Quel est le rapport entre les feux de forêt en Amazonie et la "souveraineté protéinique" prônée par Emmanuel Macron ?
Les incendies qui ravagent la forêt amazonienne, causés par la déforestation, elle-même conséquence de l'élevage et de la culture du soja, notamment au Brésil et en Argentine, ont mis sur la table la question de la dépendance de l'Europe à cette source de protéines.
"Nous devons recréer la souveraineté protéinique de l'Europe." Cette phrase, prononcée par Emmanuel Macron, lundi 26 août, sur le plateau du journal de 20 heures de France 2, a fait lever quelques sourcils. Interrogé sur la "part de complicité" de la France dans les incendies qui ravagent depuis plusieurs semaines la forêt amazonienne, le président français a évoqué la part de responsabilité des Etats qui, comme la France, importent du soja brésilien pour nourrir leur bétail.
Une forte dépendance au soja sud-américain
Selon un rapport de Greenpeace, l'Union européenne importe environ 33 millions de tonnes de soja chaque année, "majoritairement en provenance d'Amérique du Sud, et 87% du soja utilisé en Europe est destiné à l'alimentation animale." Les trois quarts sont destinés aux élevages industriels de poulets de chair ou poules pondeuses (50%), ou de porcs (24%). Les vaches laitières consomment pour leur part 16% du soja importé et les vaches allaitantes (races à viande), 7%.
Si la consommation de viande a tendance à baisser en Europe et en France depuis les années 1980, relève Le Monde, elle reste élevée et continue de faire la part belle aux produits laitiers et aux œufs. Surtout, la politique agricole commune (PAC) encourage une augmentation d'échelle des exploitations (et donc l'élevage industriel, gourmand en protéines de soja issues de l'importation). La part de viande porcine produite dans les méga-fermes françaises est passée de 31% en 2004 à 64% en 2016, et de 11% à 28% pour la viande de poulet, selon un rapport de Greenpeace (lien en anglais), publié en février 2019.
"La France importe chaque année entre 3,5 et 4,2 millions de tonnes de soja", poursuit l'ONG, qui ajoute que le Brésil est de loin le premier fournisseur de l'Hexagone. Ainsi, 61% du soja importé par la France est brésilien, ce qui représente plus de 2 millions de tonnes par an, sur une production totale de soja estimée à 113,8 millions de tonnes. Au sein de l'UE, l'Hexagone est la cinquième destination pour les importations de soja latino-américain. Le Brésil est le deuxième producteur de soja au monde.
Un impact écologique néfaste
Le lien entre culture du soja et déforestation est aujourd'hui indiscutable. Au Brésil, avec la production bovine, les activités agricoles occupent près de 6,5% de la surface déboisée (selon l'ONG Amazon Watch, la production de soja et l'élevage de bœufs comptent pour 80% des causes de la déforestation – lien en anglais–.) Une enquête internationale des ONG Mighty Earth, Rainforest Foundation Norway et Fern soulignait en 2018 les impacts dramatiques de la culture de soja en Amérique latine. Elle évoque la destruction, souvent illégale, par le feu ou au bulldozer de milliers d'hectares de forêt amazonienne.
Ces cultures sont également particulièrement gourmandes en pesticides et, notamment, en glyphosate, détaille un rapport de l'Académie d'agriculture de France, consacré au soja américain. "Le gouvernement Bolsanaro affiche son soutien total à cette fillière et au développement agro-industriel pour l'export, notamment en accélérant l'homologation d'une très large gamme de nouveaux pesticides", écrit ce rapport. "En Argentine, où la quasi-monoculture de soja est largement répandue depuis des années (...), le soja, tolérant au glyphosate, en nécessite de plus en plus et, souvent, en mélange non contrôlé avec d'autres herbicides plus toxiques." Or, le rappport de l'ONG Mighty Earth s'inquiète des conséquences de cette exposition pour les populations locales.
Par ailleurs, alors que la culture des OGM est interdite en France, Greenpeace dénonce l'importation, chaque année, de millions de tonnes de soja transgénique pour nourrir les animaux qui se retrouven,t en bout de chaîne, dans l'assiette des Français.
Des enjeux de diversification
Produire davantage de ses besoins en protéines permettrait à l'Europe d'assurer une meilleure traçabilité de la nourriture donnée à ses bêtes. Elle gagnerait par ailleurs en indépendance vis-à-vis des puissances étrangères : le Brésil, mais aussi les Etats-Unis, également grand producteur de soja. Afin de consolider la souveraineté alimentaire française, le ministre de l'Agriculture, Didier Guillaume, a donc lancé début 2019 une large concertation nationale pour l'élaboration d'une stratégie "protéines végétales" , en vue d'un plan protéines européen présenté dans le cadre de la prochaine PAC. Après des débats difficiles entre ministère et professionnels du secteur, les agriculteurs espèrent la formalisation de ce texte à l'automne.
A travers ce plan, les producteurs d'oléoprotéagineux (colza, pois, tournesol) ont pour ambition de réduire la dépendance de la France aux importations de 45% à 35% (contre près de 65% à 70% en Europe) dans les cinq prochaines années.
Aussi, dans son plan climat, publié en juillet 2017, la France s'est engagée à "mettre un terme à la déforestation importée." Signataire en 2015 de la déclaration d'Amsterdam, sur l'huile de palme et la déforestation, la France continue de recourir aux importations de soja. Paris "se contente d'afficher un objectif ambitieux sans mettre vraiment en place les mesures pour l'atteindre", a déploré Greenpeace. "[La France] ne fixe ainsi pas d'objectif de réduction des importations de soja et ne permet pas non plus la réorientation radicale nécessaire de notre modèle d'élevage, qui n'est pas soutenable et trop dépendant du soja importé."
Des importations aujourd'hui indispensables
Dans un rapport daté de 2016, l'Inra souligne la dépendance de l'élevage français aux importations de soja, "même si les autres constituants de la ration comme les céréales, les tourteaux de colza ou de tournesol par exemple, contribuent aussi à la couverture des besoins en protéines des animaux." L'organisme qualifie alors les légumineuses de "voie royale pour réduire cette dépendance".
"Excellentes sources de protéines et d'énergie","leur teneur en acides aminés sont plus proches des besoins des animaux que celle du soja", poursuit ce document. "Les pois peuvent parfaitement se substituer au soja dans les aliments pour les porcs. Leurs régimes pourraient contenir jusqu'à 30% de ces graines. De même, pois et féveroles pourraient constituer entre 15 et 20 % de la ration des poulets et des ruminants. Les légumineuses pourraient même se substituer en partie aux farines de poissons destinées à l'aquaculture". Enfin, "les légumineuses fourragères présentent un grand intérêt pour l'élevage bovin", continue l'Inra, qui conclue toutefois qu'"avec moins de 200 000 hectares cultivés, les légumineuses ne peuvent pas encore prendre des parts de marché au soja importé".
Sur le territoire français, les surfaces de soja (+4%) et de protéagineux (+7,8%) seraient en nette hausse en 2019, selon les premières projections du ministère de l'Agriculture, qui prévoit également de bons rendements, notamment pour les pois et les féverolles. Mais "une réelle autonomie en concentré riche en protéines semble a priori peu accessible à moyen terme", estime un rapport de l'Académie d'agriculture de France. Selon ce document, "le niveau de prime des dernières années n'est pas suffisant pour entraîner une conversion significative des surfaces en céréales vers les protéagineux, dont la culture est plus délicate et les rendements nettement plus aléatoires."
Par ailleurs, si les Français ne réduisent pas leur consommation de viande, et que les élevages industriels continuent de se développer au détriment d'élevages de taille plus modeste, il sera difficile pour l'Europe et la France de se passer des importations de soja OGM.
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