Algérie : comment des artistes ont été piégés par un clip pro-Bouteflika
Une soixantaine de comédiens, humoristes, chanteurs... ont participé à une vidéo de soutien au président en campagne pour sa réélection. Parfois à leur insu.
Ce qui devait être un élément central de la campagne d'Abdelaziz Bouteflika se retourne contre ses participants et devient une contre-publicité pour le dirigeant. Un clip dans lequel une soixantaine d'artistes chantent à la gloire du président algérien, qui brigue un quatrième mandat, suscite depuis sa publication une grande controverse en Algérie.
Certaines personnalités ayant participé à sa réalisation estiment avoir été flouées, quand d'autres, comme la star du raï Khaled, dérapent lorsqu'il s'agit de le défendre. Francetv info revient sur la polémique.
Acte 1 : un clip façon "We Are the World"
Dimanche 30 mars, le clip "Notre serment pour l'Algérie" est publié sur la page YouTube officielle d'Abdelaziz Bouteflika. Le nom du président-candidat, âgé de 77 ans et victime l'année dernière d'un AVC qui a nécessité près de trois mois d'hospitalisation en France, n'y est jamais cité, même si le titre de la chanson reprend son slogan de campagne.
On y voit une soixantaine d'artistes parmi lesquels Khaled, la chanteuse de R'n'B Kenza Farah ou encore l'humoriste Smaïn chanter en arabe "Laissez-moi être heureux, laissez-moi être fier de mon président qui a prêté serment à l'Algérie et qui a tenu la promesse de millions de martyrs".
Immédiatement, la vidéo fait l'objet de railleries. Des pages Facebook appellent les internautes à cliquer en masse sur le bouton "Je n'aime pas" de YouTube. Sur les réseaux sociaux, les commentaires sont très critiques : certains, note RFI, reprochent à une partie des participants de ne pas vivre en Algérie, quand d'autres les accusent d'être des "salariés du système", relève Le Point.
Acte 2 : des personnalités se désolidarisent de l'initiative
Après la publication de la vidéo, plusieurs artistes ont affirmé avoir été victimes d'un coup monté. L'humoriste Smaïn a ainsi indiqué qu'il ignorait que ce clip allait être utilisé à des fins électorales. Selon son producteur, il pensait "apporter son soutien au pays qui l'a vu naître". Ne parlant pas arabe, l'humoriste ignorait que le titre du clip était un slogan de campagne. Il "pensait délivrer un message de paix et d'unité, en compagnie d'artistes de tous horizons (...). Il regrette sincèrement l'interprétation qui en est faite", a expliqué son producteur.
La chanteuse franco-algérienne Kenza Farah a également expliqué au journal El Watan avoir été "été invitée à participer à un clip pour l'Algérie, présenté comme un 'We Are the World' made in Algeria". Même son de cloche du côté de l'ancien boxeur Farid Khider, qui a indiqué au Parisien.fr "ne pas savoir du tout que c'était une chanson pro-Bouteflika".
Certains participants, comme les comédiens Amine Ikhlef et Mohamed Bounoughaz, ont par ailleurs admis avoir touché de l'argent en échange de leur participation. Embarrassés, ils ont affirmé sur le plateau d'une webtv appartenant, selon RFI, à un proche du président qu'ils verseraient leur cachet à des associations caritatives.
Acte 3 : les pro-Bouteflika du clip dérapent
Chez les artistes qui assument leur soutien au président, les arguments sont parfois curieux. "C'est grâce à lui que j'ai pu me soigner à l'étranger et que je suis guérie", a ainsi déclaré à El Watan la comédienne Atika. Citée par le quotidien, une autre comédienne indique en off que "ceux qui ne sont pas reconnaissants de ce qu’a apporté Bouteflika sont soit des ingrats soit des bâtards, car seuls les bâtards ne reconnaissent pas leurs parents".
Le chanteur Khaled a été, pour sa part, très agacé lorsque des journalistes l'ont interrogé sur la polémique qui entoure la vidéo. Dans un enregistrement audio que s'est procuré le quotidien francophone Liberté, la star du raï se perd dans un discours qui dénonce des "mensonges" et des "manigances", avant de se faire menaçant. "Si vous et moi sommes musulmans, alors sachez que le première condamnation dans le Coran, et pour Dieu, c’est 'al namima' [créer la zizanie entre deux ou plusieurs personnes, explique Liberté], alors méfiez-vous !"
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