Cet article date de plus de huit ans.
La Tunisie a-t-elle les moyens militaires d'empêcher les attaques djihadistes?
L’attaque de Ben Guerdane, survenu le 7 mars 2016, a réveillé les craintes de la Tunisie face aux attaques djihadistes. Les responsables du pays redoutent d’autres opérations. Pour Leila Chettaoui, députée du parti gouvernemental Nidaa Tounès et membre de la commission de la défense et de sécurité de l’Assemblée tunisienne, la préparation de tels évènements était prévisible. Interview.
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Dans «Le Monde» du 7 mars 2016, vous expliquez qu’«il y aura d’autres attaques de ce genre, peut-être dans d’autres régions de Tunisie, pour faire diversion. Les militaires s’attendent au pire». C’est plutôt terrifiant, non?
Ces évènements n’ont pas commencé en 2015-2016. Il faut remonter à 2012-2013, quand on a commencé à découvrir des caches d’armes réparties sur tout le territoire tunisien. La programmation des attentats a pris racine à ce moment-là. Ce que l’on voit aujourd’hui n’est que la partie haute de l’iceberg. La partie basse est beaucoup plus importante, comme le montre l’attaque de Ben Guerdane. Ce n’est pas un hasard si l’on continue à y observer des affrontements, comme lors du week-end du 19 et 20 mars 2016.
Les évènements qui se sont produits à Ben Guerdane sont très significatifs. On y a découvert une quantité assez incroyable d’armes alors que l’armée et la garde nationale étaient présentes sur place. La région était en effet déjà sous contrôle militaire.
Alors, évidemment, lors de l’attaque du 7 mars, la population de la ville s’est, dans un sursaut nationaliste, placée du côté des forces de sécurité. Mais une partie des habitants était certainement au courant des caches d’armes. Nous sommes donc placés sur un terrain très mouvant. Et nous devons rester très réalistes.
Il est important de relier l’affaire de Ben Guerdane à d’autres évènements dans d’autres régions. Au Sud, la Libye est devenue un terrain de prédilection pour les groupes djihadistes dans la mesure où l’Etat n’existe plus. Ils peuvent ainsi œuvrer à leur aise, amasser des armes… C’est un vrai danger pour la Tunisie.
A l’Ouest, il y a un certain travail de coordination avec les Algériens : on assiste à un renforcement du partage d’informations, des opérations communes sont organisées sur la frontière. Aujourd’hui, on a peur pour le Nord.
Ce qui est sûr, c’est qu’il y a un nombre incalculable de cellules dormantes en Tunisie. On s’en rend notamment compte grâce à une étude confidentielle sur les jeunes qui reviennent de Syrie et d’Irak : ils sont originaires de toutes les régions du pays.
Ainsi, grâce à un suivi très rationnel, on est ainsi en train de découvrir la partie basse de l’iceberg. On commence à collecter l’information qui faisait défaut jusque-là. Nos services de renseignement commencent à travailler de manière plus rapide, plus efficace, plus coordonnée.
L’armée tunisienne est-elle préparée à affronter le phénomène djihadiste?
Jusque-là, elle n’était pas prête à faire face. Elle ne se trouvait pas dans une logique de guerre asymétrique. Disposant d’une organisation traditionnelle, elle avait élaboré une stratégie de combat contre un ennemi étranger et ne disposait pas des équipements nécessaires pour affronter les djihadistes. Les militaires ont donc mis du temps à se redéployer.
Mais aujourd’hui, ils ont commencé à s’adapter en terme de stratégie et de matériels. Ils comprennent qu’ils sont confrontés à une guerre asymétrique, appelée à durer. A Ben Guerdane, par exemple, ils ont eu l’occasion de se confronter directement au terrorisme de rue.
Autre enjeu important : il faut veiller à ce que les différents organes de sécurité, l’armée, la police, la garde nationale, puissent être efficaces rapidement. Ces différentes institutions doivent donc apprendre à se coordonner, à travailler ensemble pour échanger des informations et mener des opérations communes sur le terrain. C’est un vrai défi.
Au final, vous semblez relativement optimiste pour l’avenir…
Je suis optimiste quand je vois que nos institutions sont capables de se remettre en question, d’avancer sur les faiblesses constatées.
Vous êtes vraiment sûre?
C’est vrai que la souplesse d’adaptation des institutions n’est pas toujours impeccable. Mais je pense que l’évolution actuelle va dans le bon sens. L’important, outre la préparation des forces de sécurité, c’est de mettre sur pied une organisation qui nous permette d’amasser les bonnes informations.
Récemment, dans un éditorial, Le Monde écrivait que «l’aveuglement des Européens face à ce qui se joue en Tunisie est pathétique, désespérant». Qu’en pensez-vous ?
L’Europe est concernée par le terrorisme. Il n’y a qu’à regarder les attentats de Bruxelles. Je m’en rends compte aussi quand je discute avec des parlementaires européens.
Nous recevons des aides de pays comme l’Allemagne, la France, l’Italie. Mais, au-delà, ce qui manque pour que les moyens donnés à la Tunisie soient vraiment efficaces, c’est une stratégie commune. Il faudrait coordonner ces aides. Il faudrait qu’il y ait une réflexion et une démarche communes.
Ces évènements n’ont pas commencé en 2015-2016. Il faut remonter à 2012-2013, quand on a commencé à découvrir des caches d’armes réparties sur tout le territoire tunisien. La programmation des attentats a pris racine à ce moment-là. Ce que l’on voit aujourd’hui n’est que la partie haute de l’iceberg. La partie basse est beaucoup plus importante, comme le montre l’attaque de Ben Guerdane. Ce n’est pas un hasard si l’on continue à y observer des affrontements, comme lors du week-end du 19 et 20 mars 2016.
Les évènements qui se sont produits à Ben Guerdane sont très significatifs. On y a découvert une quantité assez incroyable d’armes alors que l’armée et la garde nationale étaient présentes sur place. La région était en effet déjà sous contrôle militaire.
Alors, évidemment, lors de l’attaque du 7 mars, la population de la ville s’est, dans un sursaut nationaliste, placée du côté des forces de sécurité. Mais une partie des habitants était certainement au courant des caches d’armes. Nous sommes donc placés sur un terrain très mouvant. Et nous devons rester très réalistes.
Il est important de relier l’affaire de Ben Guerdane à d’autres évènements dans d’autres régions. Au Sud, la Libye est devenue un terrain de prédilection pour les groupes djihadistes dans la mesure où l’Etat n’existe plus. Ils peuvent ainsi œuvrer à leur aise, amasser des armes… C’est un vrai danger pour la Tunisie.
A l’Ouest, il y a un certain travail de coordination avec les Algériens : on assiste à un renforcement du partage d’informations, des opérations communes sont organisées sur la frontière. Aujourd’hui, on a peur pour le Nord.
Ce qui est sûr, c’est qu’il y a un nombre incalculable de cellules dormantes en Tunisie. On s’en rend notamment compte grâce à une étude confidentielle sur les jeunes qui reviennent de Syrie et d’Irak : ils sont originaires de toutes les régions du pays.
Ainsi, grâce à un suivi très rationnel, on est ainsi en train de découvrir la partie basse de l’iceberg. On commence à collecter l’information qui faisait défaut jusque-là. Nos services de renseignement commencent à travailler de manière plus rapide, plus efficace, plus coordonnée.
L’armée tunisienne est-elle préparée à affronter le phénomène djihadiste?
Jusque-là, elle n’était pas prête à faire face. Elle ne se trouvait pas dans une logique de guerre asymétrique. Disposant d’une organisation traditionnelle, elle avait élaboré une stratégie de combat contre un ennemi étranger et ne disposait pas des équipements nécessaires pour affronter les djihadistes. Les militaires ont donc mis du temps à se redéployer.
Mais aujourd’hui, ils ont commencé à s’adapter en terme de stratégie et de matériels. Ils comprennent qu’ils sont confrontés à une guerre asymétrique, appelée à durer. A Ben Guerdane, par exemple, ils ont eu l’occasion de se confronter directement au terrorisme de rue.
Autre enjeu important : il faut veiller à ce que les différents organes de sécurité, l’armée, la police, la garde nationale, puissent être efficaces rapidement. Ces différentes institutions doivent donc apprendre à se coordonner, à travailler ensemble pour échanger des informations et mener des opérations communes sur le terrain. C’est un vrai défi.
Au final, vous semblez relativement optimiste pour l’avenir…
Je suis optimiste quand je vois que nos institutions sont capables de se remettre en question, d’avancer sur les faiblesses constatées.
Vous êtes vraiment sûre?
C’est vrai que la souplesse d’adaptation des institutions n’est pas toujours impeccable. Mais je pense que l’évolution actuelle va dans le bon sens. L’important, outre la préparation des forces de sécurité, c’est de mettre sur pied une organisation qui nous permette d’amasser les bonnes informations.
Récemment, dans un éditorial, Le Monde écrivait que «l’aveuglement des Européens face à ce qui se joue en Tunisie est pathétique, désespérant». Qu’en pensez-vous ?
L’Europe est concernée par le terrorisme. Il n’y a qu’à regarder les attentats de Bruxelles. Je m’en rends compte aussi quand je discute avec des parlementaires européens.
Nous recevons des aides de pays comme l’Allemagne, la France, l’Italie. Mais, au-delà, ce qui manque pour que les moyens donnés à la Tunisie soient vraiment efficaces, c’est une stratégie commune. Il faudrait coordonner ces aides. Il faudrait qu’il y ait une réflexion et une démarche communes.
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