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Egypte: le président al-Sissi met son pouvoir à l’abri avec des lois sur mesure
Le Parlement égyptien a adopté deux lois accordant l’impunité à des officiers supérieurs de l’armée et légalisant une surveillance accrue de l’information et la population sur les réseaux sociaux. Régulièrement accusé par les ONG internationales de graves violations des droits de l’Homme, le président égyptien met ainsi préventivement son pouvoir à l’abri de tracasseries juridiques.
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Le Parlement égyptien a approuvé le 16 juillet 2018 une loi permettant d'accorder l'immunité judiciaire à des officiers supérieurs de l'armée pour des faits ayant eu lieu entre juillet 2013 et juin 2014.
Une loi interdisant toute démarche judiciaire contre des officiers supérieurs
Ces dates correspondent à la destitution par l'armée de l'ancien président Mohamed Morsi et l’arrivée au pouvoir d’Abdel Fattah al-Sissi. Ironie du sort, ce dernier avait été nommé en août 2012 ministre de la Défense et commandant en chef de l'armée, par celui-là même qu’il avait évincé.
Le 14 août 2013, le maréchal Sissi lançait une répression sanglante contre les partisans de Mohamed Morsi, se soldant par la mort de centaines de manifestants islamistes en quelques semaines. Moins d’un an plus tard, en juin 2014, l’ex-maréchal est élu une première fois président.
Le Parlement a indiqué sur son site internet avoir «approuvé la loi relative au traitement réservé à certains commandants des forces armées». La loi interdit toute démarche judiciaire contre des officiers supérieurs sauf autorisation du Conseil supérieur des forces armées.
Elle a été approuvée par tous les députés présents, à l'exception de huit membres de l'opposition, a déclaré le député Haïtham al-Hariri, opposé à la loi. Celle-ci donne également au président le droit de rappeler d'anciens officiers supérieurs pour un service à vie au sein des forces armées, une mesure «pouvant ainsi les empêcher d'exercer un rôle politique», selon M.Hariri.
Estimant que les affaires militaires doivent être gérées par l'armée, le député Hariri estime qu'il «n'est pas logique qu'une seule personne (le président) contrôle tout».
Une loi autorisant la surveillance des comptes d'utilisateurs des réseaux sociaux
C’est pourtant dans cette même logique que le Parlement a approuvé le même jour (lundi 16 juillet) une loi relative aux médias permettant aux autorités de surveiller certains comptes d'utilisateurs de réseaux sociaux afin, selon elles, de combattre les «fausses nouvelles».
La loi a été approuvée à la majorité des deux tiers et doit être envoyée au président Abdel Fattah al-Sissi pour sa ratification.
Selon cette loi, toute personne ayant plus de 5.000 abonnés en ligne (sur un site personnel, un blog ou les réseaux sociaux) pourra être surveillée par le Conseil supérieur de régulation des médias.
Cet organisme, connu pour ses diatribes contre les médias étrangers et les programmes télévisés jugés trop connotés sexuellement, aura ainsi le droit de suspendre ou bloquer tout compte personnel «publiant des fausses nouvelles ou incitant à violer la loi, à la violence ou à la haine».
Un article prévoyant la possibilité d'emprisonner les journalistes reconnus coupables d'incitation à la violence, à la haine ou à la discrimination dans leurs écrits a été amendé. Selon le texte, «aucune pénalité ne sera imposée pour des outrages dans des publications, à l'exception»… des cas d'incitation à la violence.
Plus de trente journalistes derrière les barreaux
Le Parlement a également introduit un nouvel article stipulant que quiconque importe des émetteurs satellite sans passer par les organismes publics chargés des médias risque une peine de cinq ans de prison.
Accusé régulièrement de violations des de droits de l'Homme, le président Sissi est également bien classé dans la répression des libertés publiques, notamment d'expression. Plus de 30 journalistes sont aujourd'hui derrière les barreaux en Egypte, qui figure à la 161e place (sur 180 pays) du classement 2018 sur la liberté de la presse, selon Reporters Sans Frontières (RSF).
Ces derniers mois, les services de sécurité ont procédé à une nouvelle vague d'arrestations de dissidents, blogueurs, journalistes et internautes accusés «d'appartenir à une organisation terroriste» et/ou de «diffuser de fausses nouvelles».
Début juin, le Parlement a par ailleurs adopté une loi sur la cybercriminalité qui permet aux autorités de bloquer un site ou un compte qu'ils considèrent comme une menace à la sécurité nationale ou à l'économie du pays. Les propriétaires et les utilisateurs de ces sites peuvent être sanctionnés de peines d'emprisonnement et d'amendes.
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