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Congrès d’Ennahda en Tunisie : la fin de l’islam politique?
Le parti islamiste tunisien Ennahda tient son 10e congrès à Radès, près de Tunis, du 20 au 22 mai 2016. Un évènement majeur pour la vie politique du pays. Mais aussi pour le mouvement qui a dirigé le gouvernement entre octobre 2011 et janvier 2014. Il pourrait ainsi réviser sa doctrine et ne plus se définir comme mouvement religieux.
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Le président tunisien Beji Caïd Essebsi, alias BCE, pourrait se rendre en personne au congrès. C’est dire l’importance du rassemblement où sont attendues «au moins 10.000 personnes», dont 200 invités venus des quatre coins du monde, selon le site espacemanager.
Ennahda, né officiellement en 1989, a pris la succession du Mouvement de la tendance islamique (MTI), fondé par Rached Ghannouchi et Abdel Fattah Marou. Ghannouchi a notamment étudié au Caire où il s’est converti aux thèses des Frères musulmans. Rentré en Tunisie en 1969, il enseigne la philosophie dans un lycée. Tout en intervenant dans les mosquées. Des interventions très suivies par les jeunes.
Dans le même temps, le MTI, qui entend s’insérer dans le débat politique, «développe une importante activité sociale» en créant notamment des actions de bienfaisance. Le président d’alors, Habib Bourguiba, finit par s’inquiéter de cet activisme. Il condamne le dirigeant islamiste à la prison. Mais le Premier ministre, Zine el Abidine Ben Ali destitue le «combattant suprême» en novembre 1987. Et gracie Rached Gahnnouchi.
Lors des législatives de 1989, les listes de l’islam politique obtiennent officiellement 13% des voix. Mais en réalité, leur score aurait avoisiné les 30%. A son tour, Ben Ali s’inquiète. En 1990, les islamistes manifestent dans la rue à l’occasion de l’invasion du Koweit par l’Irak et de l’intervention occidentale qui s’en suit. Au printemps 1991, le pouvoir s’engage dans la répression du mouvement. «Des centaines de suspects sont emprisonnés», raconte L’Express. De leur côté, les leaders d’Ennahda partent en exil.
Condamné à la prison à vie pour «complot», Rached Ghanoucchi doit s’installer à Londres. Il y reste jusqu’à la révolution du 14 janvier 2011. Il est de retour en Tunisie deux semaines plus tard, acclamé par des milliers de personnes. Ennahda peut alors reprendre librement ses activités. Avant de triompher aux élections législatives du 23 octobre 2011 et de prendre la tête du gouvernement.
Bilan du passage au pouvoir
Le parti islamiste traverse un trou d’air avec son passage au pouvoir et est défait aux législatives de novembre 2014. Mais aujourd’hui, après les défections dans les rangs du parti majoritaire Nidaa Tounès de BCE, il est redevenu la première force du pays. Rivales, les deux formations n’en gouvernent pas moins ensemble. Alors que certains au sein d’Ennahda critiquent vertement l’alliance avec les «laïcs», ses responsables doivent solder les comptes de leur passage au pouvoir. Et élaborer une stratégie pour l’avenir.
«De tous les mouvements islamistes maghrébins, l’islam politique tunisien est celui qui a fait la place la plus large au débat théorique et politique», constate L’Express. De fait, aux dires de la presse tunisienne, la préparation du congrès a donné lieu à une intense mobilisation dans ses rangs. La réflexion a notamment porté sur le bilan de l’exercice du pouvoir. Un bilan pour lequel le parti n’hésite pas à faire son autocritique.
Un document «interne confidentiel», révélé par le site businessnews, explique ainsi : installé au pouvoir, «le mouvement n’avait pas de vision claire ni une méthodologie pour produire et sélectionner les hommes de pouvoir. Le mouvement n’avait pas de vision pour fixer les priorités au niveau social et économique. Lenteur des réalisations que les citoyens attendaient surtout au niveau du développement. Un grand manquement dans l’initiative politique et manquement encore plus grand au niveau de la relation avec le peuple». On le voit : la franchise est de mise, au moins en interne. De fait, le passage des islamistes au pouvoir a été marqué par une crise économique et politique sans précédent, attisée par la montée en puissance des salafistes et l’apparition de la violence djihadiste.
Vers un parti sécularisé ?
Et pour l’avenir ? En matière économique, le programme du parti veut notamment à la fois augmenter le pouvoir d’achat, corriger la note souveraine de la Tunisie, lutter contre le chômage et la corruption, installer un environnement des affaires plus concurrentiel. Un programme qu’un économiste pourrait juger quelque peu attrape-tout…
Mais c’est sur le plan politique qu’Ennahda est le plus attendu. Pour businessnews, le congrès pourrait «durablement changer (son) identité» ainsi que son idéologie. En clair, le mouvement islamiste pourrait séparer politique et religion. Et «se muer en parti politique classique, civil et ‘‘tunisifié’’». Potentiellement, donc, une vraie révolution.
«Il n’y a plus de justification à l’islam politique en Tunisie», explique Rached Ghannouchi dans une longue interview au Monde. Et d’ajouter : «Nous affirmons qu’Ennahda est un parti politique, démocratique et civil et qui a un référentiel de valeurs civilisationnelles musulmanes et modernes.»
Les islamistes ont pris conscience de l’importance de la sécularité aux yeux des Tunisiens, que montre un récent sondage : ainsi, selon cette enquête, 72,8% des personnes interrogées se déclarent favorables à la séparation entre religion et politique.
Pour autant, cela suffira-t-il à convaincre les nombreux adversaires d’Ennahda qui lui reprochent son «double langage» et sa «duplicité» ? D’aucuns évoquent d’ores et déjà un «revirement tactique». «Serait-ce une énième ‘‘ruse’’ politique du mouvement islamiste, cherchant à se redonner une virginité et à vendre une nouvelle image, qui colle plus à la réalité de la société tunisienne? Le doute est permis», commente businessnews. Alors opportunisme tactique ou révolution idéologique ?
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