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Quand les Massaï utilisaient des perles venues d'Europe

Vanessa Wijngaarden, de l'Université de Johannesburg, a étudié les ornements des Masaï, notamment l'origine des perles qui les composent. «Parés de rouge, ployant presque sous leurs bijoux en perles colorées, les guerriers et les femmes Masaï sont devenus, au fil des ans, l’archétype de l’Afrique "authentique"», dit-elle.
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Des Masaï avec accessoires «typiques». (Vanessa Wijngaarden, University of Johannesburg/The Conversation )


Ces accessoires sont en effet devenus indissociables des Masaï, immortalisés par le romancier français Joseph Kessel dans Le Lion en 1958. Pour les milliers de touristes européens se rendant chaque année en Afrique de l’est, une visite des terres masaï, en Tanzanie ou au Kenya, demeurerait incomplète sans l’achat de ces perles et de ces couvertures écarlates.

Or, peu savent que ces effets sont en réalité le résultat d’une rencontre culturelle de longue date entre l’Afrique et l’Europe.

Les perles de verre colorées des Masaï viennent en effet tout droit… de République tchèque. Le port des couvertures rouges, si «propres aux Masaï» est, lui, originaire d'Écosse.

Echanges culturels millénaires
Les perles de verre sont tout d’abord arrivées en Afrique au premier millénaire av. J-C par les routes transsahariennes et maritimes. Produites en Inde, ces perles étaient extrêmement coûteuses et n’étaient utilisées que par les familles royales non masaï.

« Glashüte » verrerie où les tiges de verre sont ensuite transformées, archives, Warmensteinach, Allemagne. (Vanessa Wijngaarden, Author provided)


À partir de 1480, l’exportation massive de perles d’Europe vers l’Afrique de l’Est se fit depuis Venise et Murano, en Italie, ainsi que depuis la région de Bohème, dans les Pays-Bas. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, ces perles fut considérées comme monnaies d’échange.

Glasstangenherstellung/production de tiges de verre,Warmensteinach, Allemagne, archives. Vanessa Wijngaarden, Author provided


Bien qu’elles soient disponibles assez facilement, les Masaï n’ont pas développé un goût particulier pour ces perles, du moins pas avant la fin du XIXe, entre 1881 et jusqu’en 1905, sous l’ère de la génération des guerriers Iltalala.

Les Masaï découpent ainsi histoire par générations de guerriers. Environ tous les sept ans, un groupe de jeunes guerriers est circoncis afin de passer au stade d’homme adulte, tandis que les adultes se retirent pour leur faire place et prennent le statut d’anciens. La génération Iltalala est ainsi la première à utiliser de nombreuses perles comme accessoire.

Les générations précédentes se peignaient le corps et les boucliers afin de se différencier les unes des autres et affirmer chacune leur « style ». Mais, en raison d’une politique coloniale dite de pacification, il fut interdit aux guerriers de porter des armes en public. En quelques 20 années, les guerriers ont ainsi développé tout un répertoire visuel autour des perles, chaque style définissant ainsi une identité propre à celui qui le portait, une habitude restée en usage encore aujourd’hui.

Une mode dynamique
Le choix des couleurs et des ornements indique plusieurs caractéristiques sociales. Tout d’abord, il précise si la personne était Masaï ou si elle appartenait à un autre groupe ethnique, car les perles Masaï doivent répondent à certains critères esthétiques.

Les femmes masaï sont généralement les créatrices des bijoux et parures perlées, 2016. Vanessa Wijngaarden

Par ailleurs, les différents clans Masaï utilisent des codes très précis de combinaisons de couleurs afin d’indiquer leurs liens de parenté. Enfin, l’arrangement et le port des perles reflètent aussi une position sociale au sein du groupe. Par exemple, la ceinture d’une jeune femme sera différente de celle d’un homme ou encore d’une femme déjà mariée, de même pour ses boucles d’oreilles, etc.

En dépit de ces règles culturelles assez strictes, la mode, impulsée par les femmes, est plutôt dynamique. Chaque nouvelle génération développe un style particulier, utilisant un certain type de matériau ou de couleurs et symboles qui les unit et les identifie.

Dans un esprit compétitif, les compagnes des « nouveaux » guerriers font leur possible afin de rivaliser et de surpasser la génération précédente.

Parfois certains changements dans la mode ont été la conséquence d’un manque de certains types de perles, notamment dû à une modification des routes commerciales internationales. Un bon exemple a été la fermeture du canal de Suez en 1967.

Des changement dans les styles sont aussi survenus sous l’influence de l’Europe.

Sous la génération Iseuri, dans les années 1950s, les guerriers ont choisi d’incorporer le symbole d’un pilier du télégraphe en référence à la rapidité de la communication. Gyrophares, pâles d’hélicoptères, ont aussi été adoptés avec enthousiasme par les générations successives.

Influences extérieures «polluantes»
Les touristes sont très souvent surpris et même un peu déçus lorsqu’ils découvrent, au détour d’une conversation, que les perles Masaï ornant bijoux, vêtements et ceintures viennent d’Europe, ou parfois de Chine (moins onéreuses).

Les boucles d'oreilles destinées à la vente aux non-Masaï comportent des attaches plus petites car les Masaï ont des piercings de diamètre généralement beaucoup plus larges. Vanessa Wijngaarden


Ils apprécient « l’authenticité » de ces perles africaines mais il semble difficile de savoir ce que le terme recouvre ici. Ainsi, beaucoup de femmes Masaï reproduisent des motifs perlés avec des couleurs qu’elles n’utiliseraient jamais pour elles-mêmes, mais simplement parce qu’elles pensent que ces thèmes plairont aux touristes.

Certains craignent ainsi que ces influences externes viennent perturber et « polluer » la tradition, voire faire oublier aux Masaï leur culture.

Bien au contraire, les femmes continuent de créer leurs propres motifs et accessoires mais dans un espace préservé auquel les touristes n’ont pas accès. Ainsi beaucoup de créations sont adaptées afin que les touristes puissent les porter.

D’autres accessoires traditionnels dont la valeur symbolique est particulièrement important, telle la ceinture « Elekitatiet », faite par une femme pour sa belle-fille après un premier accouchement, ne se vendent pas.

‘Montres’ en perles, 2016. Vanessa Wijngaarden


Et les créateurs Masaï ne cessent d’innover. Certains réintègrent ainsi des pièces originellement destinées aux touristes et les réinterprètent pour leur usage personnel. C’est le cas des fameuses pâles d’hélicoptères perlées, retravaillées plus tard sous la forme d’un nœud papillon, d’abord pour les touristes, puis portés par les Masaï.

Aujourd’hui, même les jeunes non circoncis, et qui n’ont ainsi pas intégré rituellement la communauté des adultes, portent des perles. Certains portent des colliers aux couleurs Rastafarai, d’autres des bracelets perlés avec scratch pour leurs montres.

Les perles Masaï continuent ainsi à être au croisement des cultures européennes et africaines. Ni exotique, ni intemporelle, encore moins isolée, la mode Masaï est en perpétuel changement, représentative de la multiplicité des rencontres d’idées et des hommes.


The ConversationVanessa Wijngaarden est l’auteur de « Maasai Jewelry : European Beads with African Stories », University of Bayreuth, Germany, 2016.

Vanessa Wijngaarden, Doctor in social anthropology, University of Johannesburg

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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