"Les Tunisiens n'ont plus peur, c'est fondamental"
Olfa Lamloum est une politologue franco-tunisienne spécialiste des médias. Interrogée par francetv info, elle revient sur les derniers événements qui secouent la Tunisie.
Politologue franco-tunisienne, Olfa Lamloum est spécialiste des médias et de leurs relations à l'islamisme. Membre de l'Institut français du Proche-Orient, elle suit tout particulièrement les événements en Tunisie depuis le début de la révolution, fin 2010, et répond aux questions de francetv info alors qu'une grève générale est organisée dans le pays vendredi 8 février.
Francetv info : Pour certains observateurs, la réaction populaire qui a suivi l'assassinat, mercredi, de l'opposant Chokri Belaïd pourrait être le signe d'une seconde phase de la révolution enclenchée il y a maintenant plus de deux ans ?
Olfa Lamloum : Je ne vois pas les choses ainsi. Les médias occidentaux parlent souvent de la "révolution de jasmin" pour qualifier ce que vit la Tunisie depuis le départ du président Ben Ali [qui a quitté le pouvoir et le pays sous la pression populaire le 14 janvier 2011]. En fait, il s'agit purement et simplement d'une révolution avec ses fulgurances, ses débats, ses affrontements... L'assassinat de l'avocat Chokri Belaïd ne constitue hélas qu'un nouvel épisode du vaste conflit dans lequel nous baignons depuis 2011.
Les enjeux sont énormes, aussi bien politiques qu'économiques. Les réseaux d'intérêt se trouvent toujours en résistance face au changement. L'appareil répressif est loin de se réduire à la personne de Ben Ali. Preuve en est la violence que ce pays vit en ce moment. Elle est le symptôme qui montre que rien n'est réglé, que la révolution continue et ne se terminera pas en un jour.
Comment interprétez-vous le rôle joué par Ennahda, le parti islamiste au pouvoir ?
D'abord, il faut avoir bien présent à l'esprit que ce parti n'est pas un acteur nouveau de la vie politique tunisienne. Réprimé ou pas, il occupe la scène publique du pays depuis les années 70. Il a gagné les élections, a la majorité dans le gouvernement et l'Assemblée constituante. Mais en fait, il ne détient absolument pas le pouvoir dans le pays. Il ne contrôle pas les choses car elles ne sont pas contrôlables. La situation tunisienne est imprévisible. Les alliances se font et se défont. L'histoire est toujours en cours et Ennahda doit rendre des comptes sur sa gestion politique et sociale, sur les réponses faites aux jeunes, sur l'exigence de dignité, comme on dit à Tunis.
Un assassinat, des manifestations, des heurts, une grève générale... Redoutez-vous une flambée de violences ?
Je ne suis pas inquiète. Je garde un grand espoir pour la suite des événements. D'un côté, je redoute que la violence s'impose comme gestion des conflits, comme un moyen de régler le sort de la révolution. De l'autre, je sais que maintenant les Tunisiens n'ont plus peur, c'est fondamental. Sur la toile, les jeunes regorgent d'initiatives. Mais l'essentiel se passe en ce moment dans la rue. On y refuse la violence tout en étant fermement décidé à ne rien lâcher sur les légitimes revendications d'une vraie démocratie.
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