F. Gemenne: «La lutte contre le réchauffement climatique ne s'arrêtera jamais»
François Gemenne est chercheur à l'université de Versailles Saint-Quentin et à l'université de Liège (Belgique). Il enseigne la géopolotique du changement climatique. Dernier ouvrage paru : Anticiper pour s'adapter avec Laurence Tubiana et Alexandre Magnan (Editions Pearson). Nous l'avions rencontré avant le rendez-vous climatique de Lima.
La conférence de Lima est la vingtième du genre. Vingt ans de palabres, de négociations sans véritable passage à l'acte. Cette conférence peut-elle faire avancer les choses, François Gemenne?
Je ne le pense pas. Elle va ménager la chèvre et le chou, conforter les positions actuelles, voilà tout. Cependant, ces réunions sont nécessaires pour faire admettre l'idée que nous sommes tous sur le même bateau, riches comme pauvres. Se rencontrer, se parler, cela permet de se rassurer ... ou de s'inquiéter collectivement. Mais le vrai progrès serait qu'un groupe de pays, par exemple ceux de l'Union européenne, prenne fermement la tête du combat tout en négociant, pourquoi pas, des alliances avec certains pays émergents avancés. Pour moi, ce sont les choix politiques nationaux qui, à terme, entraîneront un accord international.
L’objectif de limiter le réchauffement climatique à 2 degrés est pourtant partagé par tous…
Oui, mais c’est un but irréaliste qui tient de la méthode Coué. Il a été choisi délibérément par des protagonistes qui voulaient être sûrs d’être morts avant de pouvoir constater si oui ou non, le seuil avait été respecté !Cette température étant très difficile voire impossible à mesurer, on ne pourra d’ailleurs jamais parler ni d’échec ni de progrès. Si les Etats avaient vraiment voulu agir contre le réchauffement, ils auraient fixé une norme maximale d’émission des gaz à effet de serre. On aurait alors pu effectuer les mesures sans difficulté… et constater les dégâts.
Pourquoi les Etats ne prennent-ils pas leurs responsabilités?
Parce qu’ils font face à des enjeux économiques qui les dépassent, et à des pressions colossales. Cinq des six premières entreprises du monde sont des compagnies pétrolières. Elles ont une telle puissance, disposent de tant d’influence, que les gouvernements eux-mêmes hésitent à les défier. Le vrai courage pour ces derniers serait d’admettre et de faire admettre que le passage à une économie verte ne ferait pas que des gagnants, que tout un pan de l’activité n’y trouverait plus sa place. Les BP, Total, et autres supermajors de l’or noir devraient accepter de produire beaucoup moins de pétrole et dans 50 ans, plus du tout. Cela impliquerait qu’ils réorientent sans attendre la totalité de leurs investissements vers les énergies renouvelables. De même, il faudrait cesser une fois pour toutes d’envisager l’exploitation du gaz de schiste. Il s’agit d’envisager de manière résolue une société sans pétrole et de s’interdire moralement d’en exploiter.
Ce n’est pas un peu radical, comme remède?
C’est une nécessité vitale. Si l’on continue à vivre comme aujourd’hui, et que l’on brûle toutes les réserves de brut connues à ce jour, la température du globe augmentera de 5 à 6° d’ici à la fin du siècle. On n’en est pas encore là, mais les premiers effets du réchauffement sont perceptibles. La montée des eaux n'est pas un vain mot. Quand le niveau de la mer gagne un centimètre, l'érosion agit sur un mètre de territoire ! Et puis, il suffit d’observer l’augmentation de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes. Certes, ils restent encore exceptionnels. Mais bientôt, ils deviendront la norme. Même dans nos contrées tempérées.
N’est-il pas déjà trop tard pour agir?
Heureusement pas. Le temps du changement climatique dépasse de loin l’échelle humaine. Il y a un décalage de 50 ans entre le moment où l’on émet des gaz et le moment où le climat réagit. Les impacts que l’on vit actuellement proviennent de l'époque de nos grands-parents. Et ce sont nos petits enfants qui recueilleront les fruits des efforts que nous devons fournir aujourd’hui. Eux-mêmes d’ailleurs devront continuer le combat, car la lutte contre le réchauffement ne s’arrêtera jamais. Il n’y aura pas d’armistice pour mettre fin au conflit, il n’y aura jamais un moment où l’on se dira «ça y est c’est réglé, passons à autre chose». Les hommes vont devoir s’habituer à y penser tout le temps.
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