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Nigeria : il y a 50 ans, s'achevait la guerre du Biafra, conflit "oublié" des livres d’histoire

Le 15 janvier 1970, cette région du sud-est du Nigeria signe sa reddition, mettant fin à une guerre civile commencée au printemps 1968 et qui a fait des millions de morts et de déplacés. Aujourd’hui encore, cette histoire constitue un véritable "trou noir" dans la mémoire collective du pays.

Article rédigé par franceinfo Afrique
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Des soldats de l'armée biafraise se préparent à résister à une offensive de l'armée fédérale nigériane en août 1967. (- / AFP)

"Fine moustache et grand sourire, le général Gowon (président du Nigeria, NDLR) serre chaleureusement la main du représentant officiel des sécessionnistes biafrais, Philip Effiong, et lui adresse un sonore 'Welcome back, Philip'", raconte Jeune Afrique. La scène se passe le 15 janvier 1970 au quartier général de Dodar, près de Lagos, alors capitale du Nigeria. Elle met fin à la guerre du Biafra (sud-est), l’un des conflits les plus meurtriers du XXe siècle, qui a fait plus d’un million de morts, voire deux, et des millions de déplacés.  

Conflit d’une rare atrocité

La guerre avait commencé 28 mois plus tôt, le 30 mai 1967 : des généraux de l’ethnie igbo, troisième communauté du Nigeria avec les Yorubas et les Haoussas, avaient alors proclamé l’indépendance de leur province qui regroupait environ 10% des habitants du pays, en majorité chrétiens. Ceux-ci "se sentaient exclus de la vie socio-politique", rapporte Le Point, notamment après l’assassinat en 1966 du général Thomas Aguiyi-Ironsi, le seul président d’origine igbo. Dans le même temps, la partie orientale du Nigeria "est la région la plus riche en ressources agricoles, minières et avant tout pétrolières". Elle est donc forcément vitale pour le pouvoir de Lagos, dominé par les musulmans du Nord.

Les richesses du sous-sol, "manne et malédiction" du Nigeria, attisent alors déjà les convoitises étrangères : Londres, Washington, Moscou, l’Organisation de l’unité africaine (future Union africaine) soutiennent Lagos, tandis que la France apporte son aide au Biafra, notamment en livrant des armes. Le général de Gaulle y voyait l’occasion "d’affaiblir un pays anglophone dont tous les pays voisins sont francophones et, par ricochet, de nuire au Royaume-Uni et aux Etats-Unis", observe RFI.

Il n’y a jamais eu de bilan définitif pour dénombrer les victimes (plus d’un million ?) d’un conflit d’une rare atrocité, à l’origine d’une famine à grande échelle (en août 1968, il y aurait eu 6 000 morts par jour, selon Le Figaro !). Cette famine est provoquée par le blocus total de la région sécessionniste imposé par le pouvoir nigérian depuis le début de la guerre.

Enfants venus du Biafra, dénutris, nourris par un assistant médical, dans un hôpital militaire français à Libreville (Gabon), le 15 mars 1969 (- / AFP)
"Les images diffusées par les médias d'enfants malnutris au ventre gonflé bouleversent l'opinion internationale. Les organisations humanitaires tentent de contourner les réticences de Lagos qui soupçonne – à juste titre – les convois humanitaires de transporter armes et mercenaires. Des 'vols-pirates' sont organisés pour apporter des vivres aux populations à l'agonie", raconte Le Figaro. Des médecins, notamment français, viennent soigner les victimes. Le mouvement Médecins sans Frontières (MSF) est d’ailleurs fondé après cette guerre.

Les traumatismes de la guerre passés sous silence

En 2020, le Nigeria, pays de près de 200 millions d'habitants, célèbre les 50 ans de la fin de la guerre sans une seule commémoration officielle. "L'histoire de notre pays a été très brutale, l'ancienne génération a vécu des traumatismes importants", confie à l’AFP l’écrivain nigérian Diekoye Oyeyinka. "On les a juste balayés sous les tapis, comme si cela n'avait jamais existé. Mais sans connaître le passé, nous allons réitérer les mêmes erreurs."

Au Nigeria, personne ne se souvient de ces événements. Sauf à Enugu, ancienne capitale de la république biafraise. Là, les habitants n'ont pas oublié les 13, 14 et 15 janvier 1970, les jours de reddition, de capitulation. Ni le fameux discours du général Gowon, appelant à la réconciliation nationale et assurant qu'il n'y avait "ni vainqueur, ni vaincu". Ils n'ont pas oublié non plus l'exil forcé en Côte-d’Ivoire de leur leader, le colonel Odumegwu Emeka Ojukwu, décédé en 2011. Ni son retour triomphal en 1982, après avoir été gracié et avant d’être emprisonné pendant 10 mois.

Nouveaux mouvements séparatistes

Aujourd'hui, les Igbos continuent à se sentir marginalisés, "sous occupation". Ils se plaignent d'être injustement traités par le gouvernement de Muhammadu Buhari, ancien général originaire du nord du pays. Et des drapeaux biafrais sont toujours brandis ici et là sur les devantures des immeubles ou le long des routes, avant d'être détruits par les forces de sécurité, toujours massivement déployées.

Des drapeaux biafrais sont brandis, le 29 février 2012 à Nwewi (sud-est du Nigeria), lors d'une marche en l'honneur du leader biafrais Odumegwu Emeka Ojukwu, décédé en novembre 2011.


 (SUNDAY ALAMBA/AP/SIPA / AP)
La récente fermeture de l'aéroport d'Enugu et le saccage par les douanes de boutiques appartenant à des Igbos, début décembre 2019 à Lagos, attisent ce sentiment d'exclusion et les velléités indépendantistes, portées par une nouvelle génération. Les mouvements séparatistes igbos émergent à nouveau depuis quelques années. Le plus important d'entre eux étant le Mouvement indépendantiste pour les peuples autochtones du Biafra (Ipob), qui mène d’intenses campagnes de propagande sur les réseaux sociaux. Ce mouvement a été classé "organisation terroriste" par les autorités.

"Ne pas parler (de la guerre, NDLR), ne pas l'écrire, c'est laisser de la place à une histoire inventée et à la désinformation", a expliqué à l’AFP l’universitaire Patrick Utomi, ancien conseiller d’Alex Ekwueme, premier vice-président igbo (1979-1983) du pays. "Le Nigeria est aujourd'hui plus divisé qu'il ne l'a jamais été avant la guerre civile. Nous n'avons rien appris", estime-t-il.

Une histoire tronquée

Après des années d'oubli, le gouvernement actuel n’a réintroduit qu’à la dernière rentrée l'histoire comme matière obligatoire dans les programmes scolaires. Et encore seulement pour les 10 à 13 ans. "C'est essentiel pour nous construire notre identité et des valeurs patriotiques", reconnaît Sonny Echono, secrétaire général du ministère de l'Education, interrogé par l'AFP.

Problème : les écoles manquent cruellement de professeurs qualifiés. Et surtout la guerre civile, qui n'a jamais eu de version officielle approuvée, n'est toujours pas au programme. "Nous devons l'enseigner à nos enfants", martèle Egodi Uchendu, professeur d'histoire à l'université de Nsukka, ville où ont commencé les combats en 1967. "Les Nigérians du Sud-Est n'ont pas vécu la guerre de la même manière que dans les autres régions du pays. Il faut écouter toutes ces versions", ajoute-t-il.

"Il faut en parler. Sinon on ne guérira jamais"

La journaliste américano-nigériane Chika Oduah a parcouru le pays pour collecter plusieurs centaines de témoignages bruts de victimes, témoins ou soldats, qu'elle publie ensuite sur un site d'archives, Biafran War Memories. Nombre de personnes qu'elle a rencontrées racontaient pour la première fois comment leurs proches sont morts. Comment ils ont dû boire leur propre urine ou vivre cachés pendant des années dans la forêt. "Un vieux soldat du Nord a fondu en larmes en évoquant la mort de son frère", a raconté la jeune femme à l'AFP.

Des soldats de l'armée fédérale nigériane patrouillent le 13 novembre 1967 près de Calabar (sud-est), plus ancien port de la côte ouest-africaine repris aux forces sécessionnistes biafraises. (COLIN HAYNES / AFP)
Elle-même a appris à l'âge de 17 ans, quand elle vivait aux Etats-Unis, que sa mère, alors enfant, avait passé deux ans dans un camp de réfugiés. Elle ne le lui avait jamais dit auparavant. "Tout le monde voulait aller de l'avant, penser à l'avenir, pas au passé", analyse la journaliste. Et de poursuivre : "Mais il faut en parler. Sinon on ne guérira jamais."

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