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Sénégal: l'artémisia naturelle peut-elle guérir le paludisme?

L'artemisia, sous sa forme naturelle, refait parler d'elle. Mais pas toujours en bien. La communauté scientifique doute de sa capacité à lutter efficacement contre l'un des grands fléaux de notre temps: le paludisme. D'autres affirment pourtant qu'elle agit préventivement et l'envisagent comme une alternative naturelle et bon marché aux traitements classiques.
Article rédigé par Dominique Cettour-Rose
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
A Diamniadio, ces Sénégalaises tamisent la poudre d'artemisia, une plante qui pourrait offrir une alternative naturelle et bon marché contre le paludisme. (SEYLLOU / AFP)

Annua et afra sont deux variétés de l'artemisia. Elles sont cultivées depuis 2017 entre Dakar et Saint-Louis, à quelques kilomètres de la fabrique de Sébikotane. C'est là que des femmes s'emploient à broyer les feuilles et les tiges afin d'obtenir une poudre vert sombre, qu'elles conditionnent en petits sachets, pour des infusions, ou en gélules. Tout cela, sous l'œil avisé d'un jeune ingénieur agronome belge, Pierre Van Damme, responsable de la Maison de l'artemisia au Sénégal. Son rôle: promouvoir la culture et les bienfaits de l’artemisia partout en Afrique où il existe déjà 18 de ces structures.

L'industrie pharmaceutique n'a, selon lui, «aucun intérêt» à voir se généraliser ce remède permettant pourtant «d'éradiquer toute trace du parasite» pour un coût «cinq à six fois inférieur» aux médicaments classiques et sans entraîner d'effets secondaires, tels que des troubles neurologiques ou digestifs.

Un argument économique qui ne tient pas, selon le Dr. Aissatou Touré, directrice de l'unité d'immunologie de l'Institut Pasteur. Cette spécialiste met en garde contre l'utilisation inconsidérée de l'artemisia car, dit-elle, en «prendre régulièrement en infusion, est une chose. Mais l'utiliser pour traiter un enfant en train de faire un accès de paludisme, ce n'est pas la même problématique», en tout cas au Sénégal, où le traitement contre le paludisme est «gratuit et accessible».

Redécouverte pendant le guerre du Vietnam
L'artesimia, utilisée en médecine chinoise depuis au moins deux millénaires, fut redécouverte pendant la guerre du Vietnam, comme remède contre les douleurs et la fièvre. Plus récemment la communauté internationale scientifique l'a adoubée. En 2015, Tu Youyou est devenue le premier prix Nobel de médecine chinois pour avoir démontré l'efficacité d'une substance extraite de la plante, l'artémisinine, dans les traitements antipaludéens.
 
Depuis que les parasites à l'origine du paludisme (plasmodium) ont développé des résistances aux médicaments classiques comme la quinine, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande l'utilisation des CTA, qui associent l'artémisinine (aujourd'hui de synthèse) à une autre molécule, de type amodiaquine ou méfloquin. Mais l'OMS s'oppose à l'utilisation de l'artemisia sous sa forme naturelle.

Une plantation d'artémisia à Tivaouane, près de Thiès, à l'ouest du Sénégal. (SEYLLOU / AFP )

Ce que regrette M.Van Damme, installé à Tivaouane au Sénégal où il gère une plantation d'artemisia. Depuis les années 2000, des tests sur des centaines d'individus vivant dans des zones infectées, notamment en RDC et au Cameroun, ont démontré une efficacité préventive et thérapeutique allant jusqu'à 100% après sept jours de prise sous forme de tisane, fait remarquer ce jeune Belge.

Une cure revient à 3,75 euros
«Une fois que la personne a le paludisme, la posologie est stricte. Il lui faut 5 grammes par jour dans un litre d'eau» pendant sept jours, explique-t-il, citant une demi-douzaine d'études. Sous la forme de gélules, «c'est trois le matin, trois le midi et trois le soir». Coût d'un traitement d'une semaine ou une cure préventive: 2.500 francs CFA, soit 3,75 euros.

Interrogé sur cette plante miracle par le site au-senegal.com, il répondait en octobre 2017: «L’Artemisia n’est vraiment pas une bonne découverte pour nos amis de l’industrie pharmaceutique. Recommandée en 2001 par l’OMS, retirée en 2004… Si nous avions le soutien de l’OMS, cette plante serait déjà dans toutes les pharmacies !», regrettant que «ces lobbys dirigent le monde et la politique!»

Vingt ans après la première conférence du MIM au Sénégal, l'artemisia est la grande absente de la 7e édition de la conférence internationale panafricaine sur le paludisme qui réunit, près de Dakar, quelque 3.000 spécialistes. Sentant peut-être un regain d'intérêt pour cette plante médicinale, le Dr.Aissatou Touré martèle qu'en cas de maladie déclarée, «il serait sage d'utiliser des traitements reconnus comme efficaces. Maintenant, si vous voulez, en plus, ajouter autre chose, libre à vous.»

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