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Cameroun: vers une insurrection anglophone?

Les violences se multiplient dans l'ouest anglophone du Cameroun, où une insurrection est en train de «prendre corps». Mais il est difficile de cerner cette nébuleuse sécessionniste tentée par la lutte armée, décrypte pour l'AFP Hans De Marie Heungoup, politologue et chercheur à l'International Crisis Group (ICG).
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Manifestation anglophone à Bamenda (nord-ouest du Cameroun) le 22 septembre 2017. Bamenda est la principale ville de la région. Depuis novembre 2016, la minorité anglophone, environ 20% des 22 millions de Camerounais, proteste contre ce qu'elle appelle sa marginalisation par la majorité francophone du pays, entre autres, dans l'enseignement et la magistrature. (STRINGER / AFP )

Assiste-t-on à la naissance d'une insurrection armée au Cameroun anglophone?
Oui, les éléments constitutifs d'une mobilisation insurrectionnelle prennent graduellement corps. Presque tous les ferments d'une possible insurrection sont réunis. Le courant sécessionniste, sans être majoritaire, a aujourd'hui un poids significatif au sein des anglophones. La frange optant pour la lutte armée s'accroît de jour en jour. En fait, les sécessionnistes ont déjà réuni une masse critique de sympathisants et vulgarisé leur idéologie. C'est la première étape de toute lutte insurrectionnelle.

Ils ont par ailleurs sous leur influence une masse de jeunes radicalisés. Ce sur quoi ils butent, pour le moment, c'est le matériel militaire et les finances pour lancer une véritable insurrection.

On peut aussi penser que même parmi les partisans de la violence, certains hésitent encore à franchir le pas ou à initier des actions plus meurtrières. Sept bombes artisanales ont explosé ces derniers mois sans faire de victimes. Difficile de savoir si ce sont des attentats ratés ou une simple volonté d'intimider le gouvernement camerounais.

Dans cette même logique, si les incendies de commerces et d'écoles visent surtout à empêcher la reprise scolaire et à renforcer les villes mortes, les attaques contre les militaires sont probablement des premiers essais, afin de tester les forces de défense camerounaises. Il peut aussi s'agir de pousser le gouvernement à s'enfermer dans une réponse purement sécuritaire, bénéfique aux sécessionnistes.

Qui en sont les acteurs sur le terrain?
Il est difficile de les discerner avec précision. Toutefois, parmi les acteurs violents figurent l'Ambazonia Defense Forces (ADF), qui est plus ou moins coordonné et est indirectement rattaché au gouvernement intérimaire de l'Ambazonie par le biais de leur «Department of Defense». En dessous existent une dizaine de groupuscules violents comme les «Ambaland Forces». Ce sont surtout eux qui déclenchent des incendies. Ces groupuscules ne sont pas nécessairement cordonnés et tous ne collaborent pas. Dans le même temps ont lieu aussi des actions de loups solitaires.

Le Scacuf, une des quatre principales mouvances sécessionnistes, est souvent pointé du doigt. Mais il est peu probable qu'il soit l'auteur de ces violences, dans la mesure où il fait plutôt partie de la frange des non-violents.

Ce qu'on peut constater plus généralement c'est l'échec de l'élite gouvernementale anglophone, la perte de crédibilité de la société civile anglophone, ainsi que l'incapacité du principal parti de l'opposition, à dominante anglophone, à canaliser toute cette contestation.

Militaires camerounais patrouillant à Bafut (nord-ouest du Cameroun) après un incendie qui a touché une école le 15 novembre 2017. (AFP)

Comment cette nébuleuse est-elle en train de se structurer?
Le terme nébuleuse, ici, est idoine. Sur le plan institutionnel, les sécessionnistes sont plutôt bien structurés. Ils ont rédigé une constitution. Ils disposent d’une chaîne de télévision, ils ont désigné un Governing Council (gouvernement intérimaire) et un chairman (président) intérimaire. Ils se sont même dotés d’un hymne et de passeports. C'est le gouvernement intérimaire qui s'occupe des actions de plaidoyers, de la recherche de financements, de la direction stratégique du projet sécessionniste ambazonien.

Cependant, les rivalités entre les différentes franges du mouvement sont fortes. De plus, la gestion de la lutte ambazonienne par le chairman intérimaire, Sisiku Ayuk Tabe (un informaticien, NDLR) est souvent critiquée en interne et des accusations de détournement de fonds ont récemment été formulées contre certains des principaux cadres du Governing Council. Ces divergences internes se sont une fois de plus manifestées en octobre 2017 lors d'un conclave organisé au Nigeria par les franges sécessionnistes.

En dessous du gouvernement intérimaire, il y a les principales associations sécessionnistes et en dessous d'elles des individus, des médias, des réseaux, puis les relais locaux et les groupuscules violents.

Qui dirige ce ou ces groupuscules?
Il n'existe pas de commandement unifié, tout comme il n'existe pas de consensus sur la lutte armée parmi les sécessionnistes: ni sur le moment de la lancer, ni encore moins sur les tactiques à employer. Faut-il par exemple recourir aux engins explosifs ou non? Dans les régions anglophones uniquement? Francophones aussi?

Sisiku Ayuk Tabe, le président de l'Ambazonie, joue un rôle de représentation, il est aussi impliqué dans la recherche des financements et des alliés. Toutefois son autorité est faible et il ne contrôle pas les différentes associations sécessionnistes et probablement pas les groupuscules violents.

Cho Ayaba est le chef de ADF, c'est l'équivalent du chef d'état-major. Il y a récemment eu des divergences de vues entre lui et Sisiku sur les attaques de militaires. Difficile de dire si ces divergences sont réelles ou feintes, ou encore si Ayaba ne tente pas plutôt de s'attribuer la paternité d'attaques dont il ne serait pas en réalité l'instigateur.

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