité de l'ONU n'a jamais été en mesure de tenir une session publique sur le Tigré. Les pays africains, mais également la Russie et la Chine, faisant barrage.

Recul sur le terrain

Le recul d'Addis Abeba est aussi lié à la situation militaire. Le huis-clos imposé ne permettait pas de bien appréhender la réalité sur le front. Or l'armée régulière a essuyé, semble-t-il, plusieurs revers ces derniers temps. Selon le New York Times, "les forces éthiopiennes auraient abandonné un certain nombre de positions stratégiques autour d'Adigrat, d'Abiy Adiy et en plusieurs endroits du sud du Tigré". Les troupes du TPLF sont clairement passées à la contre-offensive, notamment en employant de l'armement lourd.

Autant d'éléments qui permettent d'expliquer les raisons du cessez-le-feu annoncé par Abiy Ahmed. Reste à savoir ce qu'en feront les soldats du Tigré. Le Front de libération du peuple du Tigré pourrait pousser son avantage afin de forcer Addis Abeba à négocier l'indépendance que la région réclame.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.