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Grève générale, 260 morts en trois mois... On vous explique la violente répression au Nicaragua

Depuis la mi-avril, un mouvement de contestation enflamme le Nicaragua. Le président Daniel Ortega et son épouse, Rosario Murillo, refusent de céder et d'avancer la date de l'élection présidentielle. La répression a déjà fait au moins 260 morts.

Article rédigé par franceinfo
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Des manifestants anti-gouvernement tiennent des pancartes "300 Nicaraguayens manquent", alors qu'ils forment une chaîne humaine à Managua, capitale du Nicaragua, le 4 juillet 2018. (MARVIN RECINOS / AFP)

Un bras de fer sanglant se joue depuis près de trois mois au Nicaragua. Un mouvement de contestation inédit exige le départ du président Daniel Ortega et de son épouse – et vice-présidente du pays – Rosario Murillo. Depuis le 18 avril, des manifestations anti-gouvernement sont brutalement réprimées par le chef de l'État. La manifestation organisée jeudi 12 juillet a fait au moins cinq morts à Morrito (sud-est), dont quatre policiers et un manifestant, d'après le Centre nicaraguayen des droits de l'homme (Cenidh). D'après la Commission interaméricaine des droits de l'homme, au moins 264 personnes sont mortes depuis le début des contestations et cette vague de violence a fait plus de 1 800 blessées. Franceinfo vous explique les origines de cette révolte sanglante. 

D'où vient ce mouvement de contestation ? 

À l'origine de cette mobilisation, entamée le 18 avril : un décret du président Daniel Ortega, au pouvoir depuis 2007. Celui-ci prévoit de baisser les pensions de retraite de 5% tout en augmentant les cotisations sociales des employés et salariés. L'annonce agit comme un déclencheur dans ce pays, le plus pauvre d'Amérique centrale : des manifestations sont immédiatement organisées à Managua, la capitale, et dans d'autres villes du pays.

D'autres suivent, le 19 puis le 20 avril. Le signal des chaînes d'information critiques vis-à-vis du pouvoir est coupé. Le Cenidh fait alors état de 24 morts, une information confirmée par l'AFP auprès des familles. Parmi ces victimes, Alvaro Conrado, un adolescent de 15 ans. Ses derniers mots, "respirer me fait mal", deviendront un slogan repris par les manifestants. 

Face à la rue, le président renonce à sa réforme, le 22 avril. Mais ce retrait du décret n'apaise pas les manifestants, qui réclament alors le départ de Daniel Ortega et de son épouse. Celui-ci refuse d'en entendre parler et continue la répression de la vague de manifestations. Lors des mobilisations, les opposants au régime affrontent ainsi les forces armées du gouvernement. Une manifestation, organisée le jour de la Fête des mères, le 30 mai, en solidarité avec les parents des enfants tués par les forces de l'ordre, fait 18 morts. Une autre, "La marche des Fleurs", organisée le 30 juin, fait un mort et 11 blessés. Les forces de l'ordre répondent à coups de tirs sur la foule. 

Des manifestants anti-gouvernement forment une "chaîne humaine", à Managua (Nicaragua), le 4 juillet 2018. Sur la pancarte : "Justice ! Prison pour Ortega ! Qu'ils s'en aillent !" (MARVIN RECINOS / AFP)

Que demandent les manifestants ? 

Rapidement, la contestation dépasse la seule défense des retraites : étudiants et patrons ont d'ailleurs rejoint les retraités dans les rangs de la contestation. "C'est seulement le détonateur d'une tension silencieuse qui s'est accumulée dans le pays", détaille dans Libération l'écrivain Sergio Ramírez.

Il faut dire que la population du Nicaragua est exaspérée par les hausses permanentes des tarifs de l'électricité et du carburant, les suppressions de postes dans le secteur public et la réduction des aides sociales. La grave crise économique du Venezuela, qui apportait au pays une aide importante, n'a pas profité au pays. "Les travailleurs craignaient de perdre leur travail, les étudiants leur bourse, les citoyens de ne pas obtenir les documents administratifs dont ils pouvaient avoir besoin…", poursuit celui qui fut vice-président de Daniel Ortega, entre 1985 et 1990. 

Dans ce contexte, la répression du pouvoir a encore accentué la colère des manifestants. Ils demandent désormais le départ du président Ortega, dont le mandat doit se terminer en 2021, et de nouvelles élections générales anticipées en mars 2019. Alors que les manifestations se multiplient, le pays était paralysé vendredi 13 juillet par une grève générale, décrétée par l'opposition afin de faire céder le gouvernement.

Qui sont le président Ortega et son épouse ? 

Daniel Ortega, au pouvoir depuis onze ans, a un long passif politique au Nicaragua. Cet ancien leader du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) a contribué au renversement de la dictature mise en place par la famille Somoza. L'ancien guérillero de 72 ans n'a jamais vraiment quitté le pouvoir depuis 1979. Après une pause entre 1990 et 2007, il est réélu en 2011, puis en 2016. Longtemps surnommé "El Comandante", cet homme de gauche ne fait aujourd'hui plus l'unanimité chez ses anciens amis.

Ortega a trahi nos idéaux de pluralisme, de non-réélection, de lutte contre la corruption et l’autoritarisme.

Sergio Ramírez, écrivain et ancien vice-président de Daniel Ortega

dans "Le Monde"

Les manifestants reprochent ainsi le népotisme entretenu par leur président, qui aime diriger le pays en famille : comme le souligne Europe 1, "ses fils gèrent les plus gros chantiers de travaux publics". Il s'est par ailleurs entouré de son épouse Rosario Murillo, vice-présidente depuis 2017.

Le président Daniel Ortega et la vice-présidente (qui est aussi son épouse), Rosario Murillo, lors d'une mobilisation des pro-gouvernement, à Managua, le 7 juillet 2018. (MARVIN RECINOS / AFP)

Celle qui est surnommée "la Chamuca" (la Diablesse) par le peuple a été la secrétaire de Carlos Tünnermann, ancien ministre et ambassadeur à Washington de 1979 à 1990. "Elle a forcé son époux à partager avec elle le pouvoir à partir d'une sordide histoire familiale", à savoir des soupçons de viols contre Ortega formulés par sa belle-fille, rappelle-t-il dans Le Monde. Rosario Murillo, mère de la jeune femme, a pris le parti de son mari, accusant sa fille de "mythomane". Une "faveur [qui] lui a ouvert d'abord les portes du FSLN, puis celles du gouvernement", selon Carlos Tünnermann.

Lui est un Staline tropical qui garde la main sur les affaires politiques, alors que Murillo, elle, gère l'intendance.

Oscar René Vargas, sociologue et ancien du FSLN

dans "Le Monde"

Comment le président réagit-il face à la contestation ? 

Depuis le début de la contestation, le président cultive un bras de fer intense avec les manifestants. D'un côté, il maintient un semblant de négociations, notamment avec l'Eglise catholique qui joue les médiatrices avec le peuple. En parallèle, il continue à réprimer dans le sang les manifestations contre lui. Le 7 juillet, le président Ortega a ainsi qualifié ses opposants de "vandales" et de "délinquants", refusant une nouvelle fois de quitter le pouvoir et d'organiser des élections.

On ne peut pas changer les règles du jour au lendemain simplement parce que l'idée en est venue à un groupe de putschistes.

Daniel Ortega

au cours d'un rassemblement de ses partisans à Managua, capitale du Nicaragua

Au début de la semaine, la tension est encore montée d'un cran dans le pays, avec l'agression de prélats catholiques à Diriamba, ville située à 45 kilomètres de la capitale. Lundi, une centaine de partisans de Daniel Ortega et de paramilitaires ont fait irruption dans une basilique, où une dizaine de manifestants de l'opposition s'étaient réfugiés. Un groupe d'hommes encagoulés ont ainsi malmené l'archevêque de Managua, ainsi qu'une délégation de prélats, venus rencontrer les manifestants. "Nous avons subi cette action dure, forte et brutale contre nos prêtres, nous n'avions jamais vu de telles situations au Nicaragua, c'est vraiment triste", a dénoncé l'archevêque. 

Le cardinal Leopoldo Brenes, l'archevêque Waldemar Stanislaw Sommertag et plusieurs prêtres se rendent à la basilique de Diriamba, avant d'être pris pour cibles par des sympathisants du gouvernement masqués, lundi 9 juillet 2018. (CARLOS HERRERA / DPA)

La veille, 14 personnes ont trouvé la mort à la suite de violents raids des forces de l'ordre dans cette ville de Diriamba et de Jinotepe, dans le sud-ouest du pays. Ces débordements s'ajoutent à la violente répression organisée par le pouvoir. "Le gouvernement a libéré des gangs de délinquants pour épauler les policiers qui ne sont pas assez nombreux pour réprimer la contestation populaire", assure Marlin Sierra, directrice du Cenidh, dans les colonnes du MondeInterrogé par Le Figaro, le sociologue et économiste Carlos René Vargas estime lui aussi que Daniel Ortega "a créé une armée irrégulière". Des civils masqués et armés qui, au côté de la police, n'hésitent pas à faire usage de la violence.

Quelles sont les réactions internationales ? 

Alors que le pays s'enfonce un peu plus dans la crise, le couple présidentiel apparaît isolé sur la scène internationale. Tous les membres de l'Organisation des États américains ont ainsi condamné la répression des manifestations. "La situation est grave", a déclaré le secrétaire de l'Association nicaraguayenne pour les droits de l'Homme (ANPDH), Alvaro Leiva, dénonçant une "répression disproportionnée" de la part des forces pro-Ortega.

Fin avril, l'ONU s'était inquiétée de possibles "exécutions illégales" et avait demandé que des "enquêtes (...) soient menées sur ces décès"Le président et son épouse ont accepté la venue d'observateurs internationaux, début juillet, pour enquêter sur les violences commises lors des mobilisations. Une délégation de la Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) a ainsi visité, le 2 juillet, le centre de détention de Managua, baptisé "El Chipote"

Une femme, proche d'un détenu enfermé pour avoir participé à des mobilisations contre le gouvernement, manifeste devant la prison "El Chipote", à Managua, le 2 juillet 2018. (INTI OCON / AFP)

"La situation au Nicaragua est critique", a estimé mercredi la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), devant le conseil permanent de l'OEA à Washington, dénonçant l'aggravation de la répression et chiffrant à 264 le nombre de morts causés par la vague de violence en près de trois mois de protestation. Celle-ci a exhorté les autorités à démanteler "les appareils répressifs pro-gouvernementaux" qui opèrent dans le pays.

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