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Elections locales en Côte d'Ivoire: instantané politique avant la présidentielle

Les électeurs ivoiriens ne se sont pas rendus massivement aux urnes pour les élections locales (communales et régionales), le 13 octobre 2018. Mais ils ont été très attentifs à un processus électoral qui a permis de mesurer les forces en présence avant le scrutin présidentiel de 2020.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des électeurs attendent de voter lors d'élections locales dans la commune du Plateau le 13 octobre 2018, le quartier des affaires de la capitale économique, Abidjan.  (SIA KAMBOU / AFP)

Sur les réseaux sociaux, les Ivoiriens ont beaucoup parlé et commenté les élections locales du 13 octobre 2018. La mobilisation était moins palpable dans les urnes. Aux municipales, la participation s'est élevée à 36,20% (contre 36,49% en 2013), et aux régionales 46,36% (contre 44,37% en 2013), selon le président de la Commission électorale indépendante, Youssouf Bakayoko, qui a annoncé ces chiffres définitifs à la télévision nationale RTI, trois jours après le scrutin.

«Il y a eu un fort taux d’abstention, confie à Géopolis Mireille Critié Offor, spécialiste en gestion des conflits qui a analysé le processus électoral de 2010, à l'origine d'une crise majeure en Côte d'Ivoire. Cependant, ce taux est plus révélateur du manque de confiance dans ce processus électoral que d'un désintérêt. Les Ivoiriens veulent des élections, mais il faut qu'elles soient justes et transparentes. Malheureusement, cela reste encore un défi à relever. On retient de ces élections municipales et régionales qu'il y a énormément à faire si l'on espère une élection présidentielle apaisée et rassurante en 2020.» 

De la campagne électorale au scrutin, ces élections locales ont été émaillées de violences et d'incidents à travers tout le pays – il y a eu au moins quatre morts – et ont été entachées par de nombreuses accusations de fraudes. Deux scrutins ont été ainsi invalidés. A l'instar de l'élection municipale de Port Bouët, une commune populaire d'Abidjan, qui a été annulée en raison d'incidents violents, selon un communiqué de la CEI.  

Des élections émaillées d'incidents
Plus de six millions d'Ivoiriens étaient appelés à voter à ces élections locales, dont le principal enjeu était de mesurer les forces en présence avant la présidentielle de 2020, notamment parmi les membres de l'ex-coalition au pouvoir, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). 

Principalement composé du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) et du parti du président Alassane Ouattara, le Rassemblement des républicains (RDR), le RHDP a explosé. En août 2018, le PDCI a refusé de se maintenir dans la coalition, estimant que le RDR tentait de l'absorber pour pouvoir présenter son candidat à la présidentielle. Le PDCI, qui a soutenu Alassane Ouattara en 2010 et 2015, entendait que le RDR lui rende la pareille en 2020 en soutenant son candidat. Les anciens alliés sont désormais à couteaux tirés. 

Au lendemain du scrutin, le numéro deux du PDCI, Maurice Kakou Guikahué, avait parlé de «braquage éhonté» de la nouvelle coalition au pouvoir qui a remporté le plus grand nombre de mairies. Quelques heures plus tard, l'ancien président Henri Konan Bédié, chef du PDCI, montait à son tour au créneau. «Je m'étonne de l'immixtion du chef de l'Etat (Alassane Ouattara) dans les proclamations des résultats de cette élection», a-t-il accusé le 15 octobre 2018 à l'issue du congrès extraordinaire de son parti. Le PDCI a ainsi dénoncé avec «force les violences, les tentatives d'inversion des résultats brillamment obtenus» par ses candidats.

L'officialisation de la victoire au Plateau (le quartier des affaires d'Abidjan, la capitale économique) du candidat du PDCI a fait baisser la tension, notamment dans la ville. L'annonce des résultats au Plateau a donné lieu à un imbroglio électoral alors que pour ce scrutin, les électeurs ivoiriens se sont relativement mobilisés (23%) et tenaient à sa transparence. «Au Plateau, avant les élections, les gens se disaient que le candidat RHDP (Fabrice Sawegon) allait remporter les élections haut la main, vu les moyens mis à sa disposition par l'Etat. En dépit de cela, la population s'est rendue aux urnes et a réclamé que les résultats ne soient pas tronqués», analyse Mireille Critié Offor. 

«Cette révolution, poursuit-elle, a été possible grâce à la dissidence entre le RDR et le PDCI. Ce divorce a affaibli le RDR qui est bien obligé de reconnaître la force politique de son allié d'antan. On constate que les zones où il y a eu une opposition PDCI-RHDP, la vérité des urnes a triomphé parce qu'ils s'agissait plus d'un conflit politique que d'un non-respect de la volonté des populations.»

Ces élections ont cependant mis en évidence les carences de la Commission électorale indépendante, critiquée de toutes parts et dont l'impartialité est remise en cause par l'opposition. Le président Ouattara a annoncé en août qu'elle serait réformée avant la présidentielle de 2020.
 
Le RHDP, grand vainqueur 
Pour l'heure, le RHDP peut se satisfaire du résultat de ces élections locales. Il a largement remporté les élections locales avec 60% des voix aux régionales et 46% aux municipales, selon les chiffres définitifs de la Commission électorale.

En outre, la coalition au pouvoir continuera à contrôler la capitale économique puisqu'il remporte notamment les communes de Koumassi, Treichville, ainsi que les deux grands quartiers populaires de Yopougon et Abobo. Dans cette dernière commune, comptant deux millions d'habitants, se jouait un autre affrontement très médiatique. Parachuté, le ministre de la Défense Hamed Bakayoko a remporté la mairie face à Tehfour Koné, un indépendant, soutenu par le président de l'Assemblée nationale et ancien chef de la rébellion, Guillaume Soro.

S'il n'est pas question d'être «alarmiste» pour la présidentielle de 2020, «il faut tout de même rester sur nos gardes car la forte question identitaire n'est pas du tout reglée en Côte d'Ivoire. Le candidat Fabrice Sawegnon l'a appris à ses dépens», estime Mireille Critié Offor. Durant toute la campagne, le candidat du RHDP a été attaqué sur sa nationalité ivoirienne. «Le code de nationalité de 1961 a instauré le droit de sol. Je suis né en Côte d'ivoire de mes deux parents d'origine béninoise», rappelait déjà Fabrice Sawegnon en janvier 2018, à l'annonce de sa candidature.

Les élections municipales et régionales consituent un baromètre politique avant la présidentielle de 2020. Mais la stratégie politique du Front populaire ivoirien (FPI) de l'ancien président Laurent Gbagbo, aujourd'hui divisé, reste encore difficile à décrypter. Après avoir laissé entrevoir une possible participation à ces élections locales en raison de l'amnistie et de la libération de Simone Gabgbo, l'aile dure du FPI avait appelé au boycottage du scrutin qualifié de «forfaiture». Cependant, l'autre branche du parti, dirigée par Pascal Affi N'Guessan, a pris part à ces élections après avoir boycotté celles de 2013. Elle repart avec une région et deux villes. 

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