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Somalie : pour Amnesty, les frappes américaines constituent "de possibles crimes de guerre" contre les civils

Les raids américains, effectués par des drones et des bombardiers contre les islamistes shebabs, ont aussi tué des civils, selon l'ONG. Dans le même temps, certains officiers occidentaux doutent de la stratégie de leurs armées contre les djihadistes.

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Un drone de l'US Air Force sur la base de Creech dans le désert du Nevada le 19 mai 2016. (JOSH SMITH / X06129)

Les islamistes shebabs, affiliés à Al-Qaïda, contrôlent de vastes zones rurales d'où ils mènent des opérations de guérilla et des attentats-suicides contre des objectifs gouvernementaux, sécuritaires ou civils.

Amnesty International (AI) a publié le 20 mars 2019, un document (en anglais) intitulé La guerre cachée des Etats-Unis en Somalie. Ses experts se sont rendus dans le pays, où ils "ont conduit plus de 150 entretiens avec des témoins, des proches de victimes, des personnes déplacées par les combats et des experts, y compris au sein de l’armée américaine", précise l’organisation internationale des droits de l’Homme dans un communiqué de presse. Les informations recueillies ont été corroborées avec des images satellites, des photos des cratères laissés par les explosions, ainsi que des fragments de munition collectés sur les sites.

Depuis avril 2017, l'organisation a comptabilisé "plus de 100" raids. L’ONG s’est intéressée spécifiquement à cinq frappes aériennes en deux ans, au cours desquelles "14 civils ont été tués et huit blessés".

Elle fait état, pour ces raids, de "preuves accablantes""Le nombre de civils tués que nous avons découvert pour cette poignée de frappes suggère que la nébulosité qui entoure le rôle des Etats-Unis dans la guerre en Somalie est là pour dissimuler une impunité", estime Brian Castner, expert des questions militaires à Amnesty International.

La Somalie, "zone d’hostilités actives"

Les raids américains sur la Somalie étaient déjà importants à l’époque de la présidence de Barack Obama. Mais les attaques se sont intensifiées à l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, notait franceinfo Afrique le 28 février 2019. Pour ce faire, le nouveau président a signé un décret déclarant le sud de la Somalie "zone d’hostilités actives". Très actives, pourrait-on dire... Pour la seule période du 1er au 20 mars 2019, l’Africom, commandement militaire des Etats-Unis pour l’Afrique, a ainsi publié sept communiqués de presse mentionnant des attaques contre les shebabs.

Conséquence : "Selon un général de brigade américain à la retraite avec lequel Amnesty International s’est entretenu, (…) le décret a élargi l’éventail des cibles potentielles pour englober quasiment tout homme adulte vivant dans des villages favorables à Al Shabab et aperçu à proximité de combattants avérés. Un mandat aussi large bafouerait le droit international humanitaire et donnerait lieu à des homicides illégaux de civils."

Des membres des forces somaliennes après un attentat des islamistes shebab dans la capitale Mogadiscio, le 14 juillet 2018. (MOHAMED ABDIWAHAB / AFP)

Pour Amnesty, certaines de ces attaques "pourraient (ainsi) constituer des crimes de guerre". Confronté aux conclusions de l’ONG, l’Africom "a une nouvelle fois nié que ses opérations en Somalie aient pu causer la mort de civils".

"Nombreuses destructions" 

La stratégie aérienne des Etats-Unis commence à subir des critiques au sein même des armées occidentales. C’est ce que montre l’affaire du colonel français François-Régis Légrier, qui a commandé les artilleurs français de la Task Force Wagram active contre Daech depuis l’Irak. Un article (repéré par le blog spécialisé La voie de l’épée) qu’il avait publié sur son expérience de la bataille d’Hajin, a été retiré du site internet de la Revue défense nationale. Car visiblement, l’affaire embarrasse l’institution militaire française. L’officier risque des sanctions pour cet écrit.

Le colonel n’y va pas par quatre chemins. "Au XIXe siècle, le sort d’une bataille mettant en jeu quelques milliers d’hommes était réglé en une journée (…) ; au XXIe siècle, il faut près de cinq mois et une accumulation de destructions pour venir à bout de 2000 combattants ne disposant ni d’appui aérien, ni de moyens de guerre électronique, ni de forces spéciales, ni de satellites", dit-il à propos des combats contre le dernier centre de commandement urbain d’Etat islamique en Syrie.

Il poursuit : "Certes, la bataille d’Hajin a été gagnée, mais de façon très poussive, à un coût exorbitant et au prix de nombreuses destructions. Certes, les Occidentaux, en refusant d’engager des troupes au sol, ont limité les risques et notamment celui d’avoir à s’expliquer devant l’opinion. Mais ce refus interroge : pourquoi entretenir une armée que l’on n’ose pas engager ?"

"In fine, la question qui se pose est de savoir si la libération d’une région ne peut se faire qu’au prix de la destruction de ses infrastructures (hôpitaux, lieux de culte, routes, ponts, habitations, etc.). C’est là l’approche assumée sans complexe, hier et aujourd’hui, par les Américains", estime-t-il. Une approche qui rappelle celle appliquée en Somalie.

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