Mugabe et Dos Santos: quand l'influence des dynasties africaines vacille
La confusion s’est emparée de Harare, la capitale du Zimbabwe. Depuis quelques jours, l’armée a confiné le chef de l’État nonagénaire Robert Mugabe dans son palais présidentiel – officiellement afin d’assurer sa sécurité – alors que ce dernier refuse obstinément de démissionner.
Quelques jours auparavant, le 15 novembre, à Luanda, capitale de l’Angola, on annonçait le limogeage d’Isabel Dos Santos de Sonangol. Elle dirigeait cette entreprise pétrolière publique depuis juin, sur ordre de son père, José Dos Santos, alors président de l’Angola, un poste qu’il a occupé depuis 1979, peu après l’indépendance du pays, jusqu’à son récent départ.
Le limogeage de celle que Forbes appelle « la femme la plus riche d’Afrique » a été acté par le nouveau chef de l’État, João Lourenço, arrivé au pouvoir en septembre dernier.
Bien qu’il n’existe pas de lien direct entre ces deux événements, il est difficile de ne pas les rapprocher. Ils montrent en effet que les dynasties familiales à la tête de ces deux pays quasiment depuis leur indépendance sont arrivés aujourd’hui à un moment charnière.
Bas les masques !
Robert Mugabe, à la tête du Zimbabwean African National Union-Patriotic Front (Zanu-PF), a pris la direction de l’État en avril 1980.
En dépit d’une façade démocratique forgée sur un semblant de constitutionnalisme et la tenue d’élections régulières, le règne de Mugabe est devenu de plus en plus autoritaire. Ces dernières années, il avait clairement renoncé à appliquer l’État de droit. L’économie du Zimbabwe a, par ailleurs, connu un profond ralentissement, avec une croissance se réduisant de moitié entre 2015 et 2016. Le pays, qui avait été qualifié de « grenier de l’Afrique », est devenu, au tournant des années 2000, synonyme de crise agricole.
José Eduardo dos Santos, président de la République d’Angola depuis le décès du père de l’indépendance angolaise Agostinho Neto en 1979 a établi de longue date un régime autoritaire, voire dictatorial.
Il a, entre autres, fait face à de nombreuses ingérences extérieures et connu deux décennies de guerre civile.
L’Angola est, par ailleurs, devenue de plus en plus « célèbre » pour ses pratiques de corruption à grande échelle, impliquant tout particulièrement les nantis qui ont fait fortune grâce au commerce du pétrole.
La paupérisation de ces deux pays, où la grande majorité vit au-dessous du seuil de pauvreté, n’empêche cependant pas les dirigeants de vivre dans le faste. Le 90e anniversaire de Mugabe avait choqué l’opinion par son opulence. L’ancien marxiste José Eduardo Dos Santos est lui, à la tête d’une fortune estimée à quelque 20 milliards de dollars US. Alors que les soins et infrastructures médicales manquent cruellement en Angola et au Zimbabwe, Dos Santos et Mugabe se rendent régulièrement à l’étranger pour leurs traitements médicaux, le premier en Espagne et le second à Singapour.
Partir pour tenter de rester
Bien que Dos Santos ait été aussi réticent que Mugabe à renoncer au pouvoir, il a pris la décision de démissionner en août après avoir passé 38 ans à la tête du pays pour mieux tenter de conserver une certaine influence à travers son parti et en s’appuyant sur les membres de sa famille.
Mugabe, a, lui, essayé d’imposer son épouse en la désignant comme successeur. Ayant failli, il cherche désormais à se maintenir au pouvoir malgré la prise de contrôle du pays par l’armée.
Les récents événements à Luanda et Harare montrent ainsi, que malgré tous leurs efforts, ces vétérans du pouvoir ne sont plus capables d’imposer leur dynastie.
Intriques à l'angolaise
Lorsqu’en 2016, les problèmes de santé de Dos Santos l’obligèrent à se rendre en Espagne pour se faire soigner, il annonça qu’il démissionnerait de ses fonctions et approuva la désignation de son ministre de la Défense João Manuel Gonçalves Lourenço comme son successeur.
Peu après la victoire du parti au pouvoir, le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA), lors des élections générales en août dernier, Lourenço a pris ses fonctions comme Président. Dos Santos, toujours chef du MPLA, restait cependant tapis dans l’ombre, s’attendant à ce que Lourenço défende les intérêts de son prédécesseur et ceux de son affluente famille.
Le limogeage d’Isabel dos Santos a dû ainsi faire l’effet d’une douche froide pour l’ancien Président. L’événement marque en effet une rupture et illustre la volonté de Lourenço d’être son propre maître et de se distancier de la famille Dos Santos, que de nombreux Angolais associent à la corruption qui mine le pays.
Isabel Dos Santos, qui fait ses études à Londres, avait pourtant fait ses preuves à la tête de Sonangol, et ce malgré la morosité économique et la chute du prix du baril. Il est donc peu probable que la décision de Lourenço ait été motivée par des raisons purement économiques.
Selon les rumeurs qui courent à Luanda, c’est désormais le frère d’Isabel qui serait dans le collimateur présidentiel. José Filomeno dos Santos pourrait ainsi être remercié et quitter son poste de dirigeant du plus grand fonds souverain du pays. Par ailleurs, le patriarche lui-même pourrait être inquiété à son poste de chef du parti.
Ricardo Stuckert/Wikimedia, CC BY
L'échec de «Gucci Grace»
Au Zimbabwe, Robert Mugabe avait tout prévu. Sa femme « Gucci Grace » aurait pu lui succéder si tous deux n’avaient pas fait l’erreur de forcer la main au gouvernement en décidant de renvoyer le Vice-Président Emmerson Mnangagwa.
Sous l’impulsion de ce dernier, appuyé par l’armée, Mugabe est sur le point de perdre définitivement la tête de son parti et celle du pays.
Un changement de leadership en Angola et au Zimbabwe aurait un impact considérable sur l’ensemble de la région.
Vers de nouveaux horizons
Si Mnangagwa a fait ses preuves au sein du gouvernement zimbabwéen depuis de nombreuses années, son implication dans les massacres de 20 000 personnes d’ethnie Ndebele dans le sud-ouest du pays, au Matabeleland en 1983-84 demeure vivace dans les esprits et il est peu probable qu’il émerge comme le champion de la démocratie.
En Angola, Lourenço cherche toujours à asseoir son autorité à la tête du pays.
Il serait donc irréaliste d’attendre que ces pays émergent sans trop de problèmes de décennies de régime autoritaire, où la transparence et l’État de droit font cruellement défaut.
Mais si les anciens dictateurs perdent réellement de leur influence, et si les mouvements de « libération » politique dont ils sont issus ne se transforment plus systématiquement en parti politique, une nouvelle ère politique pleine de promesses pourrait s’ouvrir non pas seulement pour l’Angola et le Zimbabwe mais pour l’ensemble des pays de l’Afrique australe.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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