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Selahaddin Gülen, le neveu de l'opposant au président Erdogan Fethullah Gülen, enlevé au Kenya par la Turquie

Selahaddin Gülen avait mystérieusement disparu au Kenya au début du mois de mai. Les autorités d'Ankara assurent désormais le détenir.

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La place centrale de Nairobi, la capitale du Kenya. C'est en se rendant au commissariat dans le cadre de sa liberté conditionnelle que Selahaddin Gülen a été probablement enlevé par les services secrets turcs. (JENNY PATE / ROBERT HARDING HERITAGE)

Dans la lutte acharnée que mène le président turc Recep Tayyip Erdogan contre le mouvement du prédicateur Fethullah Gülen, Ankara vient de réaliser une nouvelle prise, et pas des moindres. Selahaddin Gülen, le neveu du prédicateur, a été "rapatrié" le 31 mai dernier par des agents des renseignements turcs. Un de ses avocats, Jotham Arwa, accuse les autorités kényanes d'avoir "capturé de manière gratuite et flagrante" son client et de l'avoir "détenu au secret" dans le but de "contourner la loi" et de le renvoyer en Turquie.

Selahaddin Gülen, jusqu'alors résident aux Etats-Unis, avait été arrêté à son arrivée à l'aéroport de Nairobi le 17 octobre 2020. Il se rendait, selon lui, au Kenya pour se marier. L'arrestation faisait suite à une demande de la Turquie qui l'accusait de "pédophilie", et réclamait son extradition. Une vieille accusation qui remonte à 2018, visiblement peu fondée.

En mars 2021, la justice kényane refuse son extradition, reconnaît le statut de demandeur d'asile de Selahaddin Gülen, et le place en liberté provisoire. Son contrôle judiciaire l'obligeait à se rendre tous les lundis au commissariat. Or, depuis le 3 mai dernier, il n'a pas réapparu. C'est son épouse qui a donné l'alerte. Après elle, des membres du réseau Gülen ont réclamé sa libération.

La traque de la confrérie Gülen

La Confrérie Gülen est une nébuleuse mêlant religion, éducation et affaires, qui s'est développée partout dans le monde. Son influence grandissante a provoqué la rupture entre Erdogan et Gülen, longtemps proches.

Au lendemain du coup d'Etat manqué, le président turc Recep Tayyip Erdogan a accusé la confrérie Gülen d'en être à l'origine. Une accusation relayée par les mouvements nationalistes comme lors  de cette manifestation à Ankara le 21 juillet 2016. (ADEM ALTAN / AFP)

Depuis qu'Erdogan accuse son fondateur, Fethullah Gülen, d'avoir orchestré la tentative de coup d'Etat de 2016, la traque menée contre les membres du réseau Gülen est acharnée. Ainsi, Ankara affirme avoir "rapatrié" plusieurs dizaines de personnes liées au réseau depuis cette date. "Le frère, la sœur et 62 autres membres de la famille de Selahaddin sont actuellement en prison", précise l'AFP.

Quel rôle a joué le Kenya ?

L'attitude des autorités kényanes, et leur silence sur cette affaire, pose bien des questions. "Comment des agents étrangers peuvent-ils parvenir à attraper quelqu'un, partir avec et l'emmener à JKIA (l'aéroport international) et le faire sortir du pays ? Sans que personne ne pose de questions ?", s'interroge Otsieno Namwaya, militant de Human Rights Watch pour l'Est africain. D'autant que le Kenya se veut un Etat de Droit, où la justice, tant bien que mal, assure son indépendance du pouvoir politique.

Des questions qui supposent une complicité des autorités kényanes, ou du moins une passivité bienveillante. Or, le Kenya est économiquement très lié à la Turquie. En 2016, Le ministre turc des Douanes et du Commerce, Bülent Tüfenkci, a annoncé que 24 fonds d’investissement turcs étaient actifs au Kenya. La Turquie a d'ailleurs placé le pays parmi les objectifs prioritaires d'investissement en 2021, aux côtés du Maroc, de l'Ethiopie ou de l'Afrique du Sud.

Un précédent

D'autant que le Kenya semble abonné aux extraditions forcées des adversaires politiques turcs. En 1999, le leader indépendantiste kurde Abdullah Öcalan est capturé alors qu'il séjourne dans la résidence de l'ambassadeur de Grèce à Nairobi. Cela met fin à la longue traque menée par Ankara pour mettre la main sur l'homme considéré comme l'ennemi numéro un du pays.

Le 15 février 2020, des milliers de Kurdes manifestent à Strasbourg en France pour réclamer la libération du leader du PKK, Abdullah Öcalan. Condamné à la prison à vie, il est l'unique détenu de sa prison sur l'île d'Imrali, à 60 km au large d'Istanbul. (FREDERICK FLORIN / AFP)

A l'époque déjà, la Turquie avait fait pression sur la communauté internationale, réduisant successivement les potentiels pays d'asile pour Öcalan. Italie, Allemagne, France lâchent successivement le leader kurde. Il ne reste plus que la Grèce pour l'accueillir dans son ambassade du Kenya. 

Grèce et Kenya se renvoient alors la balle quant à leurs rôles respectifs dans cette capture. "La police d'un pays ne peut pas entrer dans une ambassade sans l'autorisation du pays concerné. J'en conclus que le départ d'Öcalan a été organisé par les Grecs alors qu'il était sous leur protection", expliquait à l'époque Britta Bölher, l'une des avocates du leader kurde. Mais personne ne s'interroge sur l'empressement du Kenya à participer à la capture.

Sauf que la promptitude de Nairobi à renvoyer dans leurs pays d'origine les demandeurs d'asile ne se limite pas aux ressortissants turcs. HRW cite de nombreux cas de Rwandais, de Burundais, de Congolais et d'Ethiopiens arrêtés au Kenya et forcés à rentrer chez eux. "L'hostilité du gouvernement kényan envers les demandeurs d'asile est tout simplement stupéfiante, réagit Otsieno Namwaya. Le gouvernement actuel ne respecte pas du tout la justice", conclut-il.

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