Pourquoi la présidentielle américaine ne laisse pas les Africains tout à fait indifférents
La politique des Etats-Unis à l'égard du continent africain ne devrait pourtant pas être bouleversée par la présidentielle 2020.
Pour de nombreux jeunes Africains, il ne fait aucun doute que les Etats-Unis pèsent sur l'avenir du continent. Selon les résultats d'une enquête publiée fin octobre 2020 par la Ichikowitz Family Foundation, basée en Afrique du Sud, "74 % des 4 200 personnes (âgées de 18 à 24 ans) interrogées dans 14 pays d'Afrique subsaharienne" estiment que les Etats-Unis ont "régulièrement un impact" sur ce qu'il se passe sur le continent.
Par ailleurs, quand on demande à ces jeunes de désigner la personnalité ayant eu le plus d'influence sur l'Afrique ces cinq dernières années, c'est l'ancien président américain Barack Obama qui arrive en tête (12%), derrière Bill Gates et Donald Trump (6%) ou encore le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, et le président chinois Xi Jinping. L’empreinte de Barack Obama dans l’imaginaire africain semble toujours aussi forte, plus d’une décennie après son élection qui avait soulevé tant d’enthousiasme sur le continent. Depuis, les Africains semblent moins captivés par une présidentielle américaine.
Désintérêt justifié
"Je peux comprendre que les Africains ne s'y intéressent pas", confie à franceinfo Afrique le sociologue sénégalais Mahamadou Lamine Sagna, auteur de Violences, racisme et religions en Amérique – Cornel West, une pensée rebelle (Editions Karan). "D'abord, poursuit l’universitaire, parce que c'est une population essentiellement analphabète, qui opère majoritairement dans l’informel et qui a peu de notions en matière de géopolitique. Ensuite, il y a très peu d'Africains lettrés qui s'intéressent à la géostratégie mondiale. Parmi ces derniers, beaucoup ne s'intéressent pas aux Etats-Unis. L'histoire coloniale est à prendre en compte. Quand il y a des liens entre le franc CFA et la Banque de France, c'est normal qu'il y ait de l'intérêt dans les pays francophones pour la France. Pour le Nigeria et le Ghana, qui ont par ailleurs une monnaie souveraine, ce qu'il se passe en Grande-Bretagne les interpelle davantage avec le Commonwealth (organisation qui réunit l'Angleterre et ses anciennes colonies, NDLR). Toutefois, les Etats anglophones sont plus indépendants, moins attirés par définition par ce qu'il se passe en dehors de chez eux car leur souveraineté est plus prononcée".
A la décharge des Africains, Donald Trump s'est globalement peu préoccupé de leur continent. Il a mis du temps pour choisir le secrétaire d'Etat adjoint aux Affaires africaines : Tibor Nagy a été nommé de longs mois après le début de son mandat. Entre temps, il a traité les Etats africains, pays d'origine de certains migrants aux Etats-Unis, de "pays de merde ('shitholes countries')". Cependant, note Mahamadou Lamine Sagna qui vient de rejoindre le Worcester Polytechnic Institute dans le Massachusetts, aux Etats-Unis, "il y a le discours politicien et la réalité, celle de beaucoup d'entreprises américaines qui investissent en Afrique, notamment dans le secteur pétrolier que soutient l'administration Trump". "Dans le fond, indique le chercheur, l'Amérique s'intéresse beaucoup à l'Afrique sur le plan militaire, économique et politique. Quand Trump veut lutter contre la Chine, il ne peut pas ignorer l'Afrique parce que, précisément, c'est là que la Chine investit le plus. D'une façon ou d'une autre, le continent africain est le lieu d'enjeux stratégiques pour la Chine et tous les pays développés. Chacun veut contenir l'autre à partir du terrain africain."
Sous Trump, "la classe politique américaine ne s'est pas plus désintéressée de l'Afrique qu'elle ne le faisait avant. Il y a moins d'affect que sous Barack Obama qui, finalement, a beaucoup moins fait pour l'Afrique, comparé à George W. Bush ou à Bill Clinton (qui a signé l'AGOA, la loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique). Dans tous les cas, qu'il y ait la droite ou la gauche américaine au pouvoir, l'Afrique représente toujours la périphérie pour eux", souligne Mahamadou Lamine Sagna.
Pour preuve, constate le politologue Nicolas van de Walle qui enseigne à l'université américaine de Cornell, "je n’ai pas entendu un seul discours, ni du candidat démocrate, ni de son adversaire républicain, où l’Afrique est mentionnée. D’ailleurs, dans les débats présidentiels, la politique étrangère n’a quasiment pas été évoquée".
Washington, un allié indispensable sur la scène internationale
Pour Mahamadou Lamine Sagna, "il y a deux dimensions à l'intérêt : l'une est affective, l'autre est utilitariste (...) Nous étions dans la dimension affective avec Barack Obama parce qu'il a des origines africaines. Et d’ajouter : "Je ne sais pas si les élections américaines intéressent les Africains, mais ça devrait les intéresser. D’une part, parce c'est l'ère de la modialisation et, d'autre part, parce qu'il y a un pan entier de la diaspora africaine historique, les Noirs américains, qui vit en Amérique. Sans compter la diaspora actuelle constituée par les nombreux Africains qui résident aujourd'hui aux Etats-Unis".
Contrairement à l'opinion publique, l'intérêt "utilitariste" est celui qui guide les Etats africains quand il s'agit de Washington. "Par ricochet, précise Mahamadou Lamine Sagna, la vie politique américaine intéresse et doit intéresser les chefs d'Etats africains. Ce qu'il se passe aux Etats-Unis a des effets directs ou indirects sur l'Afrique parce que la situation aux Etats-Unis influe sur l'Europe, or le Vieux Continent entretient d'étroites relations avec l'Afrique. La logique est très simple".
Le rôle prépondérant des Etats-Unis dans les institutions internationales entre également en ligne de compte. "L'administration américaine actuelle a mis son veto à l'élection de la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala à la tête de l'Organisation mondiale du commerce (OMC)", rappelle Mahamadou Lamine Sagna. Autre institution où les Américains peuvent faire la pluie et le beau temps : le Fonds Monétaire International (FMI). Or, "avec le retour des problèmes de dettes en Afrique, de nombreux Etats se tournent de nouveau vers le FMI pour avoir un rééchelonnement de leurs dettes", renchérit Nicolas van de Walle, co-auteur de l'ouvrage Electoral Politics in Africa since 1990 (Les politiques électorales en Afrique depuis 1990, Cambridge University Press).
Les deux universitaires ne s'aventurent pas sur le terrain glissant des pronostics quant à une victoire des démocrates ou des républicains d'autant que "cela ne change pas grand-chose" pour l’Afrique, affirme Mahamadou Lamine Sagna. "Cornel West (célèbre intellectuel afro-américain) le dit très bien. Pour lui, Trump est la représentation de la catastrophe néo-fasciste et Barack Obama et les autres sont la représentation du désastre néolibéral". Nicolas van de Walle n’utilise pas les mêmes mots mais n’en pense pas moins. "Je serais très surpris si la prochaine administration (en cas de victoire des démocrates, NDLR) était plus avenante vis-à-vis de l'Afrique, car une vague de sentiment isolationniste déferle sur les Etats-Unis, frappant à la fois la droite et la gauche pour des raisons très différentes d'ailleurs, confie-t-il à franceinfo Afrique. Je ne pense pas que l'administration Biden aura un programme international très ambitieux."
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