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Trois ans aprĂšs sa naissance, oĂč va le mouvement Black Lives Matter ?

FondĂ© en rĂ©ponse Ă  la mort de jeunes noirs, le mouvement s'est amplifiĂ© au fil des tragĂ©dies. Au point de devenir une force politique Ă©mergente aux Etats-Unis ? 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Poings levĂ©s, des manifestants protestent Ă  BĂąton-Rouge, le 9 juillet 2016, en Louisiane.  (MARK WALLHEISER / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

En quelques heures, environ 200 activistes ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s par la police aux Etats-Unis. Sous la banniĂšre Black Lives Matter ("les vies des Noirs comptent"), tous dĂ©nonçaient les violences policiĂšres Ă  l'encontre des citoyens noirs, quelques jours aprĂšs la mort de deux Afro-amĂ©ricains, Alton Sterling et Philando Castile, abattus par des policiers blancs lors de simples contrĂŽles. A BĂąton Rouge (Louisiane), des policiers en Ă©quipement anti-Ă©meute ont ainsi fendu des rassemblements pacifistes, interpellant des dizaines de manifestants samedi 9 et dimanche 10 juillet. Parmi eux : un activiste chevronnĂ©, figure mĂ©diatique et emblĂ©matique du mouvement Black Lives Matter, ou encore une jeune mĂšre de famille, venue de la cĂŽte Est pour participer Ă  sa premiĂšre manifestation. 

Une manifestante est arrĂȘtĂ©e par la police en marge d'un rassemblement de protestation contre la mort d'Alton Sterling, le 9 juillet 2016 Ă  BĂąton-Rouge (Etats-Unis). (JONATHAN BACHMAN / REUTERS)

Ces interventions musclées des forces de l'ordre s'inscrivent dans un contexte tendu outre-Atlantique, aprÚs la mort jeudi de cinq policiers, visés par un sniper en marge d'un rassemblement antiraciste, à Dallas (Texas).

Tandis que les autoritĂ©s craignent une escalade de la violence, le mouvement Black Lives Matter, qui "fĂȘte" ses trois ans d'existence mercredi 13 juillet, occupe Ă  nouveau les rues des grandes villes amĂ©ricaines ainsi que l'espace mĂ©diatique. A cette occation, francetv info retrace son histoire, du slogan jusqu'aux portes de la Maison Blanche.  

A l'origine, trois femmes et un hashtag

Le 13 juillet 2013, George Zimmerman est acquittĂ© du meurtre du Trayvon Martin, un adolescent noir de 17 ans qui rentrait chez lui un soir d'hiver 2012, non armĂ© et la tĂȘte enfouie dans un pull Ă  capuche. Cette dĂ©cision de justice est incomprĂ©hensible pour Alicia Garza, une Californienne afro-amĂ©ricaine de 32 ans qui travaille dans une organisation de dĂ©fense des droits des employĂ©s domestiques. "C'est comme si nous avions reçu un coup-de-poing dans le ventre", se souvenait-elle, citĂ©e en avril 2015 par USA Today. Sur Facebook, elle poste un statut de quelques lignes : "Personnes noires. Je vous aime. Je nous aime. Nos vies comptent. ('Our lives matter')."

"Cette lettre d'amour aux citoyens noirs m'a pris aux tripes", raconte Patrisse Cullors, citée par NPR. La jeune femme de 28 ans connaßt Alicia Garza. Elle l'a rencontré en 2005, à l'occasion d'un séminaire destiné aux activistes. Ce jour-là, elle ajoute le mot-diÚse #BlackLivesMatter et partage le statut de son amie. "Je voulais qu'il devienne global". 

Alors que le slogan se répand sur les réseaux sociaux, une troisiÚme jeune activiste afro-américaine, Opal Tometi, propose son aide : depuis Brooklyn, elle va développer une plate-forme en ligne, pour permettre aux internautes d'échanger et de se rassembler dans leurs villes. Le mouvement Black Lives Matter est né. 

Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi, les trois co-fondatrices du mouvement Black Lives Matter, participent Ă  un petit dĂ©jeuner de la New York Women Foundation, le 14 mai 2015.  (JEMAL COUNTESS / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

A l'instar d'Occupy Wall Street, le réseau est articulé autour de "chapitres" - des antennes locales - plus faciles à intégrer qu'une organisation verticale. "Quiconque possÚde un compte sur Facebook et Twitter, un smartphone et des convictions en faveur de la justice sociale peut rejoindre le mouvement", explique Travis Gosa, qui enseigne les sciences sociales à l'université de Cornell, cité par USA Today. 

De mĂȘme, Patrisse Cullors et Alicia Garza, qui se dĂ©finissent comme queer, ont façonnĂ© un mouvement plus ouvert que ne l'a jamais Ă©tĂ© celui pour les droits civiques : "Black Lives Matter (
) ne tient pas compte de l'orientation sexuelle, de la religion, de l'age, de la race, de la façon de s'habiller ou de s'exprimer", selon Travis Gosa qui dĂ©crit un mouvement multiracial, fĂ©ministe et numĂ©rique, en plus d'ĂȘtre un mouvement de dĂ©fense des droits des Noirs. Il est d'ailleurs trĂšs critiquĂ© par certains militants historiques. Une plate-forme avec trois cofondatrices, mais sans leader. Une plateforme en ligne qui s'Ă©mancipe de sa condition de hashtag Ă  l'occasion d'un nouveau drame : Ferguson. 

Ferguson fait passer le mouvement du virtuel au réel

Le 9 août 2014, Michael Brown, 18 ans, est abattu par un policier blanc, Darren Wilson, à Ferguson (Missouri). Comme Trayvon Martin, il n'est pas armé lorsqu'il reçoit six balles dans le corps. Dans la foulée, des manifestations, puis des émeutes secouent la ville. A New York, l'artiste Darnell Moore décide d'organiser des voyages en bus pour rejoindre les manifestants locaux, à la maniÚre des "Freedom rides" qui conduisait les militants noirs dans les Etats ségrégationnistes dans les années 60. Des centaines de militants se revendiquant de Black Lives Matter, partent de Los Angeles, de Boston ou encore de Portland, direction Ferguson. "C'est cela la vraie genÚse du mouvement", concÚde Alicia Graza, citée par The New Yorker. 

Des manifestants protestent contre les violences policières, le 19 janvier 2015 à Saint-Louis, dans le Missouri (Etats-Unis). (MICHAEL B. THOMAS / AFP)

Avec Ferguson, Black Lives Matter passe le test de la rue. Sur place, des militants de terrain Ă©mergent, comme DeRay McKesson, un directeur d'Ă©cole de 29 ans installĂ© Ă  Minneapolis (Minnesota). AprĂšs avoir vu les images de la mobilisation sur Twitter, il poste un message sur Facebook en quĂȘte d'un hĂ©bergement sur place et roule pendant 9 heures en direction du sud. "A ce moment-lĂ , je me suis jurĂ© d'agir (
) jusqu'Ă  ce que l'on obtienne de vivre dans un systĂšme juste (
) et mettre un terme aux violences policiĂšres", expliquait-il en novembre 2015 au magazine New York. Son mode d'action : la communication en ligne, l'occupation de l'espace public et bien-sĂ»r la "perturbation" ("disruption" en anglais).

"Les manifestations sont pensées pour maximiser l'impact : générer l'inconfort pour que l'ensemble de la société ressente la douleur et la frustration quotidienne d'une personne noire aux Etats-Unis", décrit Time dans un article qui accompagne le sacre du mouvement, alors élu quatriÚme "personnalité" de l'année 2015. Cette année-là, en août, des centaines de militants profitent d'un samedi d'affluence sur les routes pour bloquer une autoroute à proximité de Washington. En novembre, pendant le "Black Friday", un jour de soldes monstres dans les enseignes du pays, ils paralysent plusieurs heures l'artÚre la plus commerçante de Chicago pour protester contre la mort de Laquan MacDonald, un autre jeune noir abattu par un policier blanc.

Et maintenant, la politique ?  

Le 19 août 2015, Daunasia Yancey et Julius Jones, deux militants de Black Lives Matter, font partie d'un groupe qui tente, en vain, d'interrompre un meeting d'Hillary Clinton dans le New Hampshire. Ils arrivent trop tard, mais celle-ci accepte de les rencontrer en coulisses pour écouter leurs revendications. Dans cet échange informel et filmé, le militant Afro-américain s'attaque à la candidate démocrate, accusée d'avoir soutenu des politiques menées pendant les mandats de son mari, Bill Clinton, qui ont pu aboutir à des discriminations, raconte The New Yorker. "Maintenant, la vraie question est : que voulez-vous que je fasse pour remédier à cela ?", répond Hillary Clinton, ouverte au dialogue. Et de demander à Julius Jones de partager sa "vision, son plan". 

Du cÎté démocrate, les militants ont pesé sur l'agenda politique, explique le New York Magazine. "En 2016, la candidate a ainsi promis de mettre un terme à la privatisation des prisons (...) d'éditer un nouveau code de conduite au sein de la police et de mettre un terme aux incarcérations de masse", détaille le site de l'hebdomadaire. DÚs octobre 2014, le président Barack Obama s'est entretenu à la maison Blanche avec des activistes du mouvement. A cette occasion, il a intégré plusieurs d'entre eux dans une "task force présidentielle" chargée de travailler sur les façons d'améliorer le rapport entre les citoyens et les forces de l'ordre.

ƒuvrant dĂ©sormais Ă  la concrĂ©tisation de leurs revendications, ces derniers ont fondĂ© Campaign Zero, une plateforme qui expose les rĂ©formes rĂ©clamĂ©es par le mouvement. Parmi eux, nous retrouvons DeRay McKesson, premier candidat de l'histoire affiliĂ© à Black Lives Matters : au printemps 2016, il a briguĂ© la mairie de Baltimore (Maryland), sa ville de naissance, et ce moins d'un an aprĂšs l'assassinat de Freddie Gray, un jeune noir de la ville, lui aussi tuĂ© par des policiers blancs. Une candidature largement symbolique, mais qui traduit la volontĂ© d'une partie du mouvement de ne pas se contenter d'agir Ă  la marge du dĂ©bat public.

L'activiste du mouvement Black Life Matters, DeRay McKesson, tracte dans les rues de Baltimore, Maryland, pendant la campagne municipale, le 26 mars 2016.  (PATRICK SEMANSKY/AP/SIPA / AP)

Preuve que cela porte progressivement ses fruits : Black Lives Matter n'a jamais autant Ă©tĂ© sous le feu de la critique. AprĂšs la fusillade de Dallas, qui a coĂ»tĂ© la vie jeudi 8 juillet Ă  cinq policiers en marge d'une manifestation – une attaque condamnĂ©e par ses reprĂ©sentants – le mouvement s'est vu taxĂ© de racisme par la droite amĂ©ricaine. Non sans perdre le soutien d'une partie de l'AmĂ©rique libĂ©rale : toujours le 8 juillet, Twitter a dĂ©cidĂ© d'affirmer son soutien au mouvement, en accompagnant le fameux hashtag d'un Ă©moji officiel : trois poings serrĂ©s, de trois teints diffĂ©rents, du brun le plus clair au plus foncĂ©. DĂ©jĂ  plus qu'un simple hashtag
 

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