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Migrants face au coronavirus en France : "C'est compliqué de parler de confinement national si on laisse des gens dehors"

Les migrants et autres populations à la rue dans l'Hexagone sont un public particulièrement fragile. Livrés à eux-mêmes, sans pouvoir se confiner, ils risquent eux aussi d’être victimes de la maladie et de la propager. Enquête.

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Evacuation d'un campement près de la porte d'Aubervilliers à Paris, le 28 janvier 2020 (REUTERS - GONZALO FUENTES / X02443)

Le 24 mars 2020, les pouvoirs publics ont évacué un campement à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), dont "l'hygiène et la promiscuité ( …) faisaient polémique en plein confinement dû au coronavirus", rapporte l’AFP. "Avant l'évacuation, on a assisté à des scènes surréalistes. Les gens présents étaient confinés sans point d’eau et sans sanitaire. Des brigades de policiers à cheval les empêchaient de sortir", a raconté à franceinfo Afrique Louis Barda, coordinateur général de l’ONG Médecins du Monde (MDM). "On agit pour des raisons sanitaires, ce sont des personnes qui sont en promiscuité très forte", a expliqué la préfète Anne-Claire Mialot pendant l’opération. Résultat : quelque 700 migrants, pour la plupart originaires d’Afrique subsaharienne, ont été conduits vers quatre gymnases (deux à Paris et deux en Seine-Saint-Denis) et deux hôtels en Seine-Saint-Denis.

Selon la préfète, les gymnases ont été agencés de sorte qu'il y ait "un mètre entre chaque lit", et en réduisant le nombre de personnes accueillies par site. Mais lors de l’évacuation, "les mesures de précaution étaient faibles, on n’a pas mis en place les gestes barrière", rapporte Louis Barda. A ses yeux, on a agi dans "la précipitation" en raison d’un "contexte médiatisé".

L’ONG Médecins sans Frontières (MSF) était chargée d’examiner les personnes relogées. "Nous avons fait 387 consultations et relevé 25 cas suspects (sous-entendu potentiellement atteints de coronavirus, NDLR). Nous les avons isolés autant que possible. Mais dans un gymnase, ce n’est pas très évident. Ce ne peut donc être qu’une solution provisoire. Par la suite, cinq cas se sont révélés positifs", raconte Corinne Torre, cheffe de mission France à MSF. Toutes les personnes évacuées n’ont pas pu être dépistées en raison du manque de tests. Autre difficulté : certains de ceux qui vivaient dans le campement, estimés à une centaine, n’ont pas bénéficié de mises à l’abri.

D’une manière générale, aux dires des représentants associatifs, les solutions d’hébergement retenues ne sont pas forcément adaptées. "L’idéal aurait été de choisir de plus petits lieux d’accueil. Là, on a créé des regroupements où la probabilité de circulation du virus est très forte", précise Louis Barda. Dans le même temps, il est difficile de faire adopter les gestes barrières aux personnes relogées. "Ce serait possible si nous dispositions de davantage de personnels et de moyens dans ces lieux d’accueil", explique Corinne Torre.

Le problème général de l'accueil des sans-abri

Au-delà, la question de l’attitude à adopter face aux migrants dans le contexte du coronavirus se situe dans un problème plus général : celui de l’accueil de tous les sans-abri. La crise actuelle "ne fait qu’aggraver la situation sociale et sanitaire de ces publics fragiles dont font partie les migrants et les réfugiés", souligne un militant associatif dans le Val-de-Marne.

Des migrants attendent pour monter dans un bus qui doit les conduire dans un lieu de relogement après l'évacuation de leur campement à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) le 24 mars 2020. (JOEL SAGET / AFP)
"Nous avons affaire là à des personnes qui sont dans la rue depuis des mois, voire des années, et vivent dans des conditions sanitaires et d’hygiène exécrables, sans eau, sans possibilité de se laver, sans accès aux soins. Certaines ont dû arrêter leur traitement médical, peuvent être atteintes de maladies comme la tuberculose. Ceux qui sont atteints du virus peuvent ainsi souffrir d’autres pathologies", précise la représentante de MSF. "C’est un public abandonné qui n’est pas pris en charge. Les personnes ont entendu parler de la pandémie. Cela les inquiète. Mais elles ne connaissent pas forcément les gestes barrière", explique de son côté Louis Barda.

Vous avez dit confinement ?

Dans la période actuelle, avec une société qui tourne au ralenti, mais un système sanitaire et social en surchauffe, la situation de ces populations est particulièrement difficile. "Tout le dispositif est en stand-by", constate Louis Barda. "Tout le monde est dans l’embarras", ajoute Corinne Torre.

Du côté des associations, les bénévoles sont moins nombreux pour l’accueil ou les maraudes. MSF tente de parer au plus pressé et a monté quatre équipes mobiles dans Paris et en Seine-Saint-Denis. MDM a notamment mis en place "des activités de veille sanitaire" auprès des migrants. Pour ces derniers vient se greffer un problème administratif : "Les préfectures sont fermées, ce qui bloque l’avancée de leur dossier", observe le militant associatif du Val-de-Marne. 

Par ailleurs, si la situation est aiguë en région parisienne, "elle n’est pas exceptionnelle. Il faut aussi parler de ce qui se passe à Calais, Grande Synthe, Bordeaux...", rappelle Louis Barda. A Calais, les migrants sont "abandonnés" face à la maladie, explique le site reporterre.net, dont la journaliste s’est rendue sur place le 23 mars.

"Une semaine après l’entrée en vigueur des mesures de confinement, aucune mise à l’abri (n’avait) été décidée pour protéger les deux mille réfugiés qui vivent dans les campements du littoral Nord de la France. Sur le terrain, les associations (étaient) très inquiètes du fait des conditions sanitaires désastreuses." "Les gens sont maintenus dans une grande précarité. Ils sont épuisés, stressés, fatigués", constatait alors un responsable de l’association Utopia 56, cité par Reporterre.

Dans ce contexte difficile, "c’est compliqué de parler de confinement national, si on laisse des gens dehors", conclut Corinne Torre. Pour Louis Barda, "on voit aujourd’hui comme on paye des années d’inaction, d’absence de prise en charge d’un public vulnérable et stigmatisé".

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