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Haïti a perdu 98 % de ses forêts en moins de trois siècles

Depuis la tenue du 1er tour contesté de la présidentielle en octobre 2015, la crise politique se prolonge à Haïti. Le 10 juin 2016, l'opposition a refusé le maintien au pouvoir du président provisoire Jocelerme Privert. Dans le même temps, Haïti reste le pays plus pauvre du continent américain et l’un des plus déshérités du monde. Parmi l’un de ses principaux maux: la déforestation. Explications.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min

Vue du ciel, la déforestation de la partie occidentale d’Hispaniola, île des Caraïbes regroupant Haïti à l’ouest et la République dominicaine à l’est, est saisissante. Sur une photo aérienne prise le long de la frontière entre les deux pays, on remarque immédiatement le contraste entre, à droite, le territoire de la République dominicaine tout vert, et à gauche, celui d’Haïti blanc et jaune, tout dénudé.


Colonisée au XVe siècle par Christophe Colomb et les Espagnols, l’île était alors couverte à 80% de forêts avec une grande diversité d’arbres : cocotiers, acajous, manguiers, tamariniers… Et Colomb pouvait vanter ce joyau de verdure. Aujourd’hui, les surfaces boisées n’occupent plus que 2% de la surface totale d’Haïti (27.750 km2), contre 30% chez son voisin oriental (48.734 km2). En 1940, ce taux était d’environ 30% dans l’ancienne colonie française devenue indépendante en 1804 à l’issue d’une longue guerre contre la France.

Un phénomène qui vient de loin
La déforestation n’est pas un phénomène nouveau. Elle «a commencé pendant la période coloniale et s’est intensifiée avec l’introduction de la culture du café en 1730», note une étude de la North Carolina State University (Etats-Unis). Une monoculture qui, en 50 ans, a ainsi occupé un quart de la superficie du territoire haïtien. Par la suite, d’autres cultures, épices, sucre, indigo, ont, elles aussi, entraîné la disparition des arbres.

Au  XIXe, le phénomène est accéléré par les exportations de bois. A la suite de l’indépendance, les nouvelles autorités ont en effet besoin d’argent pour payer à la France une indemnité de 150 millions de francs or. Au début des années 40 du XXe siècle, les Américains aggravent le déboisement pour planter des hévéas, nécessaires à l’économie de guerre.


Dans les années 60, Haïti est mise en coupe réglée par la dictature sanguinaire des Duvalier père et fils, alias «Papa Doc» et «Baby Doc». Ceux-ci accordent des concessions pour la coupe du bois, notamment dans le parc national de la Visite. L’exploitation industrielle des arbres va faire disparaître le bois précieux.

Les concessions sont données et reprises au fil des amitiés politiques par le pouvoir des Duvalier. Lequel était par ailleurs gagné par la peur paranoïaque de voir la forêt servir de maquis aux opposants.

«A compter des années 60, trois scieries ont travaillé dans le parc (de la Visite, NDLR) mais il n'y a jamais eu de reforestation des zones exploitées», a expliqué à l’AFP l’agronome Yvon Elie. «La dernière scierie a fermé en 1980 mais l'Etat n'a rien fait pour les familles des 83 ouvriers. Pour survivre, ces gens n'ont pas eu d'autre choix que de se lancer dans l'agriculture», ajoute-t-il.

Extrême pauvreté
De fait, si la déforestation massive est largement liée aux ravages provoqués par l’industrie du bois et l’appât du gain, elle est aussi la conséquence de l’extrême pauvreté des 10,6 millions d’habitants.

Largement rurale, la population n’arrive pas à survivre sur des petits lopins de terre. Elle se voit donc obligée de couper des arbres pour créer de nouvelles surfaces cultivables. Au cœur du parc de la Visite, près de 800 familles plantent ainsi carottes, poireaux, oignons et betteraves. Autant de cultures qui aggravent l'érosion.

Les familles de paysans sont les premières victimes de l'appauvrissement des sols. «L'eau ne pénètre plus, elle emporte la terre et les semences: il ne reste que des roches», a raconté à l’AFP une sexagénaire surnommée Ti machan (petite marchande, en créole). Dans le même temps, le charbon de bois sert de combustible en l’absence de toute politique énergétique nationale. Résultat: on estime qu’aujourd’hui, entre 30 et 40 millions d’arbres continuent à disparaître chaque année sur la partie occidentale de l’île d’Hispaniola.


Un vrai cercle vicieux que tentent de combattre des organisations comme le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Plus de 600 hectares ont ainsi été reboisés en deux ans. De leur côté, les autorités haïtiennes ont lancé en 2013 une opération visant à replanter 50 millions d’arbres chaque année. Elles veulent aussi changer les comportements individuels par une campagne d’éducation dans les médias et les écoles. Mais il en faudra sans doute beaucoup plus pour que le pays retrouve un semblant de manteau forestier. Et pour aider une population dont le PIB par habitant était estimé à 852 dollars par habitant en 2014.

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