Cet article date de plus de sept ans.
Chili: les jeunes manifestent pour des études gratuites
Les étudiants chiliens sont descendus par milliers dans les rues le 11 avril 2017 pour réclamer une accélération du projet de loi sur l’éducation gratuite. Un mouvement récurrent depuis une décennie. L’enseignement avait été largement privatisé sous l’ère Pinochet (1973-1990).
Publié
Temps de lecture : 7min
Selon Daniel Andrade, qui dirige la Fédération des étudiants de l'Université du Chili, la manifestation du 11 avril a réuni «plus de 90.000 personnes dans les rues».
¡Más de 90.000 marchando en las calles! Que el Gobierno deje su sordera: No habrá Reforma sin nuestras propuestas #EducacionEnCrisis pic.twitter.com/dpJUFPuKz2
— Daniel Andrade (@DAndrade_S) April 11, 2017
Quelques incidents ont éclaté à Santiago, la capitale, au cours de cette première mobilisation de l'année. Certains manifestants, portant des masques et habillés en noir, ont jeté des pierres sur les forces de l'ordre qui ont répliqué avec des gaz lacrymogènes et des canons à eau. Lors d’un précédent défilé en mai 2016, deux étudiants étaient morts à Valparaiso.
La réforme de la présidente Michelle Bachelet
En 2016, les manifestants entendaient déjà protester contre la réforme de l’éducation promise par la présidente socialiste Michelle Bachelet. Objectif de cette réforme: en finir avec un système éducatif largement privatisé et profitant davantage aux élites, hérité de la dictature militaire d'Augusto Pinochet (1973-1990). Mais depuis le lancement du projet en 2014, les manifestations de lycéens, d'étudiants et de professeurs se multiplient pour réclamer une mise en place plus rapide du texte et l’instauration d’un système moins sélectif.
La réforme de l'éducation était l'une des principales promesses de campagne de Michelle Bachelet, réélue en 2014 après un premier mandat entre 2006 et 2010. En 2013, elle expliquait qu’elle entendait instaurer la gratuité des études «à tous les niveaux» car l’éducation «est un droit et pas un business». Une gratuité qu’elle n’avait pas «osé entreprendre lors de son premier mandat», constate Le Figaro.
Une partie de la réforme a déjà été votée. Elle interdit la sélection des étudiants et introduit de manière progressive la gratuité dans les établissements recevant l'aide de l'Etat. En 2016, près de 145.000 étudiants (sur un million), qui appartiennent aux catégories les plus pauvres de la population, ont pu commencer à étudier gratuitement. Et ce pour la première fois en 35 ans. Quelque 200.000 personnes devaient bénéficier de la mesure en 2017.
L’approche de la présidentielle
Mais selon les protestataires, la réforme n'est pas assez ambitieuse. Notamment parce qu’elle n'ouvre pas les portes de l'enseignement gratuit à un nombre suffisant de jeunes. De plus, «les instituts professionnels et les centres de formation technique privés ne sont pas concernés (…), le gouvernement se contentant d’en financer une quinzaine d’entre eux via des bourses», constate L’Humanité.
Les manifestants reprochent par ailleurs à la présidence de ne pas les avoir consultés. «Je ne sais pas à quoi joue le gouvernement. On ne peut pas légiférer sans écouter les mouvements sociaux», a déclaré à la presse Daniel Andrade.
Le mouvement étudiant souhaite accélérer le calendrier parlementaire. Il craint que le projet tombe dans les oubliettes à l'approche de l'élection présidentielle de novembre. Le candidat de droite et favori des sondages, Sebastian Piñera, déjà président entre 2010 et 2014, a d'ores et déjà fait savoir qu'il n'était pas un partisan de la gratuité totale. Il a promis, s'il est élu, de mettre en place un système de bourses et de prêts.
Des frais d’études exorbitants
Le dossier est donc loin d’être clos. Un dossier complexe et ancien: cela fait plus d’une décennie que les étudiants protestent contre leurs conditions d’études. En 2006, au tout début de la première présidence Bachelet, ils avaient ainsi contesté à la fois le prix des établissements d’enseignement et les tarifs des transports.
En 2011, le mouvement a pris une ampleur sans précédent sous la présidence de… Sebastian Piñera. Des dizaines de milliers d’étudiants avaient alors battu le pavé. L’ampleur des défilés avait «surpris la société» chilienne, selon Carlos Ominami, ancien ministre de l’Economie (entre 1990 et 1992), dans Le Monde Diplomatique (accès payant). «Les familles venaient manifester avec les jeunes.»
Aux racines du mouvement, les conditions d’études dans le pays. «Au Chili, l’éducation est la plus chère du monde après les Etats-Unis, et presque totalement privatisée», constatait Le Monde Diplomatique en 2011 «Les ressources des universités ne proviennent de l’Etat qu’à 15%», selon l’économiste Andrés Solimano, cité par le mensuel. L’inscription d’un étudiant coûtait alors «l’équivalent de 400 à 600 euros mensuels» pour un salaire moyen de 900 euros. Dans ce contexte, les familles s’endettaient sur des périodes pouvant aller jusqu’à 15 ans. En 2014, 70% des étudiants étaient endettés.
Un héritage de l’ère Pinochet
Un tel système a été mis en place après le putsch militaire de septembre 1973 qui a renversé le président socialiste Salvator Allende. Influencé par l’économiste américain Milton Friedman, le penseur de la dérégulation économique des années 80, le gouvernement du général Augusto Pinochet diminue alors les dépenses publiques. Les budgets sont revus à la baisse, les programmes d’aides drastiquement réduits.
Par la suite, la dictature a municipalisé le système éducatif. «Le budget de l’éducation éclate et les territoires prennent le relais. Les communes riches ont donc de bonnes écoles et les communes pauvres de mauvaises. L’argent des riches va aux riches, celui des pauvres va aux pauvres», explique le sociologue Alain Touraine, cité par Slate. Et d’ajouter: «Dans l’éducation et la santé, tout a été fait pour créer une société de castes.»
Dans l’enseignement supérieur, le privé se taille la part du lion. Dans ce contexte «l’éducation au Chili est considérée comme une marchandise et, par conséquent, le système éducatif chilien comme un marché réglementé, soumis au principe de la rentabilité financière», constate Camila Vallejo, députée communiste chilienne et l’une des dirigeantes du mouvement de 2011, citée sur le site de l’OCDE.
Il n’est donc pas forcément facile de faire évoluer le système. De nombreux établissements privés doivent renoncer à faire des bénéfices. D’autant plus compliqué que selon l’universitaire Antoine Maillet, cité par Slate, nombre de responsables politiques «possèdent une école, un collège ou un lycée subventionné»…
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.