Zimbabwe : l'agonie des hôpitaux après l'ère Mugabe
Pas un hôpital zimbabwéen n'échappe à la pénurie de matériel, aux coupures d'électricité, au manque d'eau courante, à la saleté. Pas un dignitaire local n'ose s'y aventurer.
Naguère loué pour son efficacité, le système de santé du Zimbabwe agonise, tout comme ses usagers, tandis que l'ancien maître absolu du pays pendant 37 ans, son ex-président Robert Mugabe a préféré se faire soigner pendant des années dans un hôpital de luxe à Singapour jusqu'à sa mort, le 6 septembre 2019, à l'âge de 95 ans.
L'ironie de la situation n'échappe à personne, encore moins aux médecins. "C'est très symbolique", lâche ainsi le Dr Edgar Munatsi, urgentiste à l'hôpital Chitungwiza, à une trentaine de kilomètres de la capitale Harare. "Il (Mugabe) ne pouvait pas faire confiance à notre système de santé, ce qui dit tout de son état de délabrement", explique-t-il à l'AFP. Comme l'ancien président, d'autres dignitaires ont fait le choix de l'exil médical. Comme l'actuel vice-président Constantino Chiwenga, par exemple, hospitalisé depuis plusieurs semaines en Chine après avoir subi une délicate intervention à l'oesophage (lien en anglais).
Et pour cause. Des gants de latex en guise de sonde urinaire, des salles d'opération à l'arrêt faute d'éclairage, des patients contraints de payer le plein de carburant de leur ambulance ou d'apporter eux-mêmes leurs médicaments : voilà à quoi sont confrontés les malades zimbabwéens. Le palmarès établi par l'OMS place le dispositif de santé du Zimbabwe à la 155e place mondiale sur 190.
"Des draps pleins de sang et de matières fécales"
A l'hôpital central d'Harare, l'un des principaux établissements du pays, la situation est particulièrement inquiétante dans le service de pédiatrie.
Le ménage est fait seulement deux fois par semaine, faute de personnel et de détergents, confient des médecins. Les interventions chirurgicales y sont là aussi souvent reportées par manque d'eau courante et d'infirmières. "En salle d'opération, on a des draps pleins de sang et de matières fécales et on ne peut pas les laver", s'indigne un chirurgien qui a requis l'anonymat. Comme nombre de ses collègues, il redoute les représailles du régime du président Emmerson Mnangagwa qui a succédé à Robert Mugabe après le coup d'Etat de novembre 2017 et qui a ensuite été élu en juillet 2018.
Une seule des trois salles d'opération du service de pédiatrie est opérationnelle. "On a une liste d'attente de quatre ans pour les hernies inguinales, la pathologie la plus fréquente chez les enfants", explique l'un des spécialistes à l'AFP. Manque de médicaments, équipement obsolète et manque de personnel : le cocktail s'avère parfois mortel. "Ça me fend le cœur quand on perd des patients qui ne seraient pas morts dans des circonstances normales", confie encore le Dr Munatsi.
"Des clopinettes"
Depuis le début des années 1990, le système de santé publique n'a cessé de se dégrader, alors qu'avant, on venait se faire soigner au Zimbabwe, se souvient un médecin senior. Héritage des années Mugabe, l'interminable crise économique dans laquelle le pays se débat depuis vingt ans avec son record d'inflation à trois chiffres (175% en juin), de dévaluations et de pénuries de produits de base, a précipité la dégringolade.
Résultat : avec des salaires en baisse, les médecins eux-mêmes sont contraints de trouver de petits boulots pour s'en sortir. "Nous sommes très conscients" des problèmes, reconnaît Prosper Chonzi, le directeur des services de santé de Harare. "Le système de santé reflète l'économie du pays", constate-t-il, fataliste. Le président Mnangagwa vient d'annoncer le déblocage d'une rallonge budgétaire exceptionnelle de 600 000 dollars pour cinq hôpitaux. "Des clopinettes", réagissent en chœur deux médecins rencontrés par l'AFP.
Dans ces conditions, il faut craindre la poursuite de l'hémorragie des cerveaux. Sur 55 camarades de promotion, décompte l'un d'eux, "on n'est plus que six à encore exercer dans le pays".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.