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Au Maroc, le procès du viol collectif d'une adolescente

Il devait avoir lieu en mai 2019. Reporté, il a débuté le 25 juin à Beni Mellal (centre du Maroc). 

Article rédigé par franceinfo Afrique
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La jeune Khadija Okkarou discute avec des membres d'une organisation humanitaire locale devant le tribunal de Beni Mellal le 10 octobre 2018. (FADEL SENNA / AFP)

Le procès des 12 hommes, accusés en août 2018 d'avoir séquestré, torturé, violé et tatoué une jeune Marocaine de 17 ans, s'est ouvert le 25 juin 2019 dans la région de Beni Mellal (200 km au nord-est de Marrakech). 

Les 12 accusés, âgés de 19 à 29 ans, avaient comparu en mai 2019 devant la chambre criminelle de la cour d'appel de Beni Mellal (après une première audience en mai 2018), qui devait les juger. Parmi les chefs d'accusation annoncés, la "traite d'êtres humains", la "constitution d'une bande organisée" ou "l'enlèvement et séquestration".

Cependant, les avocats de la défense et celui de la jeune Khadija, qui s'est portée partie civile, avaient demandé plus de temps pour se préparer. Le juge avait alors reporté le procès.

"Les accusés ont avoué les faits, qui leur sont reprochés pendant l'interrogatoire de police, mais ont pour la plupart nié devant le juge d'instruction", déclarait en mai à l'AFP Me Ibrahim Hachane, avocat de Khadija Okarou.

Torturée, violée et tatouée

En août 2018, la révélation de la séquestration et du viol collectif de la jeune Marocaine provoque un tollé médiatique au Maroc. Les faits, qui se sont déroulés à Oulad Ayad, un petit village de la région de Beni Mellal, choquent par leur violence.

Au printemps de la même année, Khadija passait une semaine chez sa tante pour le Ramadan. Elle est alors enlevée devant la porte de son domicile par un groupe d'hommes inconnus et emmenée dans un terrain vague. Durant près de deux mois, la jeune fille est séquestrée, torturée et violée. Ses tortionnaires lui tatouent également des motifs grossiers sur diverses parties du corps : croix gammée, insultes et symboles en tous genres.

Khadija, assise chez elle dans le village d'Oulad Ayad, peu après sa libération, le 21 août 2018. (STRINGER / AFP)

Libérée en août 2018, suite à un appel téléphonique de son père, qui promet aux ravisseurs de ne pas porter plainte, elle est redéposée en moto devant chez elle. Quelques jours plus tard, la jeune fille témoigne à visage couvert dans une vidéo, diffusée par Chouf TV, et rend publique son calvaire. 

"Mon père leur avait dit de me libérer et il leur a promis de ne rien dire aux autorités. Mais c'est moi qui ai tout dit aux gendarmes. Je veux la justice et qu'ils paient pour ce qu'ils m'ont fait", racontait ainsi la jeune fille au micro de Chouf TV, dans une interview retranscrite par Telquel.

"On m’a tatoué et brûlé le corps sans que j’en sois consciente. Je n’arrêtais pas de pleurer et j’ai essayé de fuir à plusieurs reprises, mais ils ont réussi à m’attraper. Ils m’ont alors frappée (…). Ce sont des criminels, qui ne me donnaient ni à manger, ni boire et ne m’autorisaient pas à me laver", ajoute-t-elle. 

Vives réactions au Maroc et sur les réseaux sociaux

Ce témoignage glaçant suscite alors l'indignation profonde de l'opinion publique marocaine. Les images de ses bras et jambes tatoués pendant sa séquestration, en particulier, provoque une vague de protestations sans précédent dans le royaume. Sur les réseaux sociaux, les hashtags #JusticePourKhadija se multiplient.

D
e nombreux internautes demandent que justice soit faite et que les 12 accusés soient sévèrement punis. Une pétition pour venir en aide à la jeune fille est lancée et recueille en quelques jours plus de 13 000 signatures. Le 25 août 2018, un sit-in de soutien est également organisé près d'Oulad Ayad.

Un acte courageux

La décision de Khadija Okkarou de briser le silence et de s'exposer ainsi publiquement a été perçue comme une démarche particulièrement courageuse aux yeux d'une partie du peuple marocain. 

C'est d'autant plus le cas qu'au Maroc, plus de la moitié des femmes ont déjà subi une forme de violence et plus de 90% d'entre elles n'ont pas porté plainte contre leur agresseur, comme le révèle une enquête nationale menée en mars 2019 par le ministère marocain de la Famille, de la Solidarité, de l'Egalité et du Développement social.  

Questions sans réponses

Pourtant, un an après les faits, de nombreux éléments de l'affaire demeurent flous. Se pose notamment la question de la durée de la séquestration : pourquoi le père de Khadija n'a-t-il pas réagi plus tôt en prévenant les autorités locales ? L'identité des accusés et la signification des tatouages infligés à la jeune fille restent également inconnues. Des questions que le procès permettra peut-être d'éclaircir dans les semaines qui suivent.

Au Maroc, ONG et médias alertent régulièrement sur la condition des femmes, trop souvent victimes de pressions sociales et familiales dans une société conservatrice qui pousse les victimes de viols à garder le silence.

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