En Tunisie, les journalistes toujours sous la menace d'arrestations

Depuis deux ans, la diffusion de fausses nouvelles est sévèrement punie par la loi. Les journalistes et les ONG dénoncent un texte trop flou qui permet des arrestations et des condamnations arbitraires.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 2 min
Le 27 mai 2024, plusieurs centaines de personnes ont manifesté à Tunis pour dénoncer des arrestations arbitraites de journalistes. (SOFIENE HAMDAOUI / AFP)

Alors que le président tunisien Kaïs Saïed a été réélu avec plus de 90% des voix, les médias s’inquiètent d’une répression accrue de la liberté d’expression. Cinq journalistes sont actuellement en prison pour avoir critiqué le régime, une situation inédite depuis les années 50.

Emission impossible, le rendez-vous phare de la radio IFM, très écoutée par les jeunes, n'existe plus. On y parlait politique, souvent sans filtre. Mais en mai dernier, Emission impossible a brutalement disparu de l’antenne après l’arrestation de quatre de ses chroniqueurs. Tous sont encore en prison, l’un d’eux a été condamné à un an pour diffusion de fausses informations. "Condamné avec un dossier qui comporte un ramassis de documents, des captures d'écran de posts Facebook, explique Thameur Mekki, journaliste indépendant. Ses avocats ont demandé à la cour, à plusieurs reprises, de leur révéler quelle est l'intox exacte", mais ils n'ont jamais eu de réponse précise.

Le risque de l'auto-censure

Le fameux décret 54, adopté il y a deux ans par le gouvernement, punit de cinq ans d’emprisonnement toute diffusion de fausse nouvelle, sauf qu’il ne donne aucune définition et laisse une lattitude d’interprétation absolue. "N'importe quelle information peut être considérée par les autorités judiciaires, par l'Etat, par les ministres, par le Président comme des fake news", explique Amira Mohamed, membre du Syndicat des Journalistes. Elle est aussi chroniqueuse sur Mosaïque FM, dont le directeur général est resté trois mois en détention. Il n’a pu sortir qu’en payant une caution de 300 000 euros et reste accusé de blanchiment d'argent et de complot contre la sûreté de l'État. Face aux risques de poursuites, les journalistes se surveillent en permanence. "On essaye de ne pas perdre notre liberté, mais il y a malheureusement cette auto-censure", regrette Amira Mohamed.

La même pression s’exerce sur les membres de la société civile. Souhaieb Ferchichi, 30 ans, travaille pour I-Watch, une ONG qui passe au crible les promesses des dirigeants politiques et vérifie leur mise en application. "Avant, je me demandais comment Ben Ali avait fait pour atteindre le pouvoir aussi facilement et pourquoi il n'y avait pas eu de résistance, en 1987. Là, en 2024, je vis la même chose", raconte-t-il.

Le gouvernment de Kaïs Saied a récemment touvé un autre levier pour faire taire les médias et les ONG : les accuser de recevoir des fonds de l’étranger, et notamment d’Israël, c’est formellement interdit. L’Etat hébreu est l’un des rares pays avec lequel Tunis n’a aucune relation diplomatique.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.