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Pardon, guerre, héros : le cinéaste Joël Karekezi explore les âmes des rescapés du génocide rwandais

Les films du réalisateur rwandais sont sur tous les écrans français. Dans les salles, les cinéphiles découvrent "La Miséricorde de la jungle", Etalon d'or de Yennenga au dernier Fespaco, et deuxième long métrage de fiction de Joël Karekezi. La chaîne Toute l'histoire programme, elle, son documentaire "Rwanda : portraits du pardon" le 28 avril 2019. 

Article rédigé par Falila Gbadamassi - Propos recueillis par
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7min
Les comédiens Marc Zinga et Stéphane Bak dans une scène du film "La Miséricorde de la jungle" de Joël Karekezi, dans les salles françaises depuis le 24 avril 2019. (Neon Rouge Production)

franceinfo Afrique : l’idée de La Miséricorde de la Jungle est partie d'une anecdote que vous a racontée votre cousin. Comment travaille-t-on à mettre en image ses souvenirs tramatisants et ceux des autres ?

Joël Karekezi : à l'époque où mon cousin m’a raconté son histoire, j’avais envie de faire un film sur le Congo (RDC, voisin du Rwanda, NDLR). Il m’a expliqué comment il s’était perdu dans la jungle et j’ai pensé que c’était le bon endroit pour explorer en profondeur la psychologie des personnages. J’ai écrit une histoire universelle, qui nous parle à tous, accessible à tous, Congolais, Rwandais, Africains et au monde entier.

Les deux héros du film, Xavier (Marc Zinga) et Faustin (Stéphane Bak), sont des soldats rwandais plus ou moins aguerris qui s'égarent dans la jungle, à la frontière entre les deux pays, au début de la deuxième guerre du Congo (RDC) en 1998. Ils sont pris au piège. Comment avez-vous choisi vos acteurs, tous récompensés pour leur performance, et comment avez-vous abordé leur rôle avec eux ?

Marc Zinga est moitié rwandais, moitié congolais. C’est un acteur qui est touché par les évènements qui se déroulent dans ces deux pays. Nous avions envie de raconter cette histoire. Quant à Stéphane Bak, c’était son premier voyage en Afrique et d'une certaine manière sa contribution au cinéma africain. Pour moi, le jeune Faustin, c’est lui.

Nous avons discuté de la psychologie des personnages. Mais cette expérience dans la jungle, éprouvante à la fois physiquement et psychologiquement, a beaucoup contribué à leur performance. Entre ce qu'ils ont vécu sur le terrain et les discussions que nous avions eues, cela a très bien fonctionné. Marc Zinga a en effet été récompensé au Fespaco, Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Prix de la meilleure interprétation masculine), et Stéphane Bak (Prix du second rôle masculin) au Festival de Khouribga (Maroc).

Que représente l’Etalon d’or de Yennenga que votre film a également décroché à Ouagadougou ?

Tout le monde rêve d’avoir l’Etalon. Pour ma part et pour la génération de cinéastes à laquelle j'appartiens, et qui fait du cinéma autoproduit, c'est une grande source de motivation. C’est également le début du voyage : je dois beaucoup travailler et faire d’autres films. L’Etalon, c’est grand et merveilleux parce que c’est une récompense qui pousse un film en Afrique et à l'étranger. C’est ce qu’il faut parce que le cinéma africain a besoin d’être soutenu.

Le cinéaste rwandais Joël Karekezi brandit l'Etalon d'or de Yennenga qu'il a remporté pour son film, "La Miséricorde de la jungle", lors de la cérémonie de clôture du Fespaco le 2 mars 2019, à Ouagadougou (Burkina Faso).  (ISSOUF SANOGO / AFP)

Après le traumatisme du génocide, vous recherchiez un moyen d’expression. Vous vous êtes formé au cinéma en prenant des cours à distance. Quand vous avez reçu l’Etalon, vous avez déclaré que c’est un encouragement pour les jeunes qui s’intéressent au septième art. Pourquoi ?

J’ai un parcours d’autodictate. C'est possible avec internet et l’évolution technologique. Je me suis autoproduit pour mon premier long métrage, un film à petit budget, et j’ai fait toute la post-production à distance grâce à internet. Les jeunes doivent profiter de toute cette technologie. Les caméras et les équipements nécessaires pour faire du cinéma sont de plus en plus abordables. A l’instar des connaissances qui sont, elles aussi, disponibles.

L'année 2019 est celle d'un triste anniversaire. Vous êtes un rescapé du génocide. Que ressentez-vous ?

C’est la commémoration du 25e anniversaire du génocide contre les Tustsis. Mon père a été tué (Joël Karekezi avait 9 ans, NDLR). On ne peut pas oublier, mais cela nous pousse également à penser à l’avenir, à celui de nos enfants, afin que cela n’arrive plus jamais. Il faut essayer de raconter des histoires qui permettent à tous les humains de se pencher sur les conséquences de ce genre de crimes. 

Pouvoir s'exprimer sur ces traumatismes par le biais du cinéma contribue-t-il à vous apaiser quelque peu ?

Si on y arrive vraiment, cela fait du bien. Mais c'est aussi un devoir parce que si on ne raconte pas ces histoires nous-mêmes, des étrangers le feront à notre place et ce sera leur point de vue, pas le nôtre. Il est de notre responsabilité de faire le nécessaire pour relater ces récits. Cela contribue à écrire notre histoire et nos enfants verront les films que nous avons réalisés. 

Jusqu'ici, votre œuvre reste focalisée sur le génocide. Pensez-vous que vous pourrez un jour vous tourner vers des sujets plus légers ?

Oui... Je m'adapte à tout. Même si les thématiques de mes films sont assez dures, j'essaie tout de même d'apporter un peu de légereté à l'audience. Je suis prêt à m'intéresser à d'autres sujets. Le plus important pour moi, en tant que scénariste et réalisateur, est de tout faire pour raconter des histoires qui me tiennent à cœur. En outre, même quand il y a de la légereté, j'essaie toujours d'envoyer un message. 

Vous dites que vous êtes devenu un messager de la paix. Comment y parvient-on avec une caméra ?

Le cinéma permet de se questionner. Mon premier long métrage (Imbabazi-Le Pardon, 2013) portait sur le génocide rwandais et on essayait d'y comprendre le pardon. Le deuxième (La Miséricorde de la jungle) est un film antimilitariste, c'est un film qui ne glorifie pas la guerre et qui tente d'interpeller l'audience. 

Travaillez-vous déjà sur un nouveau projet ? 

Je développe un projet de fiction qui me paraît nécessaire. Il porte sur la vie du capitaine sénégalais Mbaye Diagne qui travaillait pour les Nations unies au Rwanda pendant le génocide. Au moment où l'ONU, les Français, quittaient le pays et que tout le monde tentait de sauver sa peau, lui n'a pas baissé les bras. Il a ainsi sauvé plus de 600 personnes. Il est mort au Rwanda. C'est un Juste dont j'aimerais raconter l'histoire. En attendant, la chaîne Toute l'histoire diffuse le 28 avril 2019 un documentaire que j'ai réalisé, Rwanda : portraits du pardon. Il sera également projeté en mai au Memorial de la Shoah. 

La Misericorde de la jungle de Joël Karekezi,
avec Marc Zinga et Stéphane Bak
Sortie française : 24 avril 2019

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